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dimanche 21 décembre 2014

UN DIRIGEANT VERITABLE ? LA FRANCE EN COMPTE AU MOINS UN




Fabrice Brégier. Ce nom vous rappelle-t-il quelqu’un ? Peu de personnes répondront par l’affirmative. Car le patron d’Airbus depuis le 1er juin 2012 est quelqu’un de discret. S’affirme-t-il donc trop peu ? 

Fin 2013, Airbus signait la plus grande année commerciale de son histoire, avec 1619 commandes et 1503 ventes nettes. Se permettant même de décrocher une commande ferme de 31 A350 par Japan Airlines, succès historique auprès d’une compagnie qui avait toujours acheté Boeing. 

La réalisation du nouvel A350 fut le contre-exemple de toutes les erreurs commises sur l’A380, erreurs que Fabrice Brégier finit par corriger et résoudre une par une lorsqu’il prit la direction d’Airbus. Il géra finement la transition de l’A320 à l’A320 NEO, et finit l’année 2014 en tenant la livraison de ses A350 au Qatar en temps et en heure. Voilà ce qu’est une bonne façon de s’affirmer.

A l’heure où nombre de dirigeants économiques passent plus de temps sous les feux des médias qu’au milieu de leurs équipes, n’appliquent que des actions simplistes de « cost killing » sans connaissance de leur appareil industriel, à l’heure ou l’ego est confondu avec la personnalité, il est réconfortant de voir une autre trempe de dirigeant montrer l’exemple.


La recette habituelle du dirigeant superficiel est de se partager pour moitié en communication bruyante et mondanités diverses, pour moitié en considérations uniquement financières, sans s’appuyer sur des notions liées au métier de l’entreprise. Fabrice Brégier est d’un autre bois.

Il connaît sur le bout des doigts les milliers de compétences qui constituent le métier de l’avionneur. Visite directement les bureaux d’étude et les ateliers pour discuter avec les opérationnels de terrain. La stratégie est pour lui une maîtrise complète et concrète de son sujet. Elle passe par une exigence de tous les instants, appliquée à lui-même et à ses collaborateurs directs. Ce profil d’homme humble et modeste mais intérieurement très fort est de ceux que l’on ne rencontre que trop rarement. 

Le monde néo-libéral a engendré une classe de dirigeants que l’on peut qualifier de « communico-financiers ». Leurs seules « compétences » ne sont plus que celles des annonces de presse et d’établissement de contrats d’externalisation, avec le coût du travail comme unique critère de différenciation. 

Il est ironique de noter que ces personnes se targuent d’efficacité, de rentabilité, de compétitivité, en manquant tout ce qui fait le ressort de ces qualités : les trésors d’inventivité et de savoir-faire qui feront la différence – l’A350 économise 20 à 25% de carburant par rapport aux avions de la précédente génération – non les seules variables du coût du travail et des accords financiers avec les fournisseurs. 

Il n’est bien entendu pas interdit de traquer les surcoûts, et Fabrice Brégier le fait, mais en identifiant derrière l’économie réalisée une plus grande simplicité technique ou une plus grande légèreté de l’appareil, non une simple compression des coûts indépendante des métiers et du savoir-faire de son entreprise. Cette réussite d’Airbus montre également que les instances européennes – et principalement la commission – sont devenues les ennemies mortelles de l’Europe, la vraie. La direction de Fabrice Brégier et son intégration d’équipes franco-allemandes est l’exact opposé des généralités ronflantes et inefficaces de la commission, de l’absence de discernement sur ce qui fait la valeur de certaines entreprises européennes, de son incapacité à riposter à l’espionnage industriel ou au protectionnisme d’autres grandes puissances économiques. Fabrice Brégier n’est pas un politique : le seul moment où il est intervenu dans ce débat, ce fut pour demander à la BCE l’abandon de sa politique suicidaire d’euro cher, face à un dollar de combat.

Les « communico-financiers » sont des gens étranges, employant un jargon sophistiqué pour faire penser que leur action est éclairée et complexe, quand elle est d’une grande pauvreté intellectuelle et d’un grand simplisme, consistant en une diminution des coûts par principe, sans amélioration technique ou commerciale réelle. 

Ils adoptent une attitude hautaine, en considérant que leur « niveau » n’a pas à se mêler de celui des opérationnels. Mais cachent de cette façon la peur qu’ils ont de leurs propres équipes, dont ils savent que les meilleurs éléments sont ceux qui produisent réellement de la valeur.

Ils se gargarisent de « vision » et de « stratégie », termes davantage destinés à leur propre mise en valeur médiatique qu’à une réelle conduite d’entreprise. Le niveau stratégique ne commence qu’avec la maîtrise complète de son métier et de son domaine, de ceux qui ne séparent pas la conception de la parfaite exécution et assument l’entière responsabilité de l’ensemble.

On devrait rappeler à de tels « dirigeants » la phrase célèbre de Thomas Edison : « Une vision sans exécution s’appelle une hallucination. » Les prétendus « cercles de la raison » sont ceux de l’imbécilité et de la boursouflure érigées en système : la raison en entreprise commence par une exigence vis-à-vis de soi qui permet de rentrer dans le cœur des procédés de conception et de fabrication, elle ne se trouve pas dans une superficialité complaisante et narcissique, masquée par de pompeux « grands équilibres » financiers.

Les qualités d’un vrai dirigeant sont simples à comprendre, mais difficiles à mettre en œuvre.

Il s’agit d’aller sur le terrain et de comprendre le métier des hommes. Mais pour cela il ne faut pas avoir peur d’être contredit, il faut être capable de rentrer dans les sujets de fond, sans perdre le cap. Les communico-financiers s’arrangent pour qu’une couche de « gouvernance » purement financière prenne des décisions de façon totalement séparée de ceux qui exercent le métier de l’entreprise. Un tel dispositif présente le double avantage de les dédouaner de leurs responsabilités – de tels « patrons » deviennent clients et non plus meneurs d’hommes de leurs équipes – et de les séparer des opérationnels dont ils ont peur. Les véritables capitaines d’industrie se trouvent au cœur de l’action opérationnelle, c’est pourquoi les communico-financiers qui les surplombent avec morgue sont terrifiés par une confrontation avec eux : ils craignent que l’imposture de leur présence aux leviers de décision ne devienne de plus en plus claire. Les entreprises mal gérées tendent à remplacer les opérationnels par des coordinateurs généralistes totalement interchangeables, ne gérant plus que des contrats d’externalisation. L’entreprise se voit alors vidée peu à peu de ses compétences et de son cœur de métier, au profit de « l’intégration » et du « management ». Ceci est un paradis pour les communico-financiers, qui ne se voient plus menacés par l’exemple d’hommes plus compétents qu’eux, et peuvent manipuler à leur guise des employés substituables. Les profils valorisés dans de telles entreprises sont narcissiques et égotistes, car il ne reste plus que ces facteurs qui différencient les hommes, non les qualités de ténacité, d’anticipation, d’évaluation exacte des actions à mettre en œuvre. Le paradis néo-libéral n’est pas la libération et la confrontation des excellences, mais l’aplanissement sous le règne de managers indistincts et indéfiniment interchangeables. 

Un dirigeant véritable sait également faire respecter l’autorité sans sacraliser la hiérarchie. Fabrice Brégier est connu pour être très directif, une poigne de fer, souvent dur avec son comité de direction immédiat. Tous pourtant respectent cette autorité, même si elle fait souffrir l’ego, car celui qui l’exerce ne le fait pas pour lui-même mais parce qu’une raison liée à la qualité des produits qu’il fabrique est en jeu. Parce qu’il maîtrise son sujet, le vrai dirigeant sait faire comprendre dans chacun de ses actes qu’il sert des intérêts communs qui vont au-delà de sa personne. Un communico-financier ne sait exercer l’autorité que de façon arbitraire, car elle ne repose sur aucune base réelle : ses décisions financières sont sans rapport avec la façon dont les produits sont conçus et fabriqués, et sont myopes quant aux possibilités d’évolution des dits produits. C’est pourquoi le communico-financier se montre généralement autocratique et tyrannique, sur les seuls terrains de l’ego et non du contenu : la colère capricieuse du tyran est d’autant plus forte que son imposture d’être au poste de décision est élevée. Cet autoritarisme hystérique et imbu de lui-même est de nos jours confondu avec la véritable autorité, intransigeante mais digne, tout comme l’ego est confondu avec la véritable personnalité. 

Il faut enfin être patient, savoir sortir son produit ni trop tôt ni trop tard, en ayant une évaluation juste de l’effort que nécessite chaque réalisation par ses équipes. Fabrice Brégier a dû ainsi évaluer en permanence le juste équilibre entre la pression d’un marché le poussant à sortir vite l’A350, et des décisions de volontairement le retarder tant que des éléments clés de la conception de l’avion présentaient un risque de défaut. De tels ajustements à la fois puissants et fins sont impossibles sous une gouvernance communico-financière, qui privilégie les apparences, les résultats à court-terme et peut anéantir des efforts patiemment accumulés parce qu’elle est incapable d’en voir le but. Lorsque l’on n’a pas fait l’effort de comprendre les métiers des hommes, l’on est également incapable de véritables anticipations et l’on devient le jouet des apparences immédiates. Les « cercles de la raison » sont en réalité ceux des décisions irréfléchies, prises à l’emporte-pièce sous un vernis de rationalité financière.

A l’heure où de pseudo-dirigeants putatifs se battent pour la taille de leur bureau ou pour le privilège de monter seul les marches du festival de Cannes, à l’heure où des dépravés dépècent et abandonnent en prenant la fuite des fleurons industriels d’importance stratégique pour empocher le prix de leur trahison, où des décadents voguent de retraites chapeaux en jetons de présence sans aucun résultat, il est bon de montrer en exemple à tous ceux-là ce qu’est un véritable dirigeant.

De ces caractères modestes mais intérieurement très déterminés, spartiates, âpres à la tâche, véritablement réfléchis car aguerris à l’expérience de terrain. Des hommes de fond, des hommes d’honneur, dotés d’une colonne vertébrale et du courage au ventre, de ceux qui dans un autre temps ont fait la France. Fabrice Brégier est l’un de ceux-là. 

Trop souvent les français s’enfoncent dans une résignation complaisante, dans une fatalisme du fait du prince, croyant que cette ambiance délétère et corrompue a toujours été, qu’il faut s’accommoder et se résigner à des dirigeants lâches, boursouflés et imbus d’eux-mêmes, incapables mais habiles à la rhétorique en leur faveur. Des hommes comme Fabrice Brégier nous montrent qu’il n’y pas à se résigner et que les cyniques n’ont pas de mémoire : la France fut dirigée en d’autres temps par des hommes d’une autre trempe. Lorsque l’un d’eux surgit aujourd’hui, il devient d’autant plus éclairant pour ceux qui savent voir, par le seul contraste qui distingue les éléments rares.

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