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mercredi 3 décembre 2014

CONCURRENCE ET COMPETITIVITE : 4 LIEUX COMMUNS REVISITES

1         Les deux principes de l’économie de marché

Toute économie de marché est fondée sur deux principes, l’un sans cesse brandi et loué par les néo-libéraux, l’autre beaucoup moins connu et mis en avant, qui en est pourtant le véritable moteur.

Ce n’est que de la tension entre ces deux principes, d’ailleurs contradictoires, que provient toute création de richesse et toute économie bien gérée.

La méconnaissance de ces deux forces contraires et de leur tension dynamique pour animer le moteur économique est la misère du néo-libéralisme, qui lui préfère la vénération abêtissante d’une seule idée.

Il est vrai que se prosterner indéfiniment devant un principe unique doit avoir pour eux quelque chose de rassurant, à la mesure de la capacité et de la force de leur esprit. Afin de déjouer la bêtise de ces dévots, explorons ce qu’est la véritable tension créatrice de l’économie.


1.1       Le premier principe : la libre concurrence

Celui-ci est le plus connu et le seul mis en avant par les néo-libéraux. Dans la pensée libérale, la libre concurrence est supposée apporter une prospérité constante et réaliser la meilleure répartition des ressources économiques disponibles. Le raisonnement en est simple, et peut s’exposer selon deux arguments :

1.1.1       L’ajustement de l’offre et de la demande

La libre concurrence est le mécanisme qui permet d’ajuster le plus finement, le plus rapidement et le plus efficacement l’offre à la demande : les besoins des consommateurs sont satisfaits du fait que les offrants étant constamment en concurrence, ils doivent adapter ce qu’ils proposent. La libre concurrence agit comme un aiguillon poussant ceux qui produisent à être plus performants, de peur qu’une autre offre ne leur soit préférée.

1.1.2       L’ajustement des prix

Les prix auxquels les biens produits sont vendus s’ajustent également le plus rapidement possible, une différence de prix qui ne serait pas justifiée étant tout de suite sanctionnée par une attractivité moindre.

Il y a une part véridique dans le raisonnement de la libre concurrence, si l’on considère que c’est l’un des mécanismes – et non le seul – de la dynamique économique, et si l’on considère que c’est seulement un moyen de fixation des prix et du rapport offre / demande et non une fin.

La part véridique est ce que Paul Watzlawick appelait « l’argument du thermostat ». Je peux régler la température de ma pièce avec un radiateur de deux façons. Soit je développe un modèle extrêmement compliqué de météorologie et essaie de prévoir exactement le temps qu’il fait, afin de fixer à tout moment la température adéquate du radiateur. Soit j’emploie un mécanisme bien plus simple mais efficace : un thermostat : je fixe seulement un seuil de température, et tant que la pièce est moins chaude que ce seuil, j’active mon radiateur, tant qu’elle est plus chaude je l’éteins. Je ne cherche pas exactement à savoir comment cela s’ajuste, ni à connaître la loi d’évolution de la température. Je sais seulement que la température de la pièce sera à peu près celle désirée, sans trop d’écarts.

L’argument du thermostat permet de comprendre que toute économie nécessite de s’en remettre à un minimum d’ « auto-organisation », et qu’une économie totalement planifiée n’est pas possible. Lorsque de très grandes organisations sont en jeu, la complexité des paramètres en présence est telle qu’une planification totale reviendrait à vouloir prévoir exactement le temps qu’il va faire. Nous savons depuis la connaissance des systèmes chaotiques que cela n’est pas possible. Des mécanismes d’auto-ajustements, tels que ceux du thermostat, sont nécessaires. Ils sont du reste largement employés dans tous les organismes vivants, qui sont une collection de très nombreux thermostats maintenus dans un équilibre fin.

Nous reconnaissons le fameux argument d’Adam Smith en faveur de « la main invisible », décrivant l’auto-ajustement du système économique. De fait, et c’est cela qui a souvent fasciné la pensée libérale, ce sont des mécanismes très efficaces de répartition des prix et d’ajustement à la demande, permettant d’écouler en quelques heures une très grande masse de biens sans un système compliqué de répartition.

Si l’on admet qu’elle est un mécanisme important, mais un mécanisme parmi d’autres et non le seul, et encore moins une fin en soi, l’argument du thermostat exprime la part de vérité de la libre concurrence. Il faut en retenir que toute économie ne peut se passer d’un certain degré d’auto-organisation. Adam Smith lui-même, et cela a été relevé aussi par « l’œil de Brutus » dans un article antérieur, n’a jamais considéré que la « main invisible » était l’alpha et l’oméga de la vie économique et sociale : il serait consterné pas la stupidité et le caractère primaire des néo-libéraux qui se réclament de lui. Car il connaissait l’existence d’autres forces agissant sur l’économie, dont celle qui va suivre.

1.2       Le deuxième principe : La création de valeur. Le paradoxe concurrence versus compétitivité

Dans l’exposé de l’économie de marché, c’est toujours le principe de la libre concurrence qui est présenté en premier. Or, et cela est finalement peu connu, une économie de marché ne peut fonctionner sur la seule libre concurrence. Un second principe indispensable et trop souvent passé sous silence, est celui de la création de valeur.

Un entrepreneur, un homme qui cherche à réaliser une idée nouvelle sur un produit ou un service, souhaite engranger un bénéfice du fait que son idée se différencie de l’offre existante. Ce souhait est légitime, le concepteur et producteur d’un nouveau produit ou service devant toucher le bénéfice d’une initiative dont il est à la source. Or s’il est plongé dans un marché de concurrence « pure et parfaite », ce qui le différencie sera immédiatement absorbé : dans ce type de marché, la circulation de l’information est supposée immédiate et complète, il ne pourrait donc conserver longtemps le secret de son idée et de ses procédés de fabrication. L’ajustement des prix et l’apparition de produits similaires et concurrents fera chuter très rapidement sa marge, jusqu’à un bénéfice nul. La « concurrence pure et parfaite » chère aux néo-libéraux aboutit à un nivellement de la valeur, aboutissant à ce que le concepteur d’une nouvelle idée n’ait aucun intérêt à la réaliser : le bénéfice de son idée serait presque immédiatement raboté par le jeu de la concurrence, dès son apparition.

Ce problème a été repéré très tôt par Joseph Schumpeter. Le concepteur d’un nouveau produit ou service ne toucherait presque rien pour son innovation en situation de concurrence parfaite : la concurrence absolue décourage l’initiative. Si au contraire il cherche à protéger à toute force son innovation, il bloquera l’échange d’information sur son produit et la réalisation de produits similaires par tous les moyens possibles, ce qui aboutira à une situation de monopole, une rente de situation.

La dynamique de l’économie oscille toujours entre ces deux extrêmes, dont aucun n’est souhaitable : la concurrence absolue, qui ne récompense pas l’initiative et la créativité, celles-ci étant immédiatement « aplaties » par l’apparition de produits concurrents, et le monopole qui crée des rentes de situation. Tout l’art de l’économie, souligne Schumpeter, est de se placer dans un juste milieu entre monopole et concurrence sauvage en offrant une « quasi-rente » à l’entrepreneur ou à l’innovateur : il faut que son innovation soit protégée suffisamment longtemps pour qu’il en touche le juste fruit, mais pas trop pour qu’elle ne dégénère pas en abus de position dominante. Ce n’est qu’à cette condition que l’économie est créatrice de richesse.

Dès lors, la description correcte du fonctionnement d’une économie de marché n’est pas une ode perpétuelle à la libre concurrence, mais la compréhension de cette tension constante entre deux forces contradictoires : la création de valeur, qui insuffle la richesse dans l’économie, et la concurrence, qui la répartit et la consomme. Un entrepreneur mettant sur pied une idée nouvelle ne peut être exposé facialement à la concurrence – il perdrait le fruit de sa découverte – ni indéfiniment protégé. Il est bon qu’il expose son innovation à la concurrence, afin de la tester, mais doit conserver un temps privilégié pendant lequel son produit reste unique, de façon à rentrer dans son investissement. Une économie de concurrence permanente découragerait très rapidement la prise d’initiative et l’innovation, contrairement à l’antienne néo-libérale.


2         Quatre lieux communs revisités

2.1       La concurrence ne crée pas de richesse en soi

Comme nous venons de le voir, ce n’est pas la concurrence qui est créatrice de valeur. Seule l’inventivité humaine l’est. La concurrence est au contraire ce qui consomme la valeur, c’est-à-dire ce qui la nivelle, puis la détruit. Ce rôle n’est pas que négatif : elle permet d’éviter les situations de monopole ou d’abus de position dominante, en poussant celui qui a introduit une innovation à ne pas rester indéfiniment barricadé dans l’avantage qu’elle lui procure. Mais ce n’est pas à elle que l’on doit la source d’un bienfait, elle n’est qu’un mode assez efficace de répartition et de consommation de ce bienfait, non son origine.

Il est toujours assez risible de voir ainsi des néo-libéraux s’agiter, cravate au vent, en chantant l’ode à la concurrence et de la relier à l’esprit d’entreprise. L’esprit d’entreprise vient de la seule force de la créativité humaine, qui ne produit un fruit seulement lorsqu’elle s’est soustraite pendant un temps assez long, … à la concurrence. La concurrence n’est, en tant que telle, qu’une force de destruction et de consommation comme l’est le feu : utile pour libérer l’énergie du bois et la diffuser, mais n’ayant rien à voir avec le lent processus qui a conduit à la croissance d’un arbre, destructeur et incendiaire s’il est perçu comme une fin en soi.


2.2       Etre en concurrence constante ne rend pas compétitif, au contraire

Un entrepreneur se soumettant en permanence à la concurrence ressemblerait à un athlète n’alternant jamais la tension et le relâchement, mais étant perpétuellement sous tension : il brûlerait rapidement toutes ses ressources, et ses muscles se crisperaient rapidement jusqu’à la crampe paralysante.
Le secret de la compétitivité consiste à demeurer pendant un temps assez important en dehors de toute notion de concurrence, avant de se lancer sur le marché.

Un véritable concepteur et un véritable entrepreneur ne poursuit jamais au départ un but intéressé : il est habité par une sorte de passion de son produit et de son idée, qui le poussera à la chérir et à la peaufiner jusqu’à une quasi-perfection. Il ressemble en cela à une sorte d’artiste dans son atelier : paradoxalement, c’est en ne cherchant pas à tout prix à être compétitif qu’on le devient, c’est en ne cherchant pas l’intérêt immédiat que l’on touche des richesses, c’est en n’étant pas obnubilé par un score et un classement que l’on en franchit les étapes sans même s’en apercevoir.

Cette vision n’a rien d’idéaliste. Un Steve Jobs a toujours expliqué qu’il n’a jamais recherché au départ à remporter des sommes considérables d’argent, ni à se comparer aux autres, mais avant tout à rechercher une forme de perfection dans ce qu’il produisait.

A contrario, celui qui ne cesse de se comparer et à briguer un classement et des médailles plafonnera rapidement, car il passera l’essentiel de son énergie à cette « activité » plutôt qu’à la création de quelque chose de véritablement nouveau. Il faut ne pas se préoccuper de la compétition pour être compétitif, et il ne faut pas rentrer immédiatement et aveuglément dans le jeu de la concurrence pour survivre à la concurrence.

Il existe à ce titre une différence de mentalité intéressante entre la vision pervertie par le néo-libéralisme et certaines traditions asiatiques. Dans la plupart de nos sociétés prétendument « évoluées », comme se plaît à le revendiquer l’idéologie néo-libérale, louer les bienfaits de la concurrence « fait sérieux ». Le discours de la concurrence est relié à un esprit de responsabilité, à une connaissance du monde réel, à une expérience du monde de l’entreprise. Ceux qui le tiennent aiment à prendre des postures d’ « endurcis ».

Dans la tradition des arts martiaux japonais ou chinois, la concurrence et l’esprit de compétition sont perçus exactement de façon contraire : ils sont considérés comme le fait de personnalités un peu puériles, instables, ayant besoin de signes de reconnaissance externes, colifichets et médailles, pour se sentir valorisés. Du reste, il est assez facile de les manipuler avec de telles « récompenses », qui pervertissent leur comportement. Dans ces traditions, l’homme de valeur est celui qui recherche avant tout le perfectionnement constant de son art et de lui-même, indépendamment du jeu des récompenses et des classements. Les compétitions sont considérées à ce titre comme une sorte de jeu puéril. Cette vision du monde provient de l’origine même des arts martiaux : ils ne sont pas un jeu, car à l’époque de leur naissance, la vie et la mort en dépendaient. La recherche d’ultimes perfectionnements prenait alors le pas sur les courses puériles.

Ceux qui sont de véritables entrepreneurs, ceux qui connaissent le monde de l’entreprise autrement que par le discours, ceux qui sont les véritables « endurcis », sont pareils aux anciens maître d’arts martiaux. Ils regardent avec mépris les petits bavards s’agiter autour de leur activité en louant « l’esprit de compétition », comme les poilus et les légionnaires regardent avec mépris les postures agressives et prétendument martiales de ceux qui n’ont jamais connu le feu. Les véritables combattants sont discrets et pudiques, c’est à cela qu’on les reconnaît, et la méconnaissance des vraies batailles se traduit toujours par un discours boursouflé : les va-t-en guerre ont toujours été les planqué de l’arrière, dans la guerre militaire comme dans la guerre économique.

« L’efficacité » dont se targuent les néo-libéraux n’a pas plus de réalité que le vide de leur pensée. Tout ce qui est efficace en économie est produit par des hommes de valeur faisant exactement le contraire de ce que préconisent les néo-libéraux, mais dont les fruits sont récupérés par ceux qui ne savent que discourir et en attribuent stupidement le mérite à la concurrence.

Enfin la prétention à un mode « avancé » de civilisation par les néo-libéraux est l’imposture la plus ridicule qui puisse être imaginée. Ce qui a permis à l’occident de développer ce qu’il a produit de valable a toujours été dû à des hommes similaires aux maîtres d’arts martiaux, non à des cliques d’opportunistes agités. Il y a un pendant dans les sciences, les arts ou l’économie de ce que nous décrivons dans l’esprit des arts martiaux : des hommes cherchant à perfectionner sans cesse leur discipline et à travers cette recherche à se perfectionner eux-mêmes, sans recherche initiale d’honneurs ou de richesses. Si celles-ci viennent tant mieux, mais elles ne constituent en rien le but et le moteur de tels hommes. Fidèles à cet esprit, le perfectionnement dans leur art en dehors des calculs humains les a d’abord guidés. Par la suite, ils ont confronté leurs conceptions à celles du monde. Mais jamais en faisant de cette mise en concurrence l’origine de leur recherche.

Du reste, ceci n’est pas l’apanage de l’occident : toute civilisation a produit des réalisations de valeur lorsqu’elle a été guidée par des hommes agissant dans cet esprit. L’établissement de sociétés régies par le droit et promouvant la connaissance et le courage, sous toutes les époques et contrées, a été le fait d’une forme d’esprit stoïcien et d’une notion d’homme de bien, quel que soit le nom qu’il porte. Des personnalités telles que celles du grand peintre Hokusai, ou plus proche de nous d’un Hayao Miyazaki en sont une bonne illustration.

Les néo-libéraux vivent quant à eux au crochet de cet héritage, pillant et détruisant en quelques années ce qu’une civilisation a mis des siècles à construire, s’arrogeant de surcroît le titre de sommet du monde civilisé, alors qu’ils lui ont inoculé la barbarie et la bassesse. Ils parlent de prise d’initiative et d’autonomie, alors qu’ils ne font qu’usurper l’héritage et les réalisations d’hommes bien meilleurs qu’eux, de courage alors qu’ils ne progressent que par de serviles combinaisons, d’état de droit alors qu’ils ne font qu’en ânonner les formes et le mettre à sac dans les faits. Peu de fois dans l’histoire aura-t-on vu une aussi éclatante illustration de la célèbre expression : « big mouth and no guts ».


2.3       La concurrence « pure et parfaite » n’est pas le point naturel de l’équilibre économique

En théorie économique dite « classique », c’est-à-dire celle dont s’inspirent généralement les néo-libéraux, il est fait référence à une sorte de schéma idéal, de référence intangible, qui est l’état de « concurrence pure et parfaite » (le titre est déjà en soi tout un programme). Dans cet état, toutes les entités économiques sont en concurrence permanente, l’information circule à la vitesse de l’éclair, les biens produits sont indifféremment substituables. Selon les néo-libéraux, il s’agit du modèle « idéal » de société, qu’il n’est jamais possible de complètement atteindre, mais dont il faudrait se rapprocher le plus possible. Si la plupart des néo-libéraux admettent qu’il subsiste toujours des « impuretés » et que le modèle idéal ne peut se réaliser parfaitement, les écarts doivent être le plus réduits possible pour se rapprocher du paradis total du libre marché.

Autrement dit, ce qui nous éloigne encore de la concurrence pure et parfaite n’est qu’un résidu, une scorie, autour d’une colonne parfaite et unique censée représenter l’essence de l’économie. Tout le « travail » de l’économiste sera alors de calciner le plus étroitement possible ces variations impures autour de la colonne lumineuse de l’économie, l’humanité devant être éclairée par le progrès et les lendemains qui chantent que nous apporteraient le libre marché, associés dans une même confusion d’esprit à la civilisation, à l’ouverture aux autres et à l’état de droit. Selon le principe bien connu de terrorisme intellectuel selon lequel « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous », tout ce qui pourrait s’opposer ou entraver cette marche grandiose doit être considéré comme force de réaction, de fermeture aux autres et d’entrave au progrès, ne méritant que l’éradication totale.

Ce beau « modèle » représente en réalité une fermeture d’esprit idéologique digne des khmers rouges, et est responsable de dégâts assez comparables.

En premier lieu, le modèle de la concurrence pure et parfaite est faux dans sa construction même. Il ne représente aucune réalité économique. Nous ne parlons pas du fait qu’il présente toujours des imperfections résiduelles, car alors l’on pourrait considérer qu’il est une bonne approximation de la réalité. Non, il présente une erreur intrinsèque dans ses hypothèses fondatrices. L’information imparfaite, les économistes parlent d’information asymétrique, est le moteur, l’essence même de l’économie, non une imperfection de second ordre venant perturber une tendance idéale de premier ordre. Comme l’avait remarqué Schumpeter, c’est parce que l’innovateur préserve pendant un temps assez long le secret ou le droit sur son procédé de fabrication qu’il en touchera la juste récompense : l’esprit d’entreprise n’est encouragé que si toute initiative permet de garder une avance suffisamment durable. La concurrence parfaite n’est en rien la récompense des meilleurs mais celle des faussaires, qui imitent une innovation presqu’au moment même où elle est sortie. La stratégie gagnante n’est pas dans ce cas de faire preuve d’initiative et d’esprit de décision, mais de dérober et d’usurper ce que les meilleurs ont inventé et produit, par un pillage industriel ou par des actions de communication tonitruantes visant à faire croire que l’on est à l’origine de la percée.

Ceux qui sont les véritables acteurs de l’économie, c’est-à-dire qui produisent, innovent, pilotent des projets, font aboutir des livrables, savent en voyant le modèle de concurrence pure et parfaite que « cela ne se passe pas comme cela ». La marche de l’économie et de l’entreprise est pleine d’informations masquées ou protégées, permettant à ceux qui ont effectué une percée de la faire valoir. Le jeu consiste à avoir toujours un temps d’avance dans l’information vis-à-vis des concurrents. Et ceci n’est pas une simple « impureté » sur un modèle prétendument parfait. C’est le moteur même de l’économie, sans lequel prendre une initiative et se différencier de l’offre existante ne serait tout simplement pas possible. La « concurrence pure et parfaite » est à ranger dans le même magasin que le mouvement perpétuel ou la quadrature du cercle.

Les économistes renfermés dans la théorie universitaire ou les hommes fascinés par le seul pouvoir mais qui ne produisent rien, tels ceux des instances européennes, sont quant à eux aveuglés par le lyrisme d’une idéologie agglomérant pêle-mêle libre concurrence, progrès social, état de droit et ouverture aux autres, dans un galimatias informe. Tandis qu’en imposant un tel modèle, ils ne voient pas qu’ils détruisent l’initiative et l’esprit d’entreprise, donnent l’avantage aux faussaires et aux usurpateurs sur les vrais entrepreneurs, recevant en boomerang le masquage de l’information mais cette fois dans ce qu’elle a de pire : celle des truqueurs, pilleurs et usurpateurs de la valeur, dans une société de défiance permanente, pilotée par des individus louches au profil de chef de gang. Egalement, le nivellement par le bas et la standardisation complète des produits est le résultat observé d’une société ne s’en remettant qu’à la libre concurrence. Le retour à la réalité est brutal, car l’on ne triche pas impunément avec la guerre pour l’information, qui fait valoir sa logique.

Dans la véritable économie, il existe bien une compétition, mais qui ne ressemble en rien à celle décrite par les néo-libéraux. Elle n’en est pas moins féroce, mais obéit à des règles toutes autres que celle de la « libre concurrence ». Elle s’appelle « concurrence monopolistique », dans le jargon des économistes universitaires, pour ceux qui ont été un peu plus fins et un peu plus au fait du monde réel de l’entreprise. Dans la concurrence monopolistique, l’auteur d’une avancée technologique ou commerciale va tout faire pour que de nouveaux entrants ne viennent pas produire des biens similaires aux siens, par les moyens du secret industriel, de la guerre de brevets ou de licences d’exploitation, ou par des politiques de rachat massifs des petites sociétés qui pourraient présenter un danger à terme.

Le paysage économique qui se dessine est non pas celui de cette multitude de sociétés en concurrence permanente assurant des prix compétitifs et un choix renouvelé pour le plus grand bien des consommateurs, mais celui d’oligopoles de quelques sociétés phares dans chaque secteur voire de quasi monopoles. L’industrie digitale en est un excellent exemple, avec des sociétés telles qu’Apple, Google ou Microsoft. Qui pourrait aujourd’hui concurrencer Google sur la plupart de ses terrains de développement ? Même des start-up prometteuses qui commenceraient de le faire seront très vite rachetées à prix d’or par le géant de Mountain View, afin de prévenir toute velléité de concurrence. Si un Serguei Brin et un Larry Page voyaient le jour aujourd’hui, ils n’auraient aucune chance de s’imposer, les deux fondateurs d’origine ne laissant aucune possibilité à ceux qui pourraient leur ressembler.

La concurrence monopolistique rend bien mieux compte de la tension entre les deux modèles extrêmes que sont la concurrence pure et parfaite et le monopole : l’économie réelle consiste en un ajustement entre ces deux tendances ataviques et contradictoires. L’auteur d’une innovation cherchant à préserver son avance par tous les moyens, et de nouveaux entrants cherchant par tous les moyens à le concurrencer et à piller sa découverte. La prospérité provient d’un juste équilibre entre ces deux tendances, toutes deux intolérables lorsqu’elles sont prises seules.

L’imbécilité des néo-libéraux est d’avoir nié ce qui a été démontré par les faits et l’expérience historique. Une tentative de libéralisme total et sans frein fut essayée dans la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis. Elle obligea le gouvernement américain à intervenir vigoureusement par le moyen du Sherman act en 1890, complété par le Clayton act en 1914. Que sont ces deux législations ? Celles connues plus communément sous le nom de « lois anti-trust ». Le libéralisme total, la main invisible à laquelle on n’opposerait aucun frein, ne converge pas naturellement vers un paysage de sociétés multiples permettant les bénéfices supposés de la concurrence pure et parfaite. Il converge vers une hyper-concentration des pouvoirs entre quelques mains, des trusts agissant en situation de quasi-monopole et protégeant leur position dominante au moyen de l’entente illégale sur les prix, du rachat, du dumping et du blocage de l’information. L’équilibre économique n’est donc en rien le résultat d’une évolution naturelle, il nécessite des règles pour fonctionner et éviter les gouffres vers lesquels il est naturellement entraîné.

Du reste, tout ceci n’a rien de surprenant : les supposées lois économiques du néo-libéralisme sont réfutées par des lois bien plus anciennes et avérées par l’expérience : les lois de la guerre et du combat, codifiées depuis Sun-Tzu jusqu’à Clausewitz. Et celle-ci stipulent que le premier élément de toute stratégie est de masquer l’information, de se rendre le moins visible et identifiable possible, de feinter. C’est-à-dire de créer en permanence des situations d’information asymétrique. En niant cette réalité, les néo-libéraux la reçoivent en retour dans toute sa violence. Il ne faut idéaliser en rien le monde économique, qui est une guerre sans merci, et comme toute guerre, un combat avant tout pour l’information et le temps d’avance que l’on aura sur elle. Ce combat peut apporter une forme de prospérité, si des règles sont établies qui en équilibrent les forces et qui n’ont rien de naturel. Faute de quoi, il convergera naturellement vers une bête et prévisible guerre de prédateurs et de seigneurs de la guerre, sans vision et sans grandeur, entraînant le reste du monde dans leur puéril égo.

2.4       Rester compétitif implique d’intervenir dans l’économie

La vraie vie étant celle de la concurrence monopolistique, la clé de la compétitivité n’est pas le non interventionnisme de l’état, mais son action sur des éléments clés.

La plupart des nations fortes en économie ont un état interventionniste, à commencer – et la désinformation est à ce titre extraordinaire – celui des Etats-Unis. Les Etats-Unis faussent en permanence les règles de la « libre concurrence » en subventionnant massivement leurs industries en difficulté (cf l’exemple récent de General Motors parmi d’autres, qui aurait purement et simplement disparu sans l’intervention de l’état fédéral), en protégeant leurs secrets industriels par tous les moyens, en sponsorisant publiquement la R&D dans des proportions sans commune mesure avec celle de l’Europe, en empêchant des concurrents étrangers de déployer des produits ayant trop de succès sur leur territoire, sous des prétextes légaux (cf l’exemple du Concorde, également je conseille au lecteur curieux de se renseigner par lui-même sur la genèse du « Roi Lion », qui n’est nullement une création de Disney mais du créateur japonais de mangas, Osamu Tezuka).

Lorsque l’on a compris que le paramètre essentiel de l’efficience était de garder un temps d’avance dans la guerre de l’information et de l’innovation, il s’en suit naturellement que l’état peut intervenir très favorablement dans cette guerre, par les moyens qu’il est le seul à posséder d’importation, de réglementation de la production sur le territoire, d’espionnage industriel, d’injection de capitaux publics , ou bien par des moyens qu’il n’est pas le seul à pouvoir mobiliser mais dans lesquels il possède une puissance majeure, telle que le mécénat de la R&D et la détection de nouveaux talents.
Nombreux sont ceux qui ont souligné par exemple le rôle du MITI dans l’essor du Japon, jouant le rôle d’une pépinière qui permettait aux innovateurs de rester protégés un temps de la concurrence faciale, afin de prendre leur essor.

Un autre bon exemple fut celui de la Corée du Sud après la crise asiatique de 1997. Après l’intervention désastreuse (comme à son habitude) du FMI, démantelant des appareils gouvernementaux qui assuraient la compétitivité de la Corée en concurrence monopolistique, la Corée finit par faire sortir énergiquement les « experts » du Fonds et par appliquer une politique d’indépendance et de spécialisation de leur marché sur ses forces, employant des institutions gouvernementales semblables au MITI japonais, privilégiant les programmes éducatifs et de formation. Une fois les brillants experts du FMI remerciés et après l’application d’une politique d’indépendance exactement contraire, la Corée put repartir avec le résultat que l’on connaît.

Mais pourtant les Etats-Unis tiennent le discours de la libre concurrence et du marché ouvert ? Oui, en tant que discours uniquement, qu’ils sont les derniers à s’appliquer à eux-mêmes : c’est une excellente fable permettant d’inciter les industries des pays déjà faibles à ouvrir grand leurs marchés sans aucune défense, afin de les piller et de les conquérir intégralement. Les gouvernants américains doivent hurler de rire en voyant la commission européenne continuer de croire à cette histoirette et à l’appliquer consciencieusement. Ils doivent se demander pendant encore combien de temps la supercherie va-t-elle tenir. Tant qu’il se trouve encore suffisamment de gens assez bêtes pour le croire …


3         La stratégie du combattant véritable 

La politique économique menée par Charles-de-Gaulle, sans que le Général soit un grand économiste, est un très bon modèle de survie en concurrence monopolistique. Il est vrai qu’il suffit d’appliquer les lois militaires du combat pour s’y retrouver, sans suivre les pseudo-théories du néolibéralisme.

Interventionniste sans rentrer dans les travers de l’économie planifiée, conservant un temps d’avance dans l’information et l’innovation par la création de filières (nucléaire, aéronautique, ..) et par la protection des jeunes pousses pour qu’elles puissent prendre leur essor, partisan d’un partage prudent de l’information avec des alliés bien intentionnés, le Général menait de main de maître une stratégie de concurrence monopolistique sans le savoir.

Il suffit de comprendre que pour se différencier, il faut être indépendant et consacrer suffisamment de temps à tracer sa propre voie et élaborer la conception à laquelle on croit. Sans cela, rien ne nous distingue des autres, et nous ne pouvons rentrer dans le jeu de la concurrence qu’en bradant notre valeur sur la seule variable des prix. Est-ce si difficile à comprendre pour les néo-libéraux ?


4         L’incompétence totale des dirigeants européens en économie

Il est de notoriété publique que Barroso se signale par une morgue et une attitude méprisante vis-à-vis de ceux qui ont eu affaire à lui. Il ne faut en rien réagir à cela par de l’indignation, ce serait lui faire trop d’honneur. Amusant. Cet individu ex-maoïste passé au néo-libéralisme, très révélateur d’une obsession d’un pouvoir n’admettant aucune contestation, ne mérite lui-même que le mépris dévolu aux minables.

Barroso n’a jamais conduit de véritable activité en entreprise, n’a jamais rien produit de réel, n’a jamais piloté de projet nécessitant le professionnalisme, la rigueur et l’engagement de ceux qui font vivre l’économie. Il a navigué toute sa vie dans des intrigues d’appareil, des institutions ne connaissant rien à la réalité. Il n’a pas la plus petite idée de ce qu’est une véritable stratégie économique, ni de la détermination et de l’imagination que nécessitent la guerre pour le temps d’avance en innovation.

Il ne faut pas arriver auprès de telles personnes avec un sentiment de révolte, ni d’accusation vis-à-vis de la dureté de l’économie de marché : cela ne ferait que le conforter dans le sentiment qu’il serait lui-même un dur se confrontant aux réalités. Tandis qu’il n’est qu’une petite personne, ne s’étant jamais frottée à la vie et au vrai combat, ayant toujours choisi des idéologies sectaires de façon opportuniste sans jamais avoir affronté de véritables contradictions, d’une incompétence totale enfin, vis-à-vis du fonctionnement de l’économie.

Plus que jamais notre attitude ne doit pas être celle de la plainte, même lorsqu’elle prend les habits de la révolte, contre la dureté des réalités. Il faut au contraire avoir la confiance naturelle des hommes libres et déterminés, des véritables combattants qui ont mené toutes les actions économiques déterminantes des dernières années. La supercherie des petits truqueurs de la commission européenne s’effondrera d’elle- même : ils seront comme le petit voyou qui est sûr de lui lorsque sa victime est faible, mais qui est se liquéfie lorsqu’il tombe sous le regard de roc du combattant naturel. J’aime à m’imaginer l’agitation de ces pleutres petits hommes s’ils avaient croisé le regard du Général, lorsqu’ils auraient vu dans ses yeux les horizons des orages mécaniques qu’il avait réellement affrontés comme ceux des temps d’avance décisifs dont il avait doté la France lorsque la bataille était économique.

L’on peut ou non considérer qu’une construction européenne est possible, en tous les cas si elle l’est ce n’est certainement pas dans les termes qu’elle présente aujourd’hui, offrant toutes nos ressources au pillage et à l’aplanissement.

La France a sans doute besoin d’alliés européens, sa seule dimension ne suffisant pas à mener tous ses combats. Si une construction européenne était véritablement efficace, elle commencerait à mettre en place des institutions faussant le jeu de la concurrence pour préserver nos avances dans tous les domaines où nous innovons, comme passent leur temps à le faire les américains.

L’équivalent du MITI Japonais au niveau européen établirait des filières d’excellence, les subventionnerait sans se soucier de l’accusation hilarante de « concurrence déloyale » (celle des Etats-Unis l’est systématiquement), empêcherait le rachat de nos start-up les plus innovantes, mènerait une guerre juridique sans merci pour la protection de nos brevets.

L’Europe serait alors toute autre, faite d’hommes libres, souverains dans leur nation mais ensemble pour la préservation de leur indépendance.

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