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lundi 12 octobre 2015

Les eaux mêlées


Epilogue sur « l’affaire Morano ».

Les races n’existent pas au sein de l’humanité, pour une raison bien antérieure aux justifications biologiques, statistiques ou ethniques que l’on peut avancer. Les races n’existent pas au sein de l’humanité, parce qu’au commencement était le Verbe. Et ceci n’est pas une justification religieuse, mais biologique, sur un thème que les sciences du vivant ont formidablement développé, tout en confirmant la parole de Jean l’évangéliste.

Le vivant est ce qui fait de la matière un instrument au service de l’information et de la signification. Jacques Monod avait fait la brillante première synthèse de cette vision dans « Le hasard et la nécessité ». Les progrès de la biologie, les notions de clés chimiques et les stratégies d’encodage du vivant montrent que le complexe biochimique dont nous sommes formés n’a pour seul but que d’assurer des chaînes d’information et de signification. Le corps se fait langage. Si l’idée n’est pas nouvelle, et fait partie des intuitions premières d’Aristote, nul autre que Monod ne l’avait affirmé aussi clairement.

Notre chair n’est qu’une encre servant à tracer des signes, dans laquelle la plume des significations vient puiser pour écrire ses messages. Qu’importe la couleur de l’encre : qui serait assez stupide pour prétendre que le sens d’un texte dépend de la couleur des lettres qui ont servi à le tracer ?

Dans le beau film « Va, vis et deviens », le jeune héros doit défendre son point de vue lors d’une joute orale biblique concernant la couleur de peau d’Adam, la question étant de savoir si le premier homme était blanc, thèse disputée par lui qui est de peau noire.

L’argument du jeune homme est qu’Adam est rouge, car il est fait d’argile. Son observation est particulièrement profonde, car outre la couleur neutre de la matière qui constitue l’homme selon le récit biblique, ce sont des tablettes d’argile qui ont porté les premières écritures humaines connues. L’argile n’est pas seulement la terre du potier, elle est aussi le premier support du sens. Notre corps imprime en lui les scarifications des significations. Il devient système de signes.  Bien vite, les émotions qu’il communique prennent le pas sur la matière qui n’en est que le support. Ne pas voir les corps ainsi, est ne pas savoir regarder.

Les arts martiaux nous en donnent l’intuition, en ramenant nos corps à cette pâte d’origine, en montrant que derrière chaque geste il y a un sens, en nous faisant mouvoir dans un monde qui n’est plus qu’ondes et vibrations. Et l’onde, pas plus que le sens, n’a de couleur, quel que soit le support matériel que l’on a choisi pour la tracer. Dans un dojo, l’on ne voit plus que les gestes et la façon dont un homme se déplace.

Si les races existaient, il y aurait un langage des blancs, un langage des noirs, un langage des jaunes. Si vous élevez un petit enfant noir depuis sa naissance en Allemagne, il parlera parfaitement la langue de Goethe à l’âge adulte. L’interchangeabilité des langues lors de l’apprentissage est l’argument ultime, au point que l’on peut donner une définition linguistique de l’espèce, prééminente à la définition biologique : sont d’une même espèce les individus possédant un appareil de production linguistique équivalent. La définition biologique par la capacité de se reproduire au sein d’une même espèce en découle directement.


L’inexistence des races nécessite-t-elle pour autant de nier l’existence des peuples ? Car qu’est-ce qu’un peuple ? Simplement l'ensemble des hommes réunis par une histoire commune, à laquelle ils considèrent appartenir. L’appartenance à un peuple nécessite une adhésion positive et volontaire à son histoire, ses valeurs, son mode de vie. C’est précisément cette adhésion à l’histoire commune qui permet d’intégrer de nouveaux arrivants, comme un fleuve grossit lorsqu’un confluent le rejoint, même s’il le fait bien après sa source.

Mais pour que puissent naître les eaux mêlées, il faut que le fleuve ait un lit. Un fleuve n’est pas une série de gouttelettes éparses, mais un mouvement qui entraîne l’eau et charrie son histoire et sa mémoire. Parfois les mémoires se rencontrent puis se rejoignent : eaux mêlées des confluents, de l’apport d’un nouveau peuple, mais qui ne peut exister que si le confluent veut rejoindre le même lit. Si le nouvel arrivant adhère à l’histoire et à la mémoire de son peuple d’accueil, il en devient une partie intégrante.

Ainsi d’un Léopold Sédar Senghor, qui exprima mieux que beaucoup de Français ce qu’était la France, sans pour autant renier sa mémoire d’origine.

Claude Hagège va jusqu’à proposer une définition linguistique de ce qu’est un peuple : est français celui qui parle le français. Mais dans ce cas quid du Québec ou de la Wallonie ? C’est ici que la proposition d’Hagège recèle une grande profondeur, même si l’on n’est pas obligé de le suivre jusqu’au bout. Les différentes variantes du français présentent des nuances. Le québécois ou le wallon ne sont pas tout à fait le français que l’on parle en France.

Le langage est à son tour scarifié par l’histoire des hommes, et les différentes variantes d’une langue portent l’histoire des peuples qui les pratiquent. Les subtilités de la langue sont la conservation de la mémoire des hommes et l’étymologie ne laisse rien au hasard.

C’est en définitive la même force, le langage, qui nous permet de réfuter l’existence des races, et de dire qu’il existe des peuples et des lignées, à travers la conservation des histoires.


Nadine Morano a commis une faute contre la mémoire des hommes dont nous sommes issus. Mais ses détracteurs n’ont pour la plupart, pas fait mieux, en se croyant humanistes. Penser qu’il faut anéantir toute notion de peuple et de lignée par peur d’y voir du racisme, est tout autant une insulte à la mémoire. Et ne pas respecter la mémoire et l’histoire des hommes, est ne pas les respecter eux-mêmes. La violence de ceux qui veulent nous arracher à notre histoire, nous livrer à la vulnérabilité que connaissent les amnésiques, est tout aussi brutale que celle du racisme.

Et quant à De Gaulle, et à sa citation ? Impossible de savoir ce que voulait dire le Général, car à son époque, les notions de peuple, lignée et race étaient indistinctes. Reste que contre ceux qui pensent que les fleuves ne se rejoignent jamais comme contre ceux qui pensent qu’il n’y a ni fleuve, ni lit, il faut défendre ce qui peut encore faire de la France un grand et majestueux fleuve.

Nous sommes légitimés à demander à ceux qui veulent rejoindre la France de témoigner de leur attachement à son histoire, à ses valeurs, ses lois et son mode de vie. Leur intention de devenir un digne membre de cette histoire doit être visible, sans d’ailleurs renier aucunement leur propre mémoire, à moins qu’elle ne soit incompatible.

A cette seule condition pourra-t-on voir encore la France tracer un lit profond et puissant, capable d’entraîner dans son courant les mémoires des hommes, à être comme l’est tout grand fleuve, à la fois le lit et les eaux mêlées.

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