Non nobis domine non nobis sed nomini
tuo da gloriam
Carlsen l’a emporté une fois encore, mais son noble adversaire, Karjakin, lui a opposé une résistance comme il n’en avait jamais connue. Le grand maître norvégien a senti le frisson de la défaite lors de la 8ème partie du match, avant de se reprendre et déplacer le terrain de l’affrontement vers les parties rapides, où il est quasiment inatteignable. Ces deux combattants de la boxe de l’esprit nous offrent plus d’une leçon quant à l’actualité quotidienne, en même temps qu’un salutaire recul sur celle-ci.
On loue aujourd’hui la « lucidité » d’un personnage qui n’a
jamais habité sa fonction en quatre ans d’exercice. Carlsen et Karjakin eux, se
doivent à une lucidité de tous les instants, à chaque seconde, non une fois
tous les quatre ans. Ecole de l’objectivité disait Alekhine, les échecs
obligent à une discipline constante sur soi-même, sans concession sur ses
propres failles.
La lucidité leur est un entrainement de survie, non une résignation
finalement prise sous la pression conjuguée de tous ses proches. Quant à
l’élégance d’admettre sa défaite, elle ne se perd pas en justifications
alambiquées, mais se résume en un geste simple : l’adversaire vaincu couche son
roi, comme les antiques rendaient leurs armes sobrement, sans pour autant
renier leur fierté. « Shah Mat », le roi n’a plus de défense :
quel contraste entre cet humble constat et celui du roi qui est nu mais refuse
de l’admettre, même lorsqu’il se démet.
« L'hypocrisie et le mensonge ne persistent pas longtemps sur
l'échiquier. La combinaison créative ne laisse aucune place aux mensonges ; et
la réalité d'un échec et mat confond l'hypocrite. », disait le grand
Lasker. Sur l’échiquier, un candidat qui se dit souverainiste mais suggérait de
compter pour moitié les votes des anciens à la suite du Brexit, y ajoutant la
tartufferie apathienne de préciser qu’il plaisantait, serait vite confondu. Ou
encore un braillard se prétendant proche du peuple et assurant qu’il renversera
la table, mais dont l’un des premiers gestes est de nommer un homme de Golman
Sachs comme secrétaire au Trésor américain. Ces petits hommes disent être des
lutteurs. Ils excellent plutôt dans les compétitions de bassesse.
Les échecs ne permettent pas non plus de tricher avec ses propres
résultats. Celui qui prétend à quoi que ce soit est tenu de le démontrer séance
tenante par les combinaisons de l’échiquier, et reçoit le résultat immédiat de
sa conception et de son action. L’on a beaucoup débattu sur une chemise
déchirée et sur des gestes de colère. L’on a beaucoup moins rappelé ces
« dirigeants » qui n’en n’ont que le nom, se votant augmentation
après augmentation pour se récompenser de leurs échecs, n’assumant ni leurs
résultats ni leurs responsabilités. L’esprit d’entreprise, le vrai, a ceci de
commun avec le noble jeu que l’on est payé exactement de ce que l’on fait, en
bien comme en mal. Rien de commun avec ces petits hommes dont la morgue est à
proportion de l’incompétence, montés à force de parachutage, de cooptation,
sans jamais avoir fait leurs armes. Le véritable entrepreneur et les champions
des 64 cases se rejoignent sur un élément décisif : ils sont entièrement
responsables de leurs résultats et ne peuvent biaiser avec.
La critique de notre monde post-moderne est une navigation à haut risque.
En faire trop peu amène à être complice d’un ordre des choses de plus en plus
inique. C’est ce que les candidats institutionnels et adoubés par le monde
artificiel des média ont payé cher, en France comme aux Etat-Unis. En faire
trop et surtout sans respect de la hiérarchie des faits, des gravités et des
responsabilités, revient à verser au mieux dans la démagogie, au pire dans le
complotisme.
La voie est étroite à celui qui veut se montrer sans concession mais sans
simplisme, tranchant mais patient et sage. Il y a du Kipling, de l’homme
authentique du « If » à celui qui sait concilier cette double
exigence vis-à-vis de soi. Carlsen et Karjakin nous en donnent l’exemple. La
lutte sur les 64 cases habitue aux labyrinthes de la complexité, sans que leurs
murs ne manquent de franchise, a contrario des frontières molles des
compromissions et du relativisme. Une grande partie du drame du monde moderne
est de faire croire qu’il faut choisir entre être déterminé mais simpliste, ou
soucieux de la complexité mais velléitaire. Il faut être tranchant mais
préserver la complexité du réel. Savoir lancer les plus audacieux assauts mais
de façon maîtrisée, sans céder aux solutions faciles.
« Je n’aime pas les gens qui rendent l’eau trouble pour faire croire
qu’elle est profonde » dit le meilleur des sages de Chine. Les médiocres dirigeants
politiques ou économiques de notre temps aiment à dire que le monde est
complexe pour mieux s’exonérer de toute responsabilité ou mieux dissimuler des
turpitudes aux motivations pourtant très simples. La véritable confrontation à
la profondeur du réel ressemble à celle que les champions d’échecs doivent prendre
à bras le corps. La complexité des compromissions et manigances n’en est pas
une : le complexe requiert la lutte avec les angles saillants du sens, non
la bouillie informe des calculs troubles.
Oui Magnus et Sergueï, bien mieux que la Gloire et les Rois, vous êtes deux
magnifiques gardiens du Temple qu’il faut défendre et faire vivre. Merci pour
vos parties et votre exemple d’authentique talent.
Si vous avez aimé cet article, mes deux livres sur le monde de l'entreprise et plus généralement sur les pièges de la société moderne. Egalement disponibles au format Kindle :
La ou les solutions pour rendre de la dignité à la fonction politique sont antinomiques avec le niveau générale de la conscience individuelle que j'observe chez les "dirigents" qui savent que leurs électeurs abrutis par leurs inquietudes journalières,leurs ressemblent par leurs motivations très simples: le gain immediat.
RépondreSupprimerQue de culture et d'histoire ! Je trouve ça super ! J'adore !! En revanche j'adore les coiffure homme bordeaux qui sont en photos pour illustrer votre article :)
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