Musashi

Une communauté fraternelle d'hommes libres et déterminés, en alternative aux pièges de la société moderne

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mardi 30 décembre 2014

A travers le miroir


 

                                                                                   
1.  Civilisation et barbarie

Le monde moderne aime à se présenter comme l’aboutissement et le gardien de la civilisation. « Moi ou le chaos ». Il ne semble pas se souvenir qu’il doit son existence à l’ancienne tradition de la discussion critique et à la lutte contre l’arbitraire monarchique. Un discours - quel qu’il soit - se présentant comme le seul raisonnable et possible est précisément l’inverse d’un discours civilisé. C’est une barbarie avide, qui a pris une apparence convenable pour mieux parvenir à ses fins.


L’absence d’une recherche sincère du vrai dans le monde moderne se trahit par des contradictions qu’il parvient de moins en moins à masquer.

Ainsi défend-il des valeurs universelles, l’aspiration de tout homme à la liberté, à la justice, à l’égalité devant la loi, contre toutes les formes de communautarisme ou de particularisme.

Fort bien, mais c’est aussitôt pour ajouter qu’il est l’inventeur et le détenteur de ces valeurs. Curieux universalisme, en vérité, que celui qui affirme être universel mais seulement s’il réserve à une minorité d’hommes le privilège d’en montrer la voie.

Le monde moderne montre-t-il un attachement sincère à ces valeurs ? Ou seulement l’attachement flatteur au fait d’appartenir aux classes supérieures, dont l’adhésion à ces valeurs n’est plus qu’un signe extérieur de richesse, une parure qu’il faut posséder entre gens de la bonne société ?

Un universaliste sincère n’aurait pas besoin de marquer d’un titre de propriété les valeurs qu’il défend : il admettrait qu’elles sont une construction commune de l’humanité à travers l’histoire, non la découverte d’une civilisation particulière, qui se trouve comme par hasard être la sienne.

Et il serait heureux de voir éclore ces valeurs dans d’autres civilisations que la sienne, sans y voir une menace pour sa position dominante. La crainte d’être dépassé dans une conviction trahit l’hypocrisie vis-à-vis de cette même conviction, pour cacher le désir le plus banal de dominer.

L’homme moderne est victime d’un réflexe irrépressible : celui de s’auto-promouvoir. Il n’y a plus une seule parole qui ne sorte de sa bouche sans que le désir de s’auto-promouvoir ne précède la conviction sincère, comme l’ombre qui devrait normalement la suivre mais maintenant la précède en tout.

Mais comment lui en vouloir ? Il a été conditionné à cela. Il a pris l’habitude de tenir en permanence un double discours, car sa survie en dépend : le travail d’entreprise dans la société libérale ne consiste plus qu’en cela, au détriment du travail réel.

Il parle de société ouverte. Mais emploie tout moyen masqué pour réaliser son auto-promotion, pour la satisfaction maladive de son besoin de reconnaissance. Par tous les moyens, sans considération aucune pour l’authenticité de ce qu’il a réalisé. Il a pu se vanter des réalisations des autres, obtenir ce résultat par la fraude, par la communication sans action véritable, qu’importe. Du moment que son curseur personnel sur l’échelle factice du monde moderne est à une bonne position.

Il ne vit plus que pour cela, pour une marque sur une échelle graduée, sa vie se résumant à une seule dimension, dont la métrique est décidée par d’autres. Et il dit être libre et être heureux de cela. D'ailleurs la notion d’authenticité n’a plus pour lui, aucun sens. Savoir s’il a bien accompli et franchi la multitude d’étapes nécessaire à toute réalisation de valeur, ou bien triché, cela ne se juge même plus en bien ou en mal, cela est dénué de sens.

Car seule compte la position sur la dimension unique de l’échelle. Fascinante, captivante, hypnotique. Addictive comme un jeu vidéo, car lui susurrant constamment : « que vaux-tu ? », jouant à chaque instant sur sa satisfaction narcissique. Au lieu de « qu’aimes-tu ? », quelle discipline admires-tu, que tu explorerais d’un amour gratuit, sans but et sans retour, pour la seule raison que tu la trouves belle ?

Difficile de défendre les valeurs universelles, mais de ne pas voir les pièges élémentaires de son propre ego. Complexe de prétendre planifier très loin le futur, mais d’être totalement myope sur ses propres désirs de domination. Etrange de dire la leçon sur l’état de droit, mais de ne pas détecter la satisfaction narcissique de s’accaparer à soi seul le droit de le dire.

L’on ne peut vivre dans le déni permanent, dans l’hypocrisie de défendre des valeurs quand on ne défend plus que son petit soi. Alors l’homme moderne s’est donné des ennemis. Comme en photographie, l’image possède son négatif. Et comme en photographie, le négatif est à la fois l’inverse complet de l’image, son opposé parfait, en-même temps qu’il est son double exact, son reflet. Le négatif permet d’engendrer indéfiniment l’image d’origine. Et de l’image d’origine, on peut générer une infinité de négatifs.

L’homme moderne joue ainsi avec sa propre image en négatif, le barbare, le communautariste, l’obscurantiste, le terroriste. Mais il ne voit pas qu’il en est à la source. Que plus il en détruit, plus il en engendre d’autres démultipliés. Il ne voit pas non plus que le négatif est son autre soi-même, son frère, sa copie. Que si les couleurs sont inversées, elles représentent la même réalité, à un niveau plus profond.

Pour voir à nouveau, il faut passer à travers le miroir.


2. A travers le miroir

Image : L’homme « civilisé » du monde libéral, investi dans le jeu de l’économie moderne. Vivant pour sa course aux postes. Sa culture même, n’est plus qu’un instrument permettant de faire partie des classes reconnues.

Négatif : Le barbare islamiste de Daesch, ou les folies meurtrières de Mohamed Merah et de Mehdi Nemmouche.

A travers le miroir : L’homme moderne et le barbare islamiste ont une même origine : un besoin maladif de reconnaissance. Merah et Nemmouche ont à peine lu le Coran, ils n’agissent que pour combler le vide de leur existence, et faire parler d’eux. Eux-aussi veulent coûte que coûte leurs 5 minutes de gloire sur le curseur de la reconnaissance. Ils sont terriblement modernes, ce sont eux aussi des hommes pressés de réussir. L’échelle n’est pas la même mais qu’importe : le piège est construit de la même façon. Une échelle unique, un curseur, un défi flattant leur orgueil et leur ego.

Ils ne peuvent être mis sur le même plan, car les uns n’ont pas tué et les autres sont des criminels ? Oui, assurément : il ne faut pas jouer avec les faits, l’honnêteté nous y oblige. Mais si la responsabilité n’est pas la même, les conséquences sont quant à elles, redoutablement semblables. Combien de vies fracassées dans la logique moderne ? De travail et d’esclavage d’enfants qui ne se réaliseront jamais en tant qu’hommes, de personnes poussées au désespoir, parfois jusqu’à l’acte ultime, de Bhopals à retardement, pour le gain immédiat. Est-ce parce que les tués le sont à petit feu et sous des responsabilités noyées que la logique est si différente ?


Image : La femme libérée et érotisée, également femme active et femme d’affaire

Négatif : La femme cloitrée, voilée, habillée en burqa

A travers le miroir : Deux femmes-objet. Deux sœurs, pouvant se reconnaître, parvenues à des destinations opposées, mais auxquelles on a tendu le même piège. Le porno-chic et la burqa sont deux facettes d’une même médaille : l’utilisation de la femme comme objet, servant les desseins de chacune des sociétés. Femme libre ? N’a-t-elle donc le choix qu'entre le modèle traditionnel du puissant protecteur, et celui de la compétition agressive avec l’autre sexe, pour jouer au même jeu étroit de l’échelle et du curseur ? 

Et si elle disait non aux deux ? Si elle refusait à la fois de se soumettre et de prendre le dessus ? N’accorderait son estime qu’à celui qui s’accomplit dans des disciplines auxquelles elle a décidé par elle-même d’accorder de la valeur, non en fonction de l’échelle sociale ? La libération de la femme ne consiste pas à passer à l’autre extrémité du même piège, à osciller perpétuellement entre les deux bouts de ce même rail.


Image : Le patron de grande entreprise du CAC 40, ou un directeur de l’un de ces grands groupes.

Négatif : Le seigneur féodal afghan, despote et patriarche de sa tribu, s’autorisant tous les trafics (drogue, armes, traite humaine, …). Jouant sur les deux tableaux, ami du pouvoir officiel et des talibans.

A travers le miroir : Une fermeté affichée mais une versatilité incessante dans les faits. Impitoyable avec les subalternes, veule avec les puissants. La lutte pour se maintenir au pouvoir, plus aucun souci d’entreprendre, d’accomplir, de réaliser. Un seigneur de la guerre, c’est-à-dire l’inverse de l’honneur du guerrier. La rapacité comme seul code moral. L’incapacité à maîtriser sa force, c’est-à-dire à être véritablement fort.


Image : Le combattant « légitime », envoyé par la communauté internationale.

Négatif : Le terroriste assassinant des innocents.

A travers le miroir : Bombardiers lâchant ses explosifs à plusieurs kilomètres de distance, dégâts collatéraux, drones, mines anti-personnel. Tuer en toute bonne conscience, pour l’un comme pour l’autre. Combat inégal et déséquilibré, pour l’un comme pour l’autre, menant à l’écrasement complet de l’ennemi, et au massacre de dizaines d’innocents au passage. Une soi-disant guerre qui est l’inverse de l’honneur du guerrier : celui d’un combat face à face, qui permet ensuite la paix des braves. Ont-ils oublié que les croisés et Saladin ont fini par s’estimer réciproquement ? Qu’à cette époque, les deux camps réalisaient qu’une chevalerie existait de l’autre côté ? Des siècles bien avant nous et se déroulant au moyen-âge, mais ô combien plus civilisés que nous.


3. Les conditions du monde civilisé

Je choisis mes buts. Je constitue des communautés de frères dans des disciplines que nous partageons et que nous estimons. Ceci donne un sens à la fois à ma recherche personnelle, et à un but collectif, au sein de ma communauté. Ces communautés centrées sur l’effort et la pratique d’une discipline reine, prennent le pas sur l’échelle sociale, toujours réductrice, appauvrissante et menant à une perversion de la notion de mérite : sur l’échelle sociale, l’on préférera donner tous les gages extérieurs de reconnaissance par des gains faciles et frauduleux, que d’effectuer des accomplissements authentiques.

Je ne confonds pas ego et personnalité. L’affirmation de soi n’est pas celle de l’enfant capricieux, mais de celui qui sait retenir ses buts et ses appétits pour une recherche plus haute qu’il veut faire partager.

Je sais faire la distinction entre usage légitime et illégitime de la force. Les sociétés qui réprouvent tout usage de la force et toute autorité appellent leur lâcheté « humanisme ». Toute civilisation a su se dresser et se tenir debout parce qu’elle avait le courage de s’opposer implacablement à la loi du plus fort, qu’il s’agisse de menaces intérieures ou extérieures. Un discours sirupeux sur l’usage légitime de la force aboutit en boomerang à un usage inique de la force. Après un discours lénifiant ne jugeant personne, une terrible violence est exercée lorsqu’il est trop tard, mais pas à l’encontre de ceux qui l’auraient mérité. Ce sont les victimes ou ceux qui ont respecté les règles qui subissent ce retour de flamme, parce que cela nécessite moins de courage de les affronter.


4. La redoutable puissance du post-modernisme

La vacuité et le simplisme de l’idéologie post-moderne pourraient nous rendre optimistes, et nous assurer de sa fin proche. Il est malheureusement beaucoup plus difficile qu’il n’y parait de s’en débarrasser. Car toute simpliste et vide qu’elle est, elle met en place un jeu trivial mais puissant vis-à-vis de nos émotions, de nos peurs, de notre estime de nous-mêmes.

L’idéologie post-moderne procède d’une demande et d’une motivation au départ très légitime, peut-être la plus légitime de toutes : qu’est-ce que l’accomplissement de soi ? Comment un être humain peut-il se réaliser, dans toutes ses capacités ?

Deux réponses peuvent y être apportées. La reconnaissance sociale dans le regard des autres, ou la recherche du sens. L’idéologie post-moderne consiste à tenir en façade le discours du sens, mais de ne vivre en réalité que par le regard des autres.

Dans le film de Wim Wenders « Jusqu’au bout du monde », les hommes ont mis au point une machine qui permet de visualiser leurs rêves de la nuit sur un écran : une sorte de tablette, déjà. A la fin du film, tous les personnages explorent indéfiniment leur écran personnel, chacun restant seul et isolé de tous les autres, absorbé sans limite dans la contemplation narcissique de ses propres rêves.

Là est la très grande force du post-modernisme : la récupération de nos rêves, et leur normalisation par un placement sur la seule échelle marchande. Le néo-libéralisme joue sur nos rêves d’accomplissement de nous-mêmes, en même temps qu’il les rabaisse et les appauvrit sur une triste échelle dont nous ne décidons pas et qu’il n’est pas possible de véritablement partager. L’orgueil et le sens du défi sont attisés par cet aiguillon, comme le ferait un jeu vidéo addictif. Difficile de ne pas se laisser prendre au jeu de faire le plus haut score pour éprouver ce que l’on vaut. Même si l’on a oublié au passage ce qui faisait la valeur véritable et la richesse de nos rêves.

La société qui nous libérera de ce piège, est celle qui nous rendra le temps qui nous appartient, le temps de partager librement et gratuitement l’accomplissement dans les disciplines que l’on estime, au milieu d’une tribu partageant la même passion. L’accomplissement de soi ne sera alors par récupéré et perverti pour servir les intérêts de quelques-uns. Une communauté qui vivra selon ses propres valeurs, sans haine de la société moderne. Mais en lui faisant comprendre qu’elle ne veut plus rien avoir de commun avec elle.

« Il existe infiniment plus d’hommes qui acceptent la civilisation en hypocrites que d’hommes vraiment et réellement civilisés »


Sigmund Freud

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