Le point de départ de cet article
est une très intéressante analyse de Mathieu Slama sur l’incapacité de l’Europe
à faire face au terrorisme islamiste :
Au-delà des conditions militaires
et géo-stratégiques, des difficultés d’une réponse coordonnée, des problèmes
posés par notre appareil judiciaire, Mathieu Slama voit un facteur préalable à
tous ceux-ci pour expliquer notre faiblesse : la perte d’un sens du sacré,
et corrélativement, notre incapacité à nous attacher de façon sincère et
véritablement engagée à un sens quel qu’il soit. La vacuité du monde moderne
devient le plus important désavantage face à nos adversaires. Cet affrontement
du cynisme vide et du fanatisme est très bien décrit dans son article, ainsi
que la défaite inéluctable qui nous attend si nous restons dans un tel état d’esprit :
L'Europe
occidentale ne peut pas, en réalité, comprendre un tel phénomène, et encore
moins y répondre idéologiquement. La question religieuse y a été
progressivement reléguée à une affaire de croyance individuelle, d'«option spirituelle».
Le sacré n'est plus sacré, au sens où il doit être, nécessairement,
désacralisé. Le droit au blasphème devient un droit fondamental. Les Femen ont
pignon sur rue, malgré leurs outrances. Les réformes sociétales, sans limites
ni prudence, sont imposées au mépris du bon sens. L'Europe occidentale consacre
la victoire de l'individu roi, libéré de toute transcendance et enracinement:
l'homme sans contexte, pour reprendre l'expression de Rémi Brague. Face au
retour du religieux dans sa forme la plus absolue et monstrueuse, l'Europe est
désemparée.
L'État
islamique se nourrit du vide spirituel occidental si bien décrit par
Soljenitsyne en son temps. Dans un numéro du magazine de propagande de l'État
islamique en français, Dar-al Islam,
on pouvait lire ce passage sidérant: «Ce pays faible (la France), en pleine
crise économique et moral dont le peuple est abruti par les divertissements, où
la presse people est plus lue que la presse politique, déclare la guerre à un
État (l'État islamique) où chaque habitant est un combattant en puissance ayant
suivi un entraînement militaire et faisant la guerre pour sa foi, espérant le
paradis éternel s'il est tué».
Le problème de cette description
de notre société dans les opuscules islamistes est qu’elle est partiellement
vraie. Nous sommes devenus sur plus d’un point des décadents, mus par le seul
intérêt égoïste dont le travestissement de la pensée libérale a fait la source
de tout bienfait (« les vices privés font les vertus publiques »),
attachés à notre seul confort et à des ambitions uniquement matérielles ou
égotistes.
Face à cela, des fanatiques formés à se penser comme des combattants et prêts à aller jusqu’au sacrifice
suprême pour ce qu’ils défendent ont toutes leurs chances. Nous ne parvenons
déjà plus à les contenir. Celui qui n’est pas prêt à engager sa propre vie pour les valeurs dans lesquelles il croit se repose sur des dispositifs trop lourds, trop lents,
parce qu’ils dédouanent chaque citoyen de sa responsabilité.
L’on peut trouver choquant que j’en
appelle ainsi à une forme de glorification de l’esprit guerrier, qui est aussi
celui des fanatiques. Mais précisément, une civilisation qui laisse aux seuls
extrémistes et fanatiques le monopole de l’esprit guerrier est vouée à la
disparition. Toute grande civilisation a su à un moment ou à un autre penser
la question de l’usage légitime de la force et de son usage illégitime. Sans
Léonidas et Thémistocle, Socrate, Phidias et Périclès n’auraient jamais vu le
jour.
L’on ne peut donc se contenter de l’évacuation simpliste et quelque peu
bien-pensante de toute violence : il nous faut penser à nouveau le rapport
à l’autorité et au droit d’employer la force. En sachant que celui qui engage
le combat doit être bien conscient que cela peut impliquer d’aller jusqu’à ses
conséquences ultimes, la mort de l’adversaire ou de soi-même, et qu’il ne sera
plus temps de rebrousser chemin une fois engagé.
C’est à ce moment que nous
pouvons reprendre le dessus sur ceux qui veulent détruire notre civilisation.
Car nos simples appels à la république, à la laïcité, à la liberté d’opinion, à
la démocratie ou aux droits de l’homme paraissent bien faibles : non que
je ne dénie ces valeurs, mais lorsqu’elles ne sont plus défendues en les
considérant comme sacrées, c’est-à-dire impliquant que tout citoyen est prêt à
mourir pour elles, c’est qu’elles ne sont pas sincèrement aimées.
Nous devons retrouver la dignité
du hoplite. Celle du citoyen de l’ancienne cité grecque, qui pouvait à tout
moment s’armer et défendre sa cité, sans céder d’un pouce, y compris jusqu’au
sacrifice suprême. Socrate était – dit-on – bon guerrier dans la mêlée : l’homme
complet n’oppose pas la liberté de pensée et de parole à sa capacité à prendre
les armes : il sait que leur existence et son attachement sincère à elles
implique de les défendre les armes à la main. Nous devons retrouver l’esprit
guerrier au sens que lui avait donné ce grand pratiquant français d’arts
martiaux qu’est Francis Didier :
La dignité du hoplite rétablit l’esprit
guerrier dans ce qu’il doit être, le retire des mains des barbares qui n’en
sont pas dignes. Car un guerrier véritable n’assassine pas femmes et enfants.
Ou ne se livre pas à des viols en masse, incapable de maîtriser ses pulsions.
Les « guerriers » de Daesh apparaissent ainsi pour ce qu’ils sont :
c’est à leur tour d’être les porcs décadents, les lâches, les faibles, c’est-à-dire
leur vraie nature, qui n’impressionne en rien un guerrier authentique. Les
phalanges hoplites doivent à nouveau repousser les hordes vicieuses,
perverties, de la prétendue foi qui ne résiste pas une seconde à ses propres
pulsions répugnantes.
Je ne souscris pas à la toute fin
de l’article de Mathieu Slama, malgré les qualités de ce qu’il met en lumière.
Car il oppose des valeurs de justice et de vie de la cité, au sens retrouvé du
sacré : les domaines séculiers et réguliers sont par trop distingués dans
sa conclusion :
L'Islam radical est, à n'en point douter, le phénomène le plus
important, le plus décisif, de notre époque. On ne répond pas à un tel absolu
seulement par des valeurs juridiques (liberté, égalité, laïcité…), aussi
importantes soient-elles. Il faut autre chose. C'est cet «autre chose», qui a à
voir avec le sacré, que nous avons perdu.
Or précisément, les antiques
cités grecques ne démontraient pas seulement un attachement fort des citoyen aux
valeurs de leur communauté. Les lois et leur observance étaient considérées
comme sacrées dans la cité antique, c’est aussi par là qu’elles savaient les
faire respecter avec une autorité toute autre que la nôtre aujourd’hui.
Nous ne sommes pas faibles du fait qu’il nous manque, en plus de la liberté, de l’égalité et de la fraternité un sens du sacré qui viendrait par surcroît. Nous sommes faibles du fait que la liberté, l’égalité et la fraternité ne font plus résonner le sens du sacré en nous. Nos élites dévoyées ont tant de fois utilisé ces valeurs comme prétextes à des buts beaucoup moins louables, pour couvrir des lâchetés ou des intérêts personnels, que la puissance d’airain que de telles valeurs prenaient dans la cité grecque s’est perdue.
Cela n’est pas un fait du hasard que nous devions à un grand réalisateur polonais et non français d'avoir le mieux illustré les trois principes de notre nation, et magistralement montré qu’ils permettaient de retrouver le chemin du sacré.
Nous ne sommes pas faibles du fait qu’il nous manque, en plus de la liberté, de l’égalité et de la fraternité un sens du sacré qui viendrait par surcroît. Nous sommes faibles du fait que la liberté, l’égalité et la fraternité ne font plus résonner le sens du sacré en nous. Nos élites dévoyées ont tant de fois utilisé ces valeurs comme prétextes à des buts beaucoup moins louables, pour couvrir des lâchetés ou des intérêts personnels, que la puissance d’airain que de telles valeurs prenaient dans la cité grecque s’est perdue.
Cela n’est pas un fait du hasard que nous devions à un grand réalisateur polonais et non français d'avoir le mieux illustré les trois principes de notre nation, et magistralement montré qu’ils permettaient de retrouver le chemin du sacré.
Bien entendu, nous reviennent
aussi en mémoire les mots de Marc Bloch, qui a on ne peut mieux exprimé comment la France
avait pu donner l’intensité du sacré à ses valeurs humaines séculières, sans qu’il
soit possible de distinguer le sacré du profane :
« Il est deux catégories de Français
qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au
souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la
fête de la Fédération. »
En cela, Marc Bloch retrouvait la
dignité du hoplite, celle que la civilisation grecque a transmis à l’histoire
de France, de voir dans l’attachement à la cité et à sa défense une forme du
sacré et de la vie spirituelle, tout comme notre hymne chante l’amour sacré de
la patrie.
Par l’une de ces coïncidences du
calendrier qui n’est pas purement fortuite, la dignité du hoplite nous est
encore montrée en exemple dans la lutte que les descendants modernes de Périclès engagent en ce moment contre
l’autre forme de la barbarie : celle de la technocratie européenne, qui se
pare des signes extérieurs de la civilisation mais qui n’est mue que par les
formes les plus banales de l’avidité et de l’idéologie.
J’ai mis en lumière plus d’une
fois sur ce blog l'étrange effet de miroir, qui fait se correspondre la
vacuité prédatrice du néo-libéral et celle de l’arriération et de l’avilissement
des fondamentalistes : images en négatif l’une de l’autre, en apparence
opposées, en réalité copies l’une de l’autre à un niveau plus fondamental,
reliées par la cupidité et la prédation sur ceux qui ne peuvent se défendre :
Pour combattre ces deux
barbaries, nous avons plus que jamais besoin de la dignité du hoplite,
défenseur de la cité, de ses lois, de ses valeurs, leur donnant le sens du
sacrifice et du sacré qui fera comprendre aux barbares que contrairement à eux,
ils devront faire face à des hommes et des combattants véritables.
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