Epilogue sur « l’affaire
Morano ».
Les races n’existent pas au sein de l’humanité, pour une raison bien
antérieure aux justifications biologiques, statistiques ou ethniques que l’on
peut avancer. Les races n’existent pas au sein de l’humanité, parce qu’au
commencement était le Verbe. Et ceci n’est pas une justification religieuse,
mais biologique, sur un thème que les sciences du vivant ont formidablement développé,
tout en confirmant la parole de Jean l’évangéliste.
Le vivant est ce qui fait de la matière un instrument au service de l’information
et de la signification. Jacques Monod avait fait la brillante première synthèse
de cette vision dans « Le hasard et la nécessité ». Les progrès de la
biologie, les notions de clés chimiques et les stratégies d’encodage du vivant montrent
que le complexe biochimique dont nous sommes formés n’a pour seul but que
d’assurer des chaînes d’information et de signification. Le corps se fait langage. Si l’idée n’est pas
nouvelle, et fait partie des intuitions premières d’Aristote, nul autre que
Monod ne l’avait affirmé aussi clairement.
Notre chair n’est qu’une encre servant à tracer des signes, dans laquelle
la plume des significations vient puiser pour écrire ses messages. Qu’importe
la couleur de l’encre : qui serait assez stupide pour prétendre que le
sens d’un texte dépend de la couleur des lettres qui ont servi à le
tracer ?
L’argument du jeune homme est qu’Adam est rouge, car il est fait d’argile. Son
observation est particulièrement profonde, car outre la couleur neutre de la
matière qui constitue l’homme selon le récit biblique, ce sont des tablettes
d’argile qui ont porté les premières écritures humaines connues. L’argile n’est
pas seulement la terre du potier, elle est aussi le premier support du sens. Notre
corps imprime en lui les scarifications des significations. Il devient système
de signes. Bien vite, les émotions qu’il
communique prennent le pas sur la matière qui n’en est que le support. Ne pas
voir les corps ainsi, est ne pas savoir regarder.
Les arts martiaux nous en donnent l’intuition, en ramenant nos corps à
cette pâte d’origine, en montrant que derrière chaque geste il y a un sens, en
nous faisant mouvoir dans un monde qui n’est plus qu’ondes et vibrations. Et
l’onde, pas plus que le sens, n’a de couleur, quel que soit le support matériel
que l’on a choisi pour la tracer. Dans un dojo, l’on ne voit plus que les
gestes et la façon dont un homme se déplace.
Si les races existaient, il y aurait un langage des blancs, un langage des
noirs, un langage des jaunes. Si vous élevez un petit enfant noir depuis sa
naissance en Allemagne, il parlera parfaitement la langue de Goethe à l’âge
adulte. L’interchangeabilité des langues lors de l’apprentissage est l’argument
ultime, au point que l’on peut donner une définition linguistique de l’espèce,
prééminente à la définition biologique : sont d’une même espèce les
individus possédant un appareil de production linguistique équivalent. La
définition biologique par la capacité de se reproduire au sein d’une même
espèce en découle directement.
L’inexistence des races nécessite-t-elle pour autant de nier l’existence
des peuples ? Car qu’est-ce qu’un peuple ? Simplement l'ensemble des
hommes réunis par une histoire commune, à laquelle ils considèrent appartenir. L’appartenance
à un peuple nécessite une adhésion positive et volontaire à son histoire, ses
valeurs, son mode de vie. C’est précisément cette adhésion à l’histoire commune
qui permet d’intégrer de nouveaux arrivants, comme un fleuve grossit lorsqu’un
confluent le rejoint, même s’il le fait bien après sa source.
Mais pour que puissent naître les eaux mêlées, il faut que le fleuve ait un
lit. Un fleuve n’est pas une série de gouttelettes éparses, mais un mouvement
qui entraîne l’eau et charrie son histoire et sa mémoire. Parfois les mémoires
se rencontrent puis se rejoignent : eaux mêlées des confluents, de
l’apport d’un nouveau peuple, mais qui ne peut exister que si le confluent veut
rejoindre le même lit. Si le nouvel arrivant adhère à l’histoire et à la
mémoire de son peuple d’accueil, il en devient une partie intégrante.
Ainsi d’un Léopold Sédar Senghor, qui exprima mieux que beaucoup de Français
ce qu’était la France, sans pour autant renier sa mémoire d’origine.
Claude Hagège va jusqu’à proposer une définition linguistique de ce qu’est un
peuple : est français celui qui parle le français. Mais dans ce cas quid
du Québec ou de la Wallonie ? C’est ici que la proposition d’Hagège
recèle une grande profondeur, même si l’on n’est pas obligé de le suivre
jusqu’au bout. Les différentes variantes du français présentent des nuances. Le
québécois ou le wallon ne sont pas tout à fait le français que l’on parle en
France.
Le langage est à son tour scarifié par l’histoire des hommes, et les
différentes variantes d’une langue portent l’histoire des peuples qui les
pratiquent. Les subtilités de la langue sont la conservation de la mémoire des
hommes et l’étymologie ne laisse rien au hasard.
C’est en définitive la même
force, le langage, qui nous permet de réfuter l’existence des races, et de dire
qu’il existe des peuples et des lignées, à travers la conservation des histoires.
Nadine Morano a commis une faute contre la mémoire des hommes dont nous
sommes issus. Mais ses détracteurs n’ont pour la plupart, pas fait mieux, en se
croyant humanistes. Penser qu’il faut anéantir toute notion de peuple et de
lignée par peur d’y voir du racisme, est tout autant une insulte à la mémoire.
Et ne pas respecter la mémoire et l’histoire des hommes, est ne pas les
respecter eux-mêmes. La violence de ceux qui veulent nous arracher à notre
histoire, nous livrer à la vulnérabilité que connaissent les amnésiques, est
tout aussi brutale que celle du racisme.
Et quant à De Gaulle, et à sa citation ? Impossible de savoir ce que
voulait dire le Général, car à son époque, les notions de peuple, lignée et
race étaient indistinctes. Reste que contre ceux qui pensent que les fleuves ne
se rejoignent jamais comme contre ceux qui pensent qu’il n’y a ni fleuve, ni
lit, il faut défendre ce qui peut encore faire de la France un grand et
majestueux fleuve.
Nous sommes légitimés à demander à ceux qui veulent rejoindre la France de
témoigner de leur attachement à son histoire, à ses valeurs, ses lois et son
mode de vie. Leur intention de devenir un digne membre de cette histoire doit
être visible, sans d’ailleurs renier aucunement leur propre mémoire, à moins
qu’elle ne soit incompatible.
A cette seule condition pourra-t-on voir encore la France tracer un lit
profond et puissant, capable d’entraîner dans son courant les mémoires des
hommes, à être comme l’est tout grand fleuve, à la fois le lit et les eaux
mêlées.
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