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vendredi 2 décembre 2016

Les Templiers



Non nobis domine non nobis sed nomini tuo da gloriam


Carlsen l’a emporté une fois encore, mais son noble adversaire, Karjakin, lui a opposé une résistance comme il n’en avait jamais connue. Le grand maître norvégien a senti le frisson de la défaite lors de la 8ème partie du match, avant de se reprendre et déplacer le terrain de l’affrontement vers les parties rapides, où il est quasiment inatteignable. Ces deux combattants de la boxe de l’esprit nous offrent plus d’une leçon quant à l’actualité quotidienne, en même temps qu’un salutaire recul sur celle-ci.


On loue aujourd’hui la « lucidité » d’un personnage qui n’a jamais habité sa fonction en quatre ans d’exercice. Carlsen et Karjakin eux, se doivent à une lucidité de tous les instants, à chaque seconde, non une fois tous les quatre ans. Ecole de l’objectivité disait Alekhine, les échecs obligent à une discipline constante sur soi-même, sans concession sur ses propres failles. 

La lucidité leur est un entrainement de survie, non une résignation finalement prise sous la pression conjuguée de tous ses proches. Quant à l’élégance d’admettre sa défaite, elle ne se perd pas en justifications alambiquées, mais se résume en un geste simple : l’adversaire vaincu couche son roi, comme les antiques rendaient leurs armes sobrement, sans pour autant renier leur fierté. « Shah Mat », le roi n’a plus de défense : quel contraste entre cet humble constat et celui du roi qui est nu mais refuse de l’admettre, même lorsqu’il se démet.


« L'hypocrisie et le mensonge ne persistent pas longtemps sur l'échiquier. La combinaison créative ne laisse aucune place aux mensonges ; et la réalité d'un échec et mat confond l'hypocrite. », disait le grand Lasker. Sur l’échiquier, un candidat qui se dit souverainiste mais suggérait de compter pour moitié les votes des anciens à la suite du Brexit, y ajoutant la tartufferie apathienne de préciser qu’il plaisantait, serait vite confondu. Ou encore un braillard se prétendant proche du peuple et assurant qu’il renversera la table, mais dont l’un des premiers gestes est de nommer un homme de Golman Sachs comme secrétaire au Trésor américain. Ces petits hommes disent être des lutteurs. Ils excellent plutôt dans les compétitions de bassesse.


Les échecs ne permettent pas non plus de tricher avec ses propres résultats. Celui qui prétend à quoi que ce soit est tenu de le démontrer séance tenante par les combinaisons de l’échiquier, et reçoit le résultat immédiat de sa conception et de son action. L’on a beaucoup débattu sur une chemise déchirée et sur des gestes de colère. L’on a beaucoup moins rappelé ces « dirigeants » qui n’en n’ont que le nom, se votant augmentation après augmentation pour se récompenser de leurs échecs, n’assumant ni leurs résultats ni leurs responsabilités. L’esprit d’entreprise, le vrai, a ceci de commun avec le noble jeu que l’on est payé exactement de ce que l’on fait, en bien comme en mal. Rien de commun avec ces petits hommes dont la morgue est à proportion de l’incompétence, montés à force de parachutage, de cooptation, sans jamais avoir fait leurs armes. Le véritable entrepreneur et les champions des 64 cases se rejoignent sur un élément décisif : ils sont entièrement responsables de leurs résultats et ne peuvent biaiser avec.


La critique de notre monde post-moderne est une navigation à haut risque. En faire trop peu amène à être complice d’un ordre des choses de plus en plus inique. C’est ce que les candidats institutionnels et adoubés par le monde artificiel des média ont payé cher, en France comme aux Etat-Unis. En faire trop et surtout sans respect de la hiérarchie des faits, des gravités et des responsabilités, revient à verser au mieux dans la démagogie, au pire dans le complotisme.


La voie est étroite à celui qui veut se montrer sans concession mais sans simplisme, tranchant mais patient et sage. Il y a du Kipling, de l’homme authentique du « If » à celui qui sait concilier cette double exigence vis-à-vis de soi. Carlsen et Karjakin nous en donnent l’exemple. La lutte sur les 64 cases habitue aux labyrinthes de la complexité, sans que leurs murs ne manquent de franchise, a contrario des frontières molles des compromissions et du relativisme. Une grande partie du drame du monde moderne est de faire croire qu’il faut choisir entre être déterminé mais simpliste, ou soucieux de la complexité mais velléitaire. Il faut être tranchant mais préserver la complexité du réel. Savoir lancer les plus audacieux assauts mais de façon maîtrisée, sans céder aux solutions faciles.


« Je n’aime pas les gens qui rendent l’eau trouble pour faire croire qu’elle est profonde » dit le meilleur des sages de Chine. Les médiocres dirigeants politiques ou économiques de notre temps aiment à dire que le monde est complexe pour mieux s’exonérer de toute responsabilité ou mieux dissimuler des turpitudes aux motivations pourtant très simples. La véritable confrontation à la profondeur du réel ressemble à celle que les champions d’échecs doivent prendre à bras le corps. La complexité des compromissions et manigances n’en est pas une : le complexe requiert la lutte avec les angles saillants du sens, non la bouillie informe des calculs troubles.


Oui Magnus et Sergueï, bien mieux que la Gloire et les Rois, vous êtes deux magnifiques gardiens du Temple qu’il faut défendre et faire vivre. Merci pour vos parties et votre exemple d’authentique talent.




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2 commentaires:

  1. La ou les solutions pour rendre de la dignité à la fonction politique sont antinomiques avec le niveau générale de la conscience individuelle que j'observe chez les "dirigents" qui savent que leurs électeurs abrutis par leurs inquietudes journalières,leurs ressemblent par leurs motivations très simples: le gain immediat.

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  2. Que de culture et d'histoire ! Je trouve ça super ! J'adore !! En revanche j'adore les coiffure homme bordeaux qui sont en photos pour illustrer votre article :)

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