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vendredi 24 février 2017

DECODEX : Le niveau zéro de la déontologie



Bombardement d’Alep

Méthodologie à la façon du Decodex :

Fact-checking : un hôpital d’Alep Est, zone tenue par la résistance à Bachar El-Assad, a été bombardé par l’aviation russe et par les forces loyalistes. Plusieurs dizaines de malades alités ont été tués, parmi lesquels des enfants en cours de soin, y compris pendant des opérations chirurgicales.

Commentaire : Les troupes russes et les forces de Bachar El-Assad se livrent à des atteintes fondamentales aux droits de l’homme en Syrie, en état de catastrophe humanitaire. Ils ciblent directement et volontairement des populations civiles dans la guerre visant à écraser la rébellion contre le régime syrien.

Evaluation : Pastille rouge ou à minima orange à l’encontre de ceux qui auraient des réserves quant à l’information précédente, purement factuelle. Ceux qui nient cette réalité sont des affidés de Bachar El-Assad ou des Poutiniens en mal de régimes autoritaires, à l’encontre de nos sociétés ouvertes et démocratiques.


Méthodologie proposée par « l’Orque » :

Fait observé à l’origine : un hôpital d’Alep Est, zone tenue par la résistance à Bachar El-Assad, a été bombardé par l’aviation russe et par les forces loyalistes. Plusieurs dizaines de malades alités ont été tués, parmi lesquels des enfants en cours de soin, y compris pendant des opérations chirurgicales.


Faits interdépendants du premier fait :

- La « résistance » située dans les quartiers Est d’Alep est constituée en grande partie de combattants se réclamant de Daesh, d’Al Quaïda ou d’autres factions islamistes dures.

- Les populations civiles de ces quartiers sont prises en otage par les précédents « résistants », qui mélangent à dessein des zones civiles sensibles (hôpitaux, écoles, …) avec leurs postes militaires, selon la technique éprouvée des « boucliers humains ».

- Ces situations de prise d’otages ont déjà été rencontrées par les forces militaires occidentales, à Mossoul ou en Afghanistan. Celles-ci n’ont pas fait mieux que les forces militaires russes, occasionnant des pertes civiles importantes, y compris dans des hôpitaux et touchant des enfants.

- Les zones touchées à Alep représentent au maximum un tiers de la ville (et non la totalité d’ « Alep qui se meurt »). Quelques mois auparavant, les populations d’Alep Ouest ont subi d’importantes frappes tuant aveuglément des civils, notamment les quartiers chrétiens de la ville, de la part des « résistants » d’Alep Est.

- L’Arabie saoudite mène actuellement des raids militaires au Yémen, commettant des violations humanitaires au moins aussi graves et aussi massives que celles perpétrées en Syrie. Les réactions des gouvernements occidentaux et de leurs chancelleries sont de bien moindre portée, s’agissant de l’Arabie saoudite : peu ou pas de protestations, aucune sanction, blocus ou veto. L’ONU avait inscrit la coalition militaire arabe opérant au Yémen sur sa liste noire de pays et organisations violant les droits des enfants, … avant de la retirer sous la pression diplomatique de Riyad.


Interprétation proposée ou « story-telling » : La situation actuelle de la Syrie est le résultat d’actions menées par les puissances occidentales visant à déstabiliser le pouvoir en place, comme cela a été le cas en Irak et en Lybie. L’objectif était de mettre fin à des dictatures, mais aucune véritable mesure d’accompagnement n’a été prise, ni analyse préalable des différentes forces en présence ou de l’équilibre fragile des communautés au sein du pays.

Il n’y a pas eu non plus de tentative de conserver quelques hommes du précédent régime s’étant repentis, afin de maintenir un minimum de structure pendant la phase de transition : comme le montre l’excellent film « Green Zone », il en a été de même en Irak, où un compromis trouvé avec d’anciens cadres baasistes aurait évité de faire sombrer le pays dans le chaos. On peut n’avoir aucune sympathie pour Bachar El-Assad mais se rappeler que la politique est l’art de la moins mauvaise solution.

Après avoir provoqué intégralement le chaos dont nous nous indignons, et restant dans une inaction larmoyante proportionnelle à l’activisme que nous avons démontré pour mettre à genoux un pays, nous crions d’autant plus fort que nous nous savons entièrement responsables de ce que subissent aujourd’hui les populations civiles syriennes, leurs enfants au premier chef. Pour consacrer cette bonne conscience qui en déguise une très mauvaise, nous laissons les Russes faire le « sale travail », pourtant le seul responsable et réaliste, nous permettant de les charger de nos propres fautes.


Evaluation : Aucune. L’honnêteté intellectuelle ne consiste pas à prétendre avoir le point de vue « objectif » contre les idéologies, mais d’admettre la partialité de son propre point de vue pour le confronter à la réalité, à égalité de ceux des autres. Il faut faire confiance au libre arbitre des hommes qui jugeront d’eux-mêmes l’interprétation qui semble la plus solide et la plus résistante aux secousses de la réalité.



Conséquences économiques du protectionnisme

Méthodologie à la façon du Decodex :

Fact-checking : Source « Le Point », article de Pierre-Antoine Delhommais : En 2015, les exportations françaises représentaient 28 % du PIB, contre environ 20 % au début des années 1990. Le chiffre d'affaires à l'exportation des entreprises du secteur marchand (hors agriculture et services financiers) s'élevait à 608 milliards d'euros, soit 28 % du chiffre d'affaires global des 222 700 entreprises exportatrices. Dans le secteur de l’industrie française, le taux d’exportation atteint 40%.

À l'inverse, les entreprises françaises multinationales emploient à l'étranger dans plus de 30 000 filiales 5,4 millions de salariés, dont 3,7 millions par les 135 plus grands groupes. Elles y réalisent 1 240 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit plus de la moitié (53 %) de leur chiffre d'affaires total. 

Commentaire : Les chiffres des entreprises françaises à l’exportation montrent clairement que toute mesure protectionniste (par ex une élévation des droits de douane) provoquerait des mesures de rétorsion de la part des pays importateurs de nos produits, et une contraction massive de notre chiffre d’affaires à l’export.

Inversement, la présence française à l’étranger par le biais de délocalisations nous rend compétitifs sur les prix, diminue nos coûts de transport et permet de s’adapter aux besoins des clients locaux.

Evaluation : Pastille rouge ou orange à l’encontre de ceux qui discutent de cette vérité purement factuelle et objective : l’économie ouverte et mondialisée est la seule garante de la prospérité, sans alternative possible. Ceux qui contestent la mondialisation et ses bénéfices sont de toutes façons fermés sur le plan humain, pas seulement sur le plan économique : ce sont les mêmes qui appellent au repli sur soi, refusent l’accueil des migrants, votent pour des partis populistes ou xénophobes.


Méthodologie proposée par « l’Orque » :

Fait observé à l’origine : Source « Le Point », article de Pierre-Antoine Delhommais : En 2015, les exportations françaises représentaient 28 % du PIB, contre environ 20 % au début des années 1990. Le chiffre d'affaires à l'exportation des entreprises du secteur marchand (hors agriculture et services financiers) s'élevait à 608 milliards d'euros, soit 28 % du chiffre d'affaires global des 222 700 entreprises exportatrices. Dans le secteur de l’industrie française, le taux d’exportation atteint 40%.

À l'inverse, les entreprises françaises multinationales emploient à l'étranger dans plus de 30 000 filiales 5,4 millions de salariés, dont 3,7 millions par les 135 plus grands groupes. Elles y réalisent 1 240 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit plus de la moitié (53 %) de leur chiffre d'affaires total.


Faits interdépendants du premier fait :


- La production manufacturière européenne a globalement régressé entre 1998 et 2015, à l’exception de l’Allemagne. L’Italie, l’Espagne, la France et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne ont reculé pendant cette période. Le marché européen a profité à un seul de ses acteurs majeurs. Source Xerfi, voir chiffres sur le graphique suivant :



- Le gouvernement fédéral américain est intervenu en 2009 par une subvention de 25 Milliards de dollars afin de sauver General Motors et Chrysler de la faillite.

- En 2007, le congrès américain promulgue le « Foreign investment and National Security Act », limitant fortement le rachat d’entreprises américaines par des firmes étrangères, dès lors que des « activités stratégiques » touchant aux intérêts américains sont en jeu. Cette formulation floue a permis de protéger entre autres le secteur du digital, de l’immobilier ou des hôpitaux privés contre une série d’acquisitions par des investisseurs chinois, débordant largement le cadre de la sécurité nationale et des activités militaires.

- Ariane et Airbus sont des réussites antérieures à la création de la commission européenne. Elles sont issues non de l’UE, mais d’une association libre entre états souverains. Citer une seule réussite d’un grand projet industriel du même ordre due à l’UE, porte-étendard de la mondialisation.

- Le 26 février 2016, la Commission européenne a empêché un rapprochement des activités spatiales d’Ariane et Airbus, au nom de la « libre concurrence », évitant la création d’un géant européen du spatial qui aurait une position dominante vis-à-vis des autres blocs économiques. A noter que SpaceX est largement favorisée par la NASA, ou encore que le secteur spatial de Boeing est fortement soutenu par l’état fédéral américain.


Interprétation proposée ou « story-telling » :

Nous sommes en économie ouverte et cela est très bien ainsi : selon le principe des avantages comparatifs de Ricardo, l’ouverture des marchés pour des échanges de biens est profitable aux deux pays effectuant les transactions. En revanche les règles de l’économie ouverte sont un peu plus complexes que l’idée unique « ouvrons toutes les frontières, mettons tout en concurrence partout et en permanence », répétée comme un mantra.

Il n’y a pas une seule mais deux idées à retenir des avantages comparatifs de Ricardo. La première, celle qui est enseignée partout, montre le bénéfice mutuel des échanges commerciaux. La seconde est que les avantages comparatifs ne fonctionnent que si les deux pays en présence sont capables de se différencier dans leurs performances de production.

Les avantages comparatifs fonctionnent à la façon d’une pile électrique. Il faut deux bornes, et une différence de potentiel pour que l’énergie circule. Si les deux pays n’ont plus rien pour se différencier, il n’en résulte aucun bénéfice mutuel, l’économie est atone et « aplatie », seule subsiste la concurrence sur les prix, destructrice de valeur.

Le maintien de cette différenciation requiert de protéger son savoir-faire industriel, ses procédés de conception et de fabrication. S’il est inepte de recourir à un protectionnisme sur les biens marchands, il est indispensable de le faire sur les connaissances et les savoir-faire. Schumpeter avait déjà introduit la notion de « quasi-rente », nécessaire à l’entrepreneur : si la concurrence est appliquée trop vite et trop tôt, celui qui a une bonne idée n’en touche aucune rétribution, l’économie devient décourageante et atone. Si elle est appliquée trop tard, l’avantage comparatif dégénère en abus de position dominante.

La compétitivité en qualité, qui retarde le moment de la mise en concurrence, et la compétitivité prix, qui pousse à ce que la concurrence intervienne le plus vite possible, sont la tension contradictoire qui est le moteur de l’économie. Les USA ont très bien compris ceci, ne cessant d’appliquer un protectionnisme et un interventionnisme conséquent sur leurs connaissances et savoir-faire, et ceci bien avant Trump. Par dogmatisme de la « concurrence pure et parfaite », la commission européenne attise la mise en concurrence permanente et en temps réel au nom de « l’information parfaite », rendant l’économie atone.

Il est fréquemment objecté qu’en matière de recherche et d’innovation, échapper à la concurrence rend « paresseux » et ralentit l’initiative. On peut exactement retourner cet argument : une mise en concurrence permanente oblige à révéler ses nouvelles idées dès qu’elles sont émises, décourageant d’en avoir.

L’innovateur qui échappe temporairement à la concurrence ne va pas ralentir : bien au contraire, il mettra les bouchées doubles dans son effort de recherche en profitant de cette aubaine, de façon à arriver avec le maximum d’effet lorsqu’il sera sur le marché, ce qui est de toutes façons inéluctable. Obtenir un temps d’avance pour bénéficier d’une position dominante est la clé de toute stratégie. Les raisonnements néo-libéraux en économie analysent de façon binaire des choix qui seraient fait ad vitam aeternam, sans la temporalité qui nous fait alterner protection de nos connaissances et mise sur le marché de façon à en maximiser l’effet.


Evaluation : Aucune. L’honnêteté intellectuelle ne consiste pas à prétendre avoir le point de vue « objectif » contre les idéologies, mais d’admettre la partialité de son propre point de vue pour le confronter à la réalité, à égalité de ceux des autres. Il faut faire confiance au libre arbitre des hommes qui jugeront d’eux-mêmes l’interprétation qui semble la plus solide et la plus résistante aux secousses de la réalité.


Quelques remarques sur la notion de « fait »

Il est pénible de devoir rappeler qu’un fait isolé n’a pas de sens, également qu’il n’existe pas d’observation neutre indépendante d’une certaine représentation que nous nous sommes faite de la réalité.

Des siècles de réflexion épistémologique semblent avoir été oubliés et balayés par quelques petits hommes pressés et ignares. A quoi a-t-il servi de faire émerger le débat entre déductionisme et inductionisme, culminant avec la « logique de la découverte scientifique » de Karl Popper ? Qui se souvient de la vaste réflexion de Willard V.O. Quine, montrant pourquoi la logique est « dans le même bateau » que les autres sciences, mettant un terme à tout point de vue angélique ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Un étudiant en épistémologie de première année détecterait immédiatement l’erreur du « Decodex », celle de penser représenter « le point de vue de Dieu », comme les maîtres de la philosophie analytique anglo-saxonne désignaient ironiquement ce type de bourde grossière. Il est vrai qu’avec Quine, Popper, Putnam et Kuhn, nous sommes à cent coudées des capacités cérébrales de Samuel Laurent et de sa fine équipe.

Il n’y a rien d’élitiste dans ce rappel aux origines des questions de faits et vérifications. Nul besoin d’être rompu à la logique formelle et aux méthodes de confirmation en sciences et en statistiques, bien qu’ultimement c’est à cet endroit que réside le feu avec lequel les apprentis sorciers du Decodex ont joué.

« Qui fact-checkera les fact-checkers ? » demande la fine Eugénie Bastié. On le voit, les questions déontologiques auxquelles les amuseurs du « decodex » se sont attaqués débouchent très rapidement vers des problèmes de circularité, d’auto-référenciation, autant dire des fondements de la logique, plateau inaccessible à la fatuité de ceux qui se pensent supérieurs à la condition humaine. 

Samuel Laurent ne sait visiblement pas faire la différence entre l’infirmation négative d’une hypothèse - possible par les « faits » - rendant juste et utile la chasse aux « hoax », et l’argumentation positive d’une assertion, nous entraînant très au-delà de la vision bêtifiante de faits enfilés comme des perles.

Du reste, les meilleurs juristes ainsi que les historiens savent également traiter  de ces questions, avec leur vocabulaire propre qui transpose toutes les notions de l’épistémologie. La reconstitution nécessaire lors d’une enquête policière montre en quoi la part interprétative est incontournable : certains devraient revoir le Rashomon de Kurosawa.

Le récit historique et la recherche des causes qui ordonnancent les faits selon la thèse proposée permettent à l’historien de se confronter à ces difficultés, échappant au « point de vue de Dieu », surtout lorsque celui-ci est assorti de pastilles bêtifiantes de trois couleurs : la médiocrité des massacreurs de notre éducation nationale a-t-elle déteint dans le temple du « fact checking » ?

Avec les épistémologues, les juristes et les historiens, la profession de journaliste est amenée à rencontrer les questions déontologiques de la vérification. Quel contraste entre « Le Monde » d’Hubert Beuve-Méry et celui d’aujourd’hui. A la grande époque du quotidien du soir, aucun journaliste n’aurait eu l’incroyable bêtise teintée de fatuité de se poser en détenteur de l’information « factuelle », seul au-dessus des autres.

Les brillantes plumes de cette époque n’hésitaient pas à présenter deux ou trois thèses contradictoires sur le sujet de leur article, montrant comment ces points de vue opposés étaient également honorables. Nous étions loin de la risible « objectivité » d’aujourd’hui : vous approuvez la mondialisation heureuse et l’Union Européenne ? Votre point de vue est factuel et objectif. Vous critiquez les institutions européennes, et vous vous opposez à la « libre concurrence » ? Votre vision est infestée d’idéologie et de partialité.

Tout ceci prêterait seulement à rire, si ce n’était l’un de nos héritages intellectuels de plus qui fait à présent naufrage. Le trait de notre époque se vérifie : les manettes de l’éducation et de l’information sont trop souvent préemptées par des personnages médiocres, aussi suffisants qu’insuffisants, mettant résolument le cap vers l’absence totale de déontologie.


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1 commentaire:

  1. C'est excellent pour moi. Je crains malheureusement ne pas représenter la majorité.
    Je crains également que le conditionnement des esprits associé à une préférence pour l'idéologie, le "sentimentalisme" et le "sensationnalisme" l'emporte sur la raison et le raisonnement, sur l'honnêteté intellectuelle, sur la séparation du fait et du commentaire, sur la mise en perspective des faits, etc. c'est-à-dire tout ce qui devrait faire l'honneur du journalisme.

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