Une fantaisie jupitérienne où la France du Grand Siècle
s'adresse à la France d'aujourd'hui
Je parcours depuis quelques jours l’excellent “Richelieu”, d’Arnaud Teyssier.
Lorsque le temps que nous vivons devient trop médiocre et déprimant, le Grand Siècle est un refuge sûr.
Il nous rappelle combien notre pays a touché à une période de son histoire,
au summum de ce qu’une civilisation peut produire. Les hommes qui ont fait
cette époque n’avaient guère plus de cinquante années à vivre, mais ils les
employaient au mieux.
Chaque minute de leur vie était engagée à une œuvre utile, n’empruntait pas
ces multiples dérobades que notre temps soit disant civilisé a répandu comme
des paillettes.
Patiantur columbae dum pascuntur
aquilae, patiantur aquilae dum pascuntur columbae. Armand Jean du Plessis de Richelieu reprenait ainsi les
paroles de Saint-Augustin, au cours de l’un de ses premiers sermons comme jeune
évêque de Luçon.
Ecrire et agir pour les aigles comme pour les colombes nous rappelle Arnaud
Teyssier. Développer une pensée puissante, élaborée, mais soutenue par des
actes simples que tous peuvent comprendre. Richelieu a mauvaise presse, encore
de nos jours, de par l’imagination romanesque qui en fit l’archétype de
l’éminence grise bien que vêtue de pourpre.
Pourtant, la plupart de ses actes furent marqués par un sens impérieux du
devoir, de ne pas céder à la facilité de remettre à plus tard ce sur quoi il
était attendu. Cet homme que l’on disait animé seulement par le calcul eut une
vie bien plus remplie à chaque instant pour le service de son pays que nombre
de nos politiciens modernes.
L’ensemble du grand siècle nous fait mesurer d’où nous sommes issus et ce
que nous perdrions à brader notre civilisation. La langue cornélienne et la
langue racinienne atteignirent chacune à leur façon, par l’intensité et par la
pureté, une concision et une élégance que très peu d’autres cultures parviennent
à égaler. Les questions philosophiques les plus décisives, y compris dans leur
formulation moderne, prirent naissance au
grand siècle : la connaissance de l’homme et de l’univers avaient
atteint un seuil qui ne laissait plus place à la moindre superstition ou à la
litote de l’essentialisme.
C’est au XVIIème siècle que la sincérité des intentions humaines en lutte
avec les pièges de l’ego fut scrutée avec le plus d’attention. A cette époque,
la France était grande même dans ses déchirements. Lorsque Bossuet et Fénelon
s’affrontaient presque jusqu’à l’excommunication, c’est la possibilité du pur
amour spirituel et humain, ou de sa tromperie et de ses désillusions, qui
étaient en jeu. L’aigle de Meaux comme celui de Cambrai étaient les rejetons
immensément doués et turbulents de l’Aquila par excellence, Jean l’évangéliste.
La survie du jeune Louis XIV face à la Fronde et à Condé était tout autant
une lutte pour le pouvoir qu’une magistrale leçon de philosophie politique,
révélant la transition entre deux mondes. L’on mesure la distance qui nous
sépare de la France du grand siècle, en voyant par contraste où sont tombées
les controverses politiques et médiatiques d’aujourd’hui. Comment notre
pays qui abrita la controverse de Bossuet et Fénelon peut-il maintenant se
repaître des querelles de Sarkozy et Fillon ? Plus que jamais, la force
d’une civilisation ne se mesure pas à son soi-disant modernisme.
Le Grand Siècle vit aussi poindre la logique de Port-Royal. Arnauld et
Nicole se doutaient-ils qu’ils ouvraient la voie à l’une des plus grandes
aventures du langage, celle où la précision formelle et le trop plein ineffable
et ambigu de la vie ne cessent de se confronter ? La philosophie
analytique faisait ses premiers pas, non sans que les deux maîtres de
Port-Royal nous rappelassent son certificat de baptême, issu en droite ligne
des scolastiques et grammairiens médiévaux. L’élégance avec laquelle cette
époque cultivait l’accointance naturelle entre modernité assumée et traditions
des plus hautes époques en remontre à la nôtre, incapable de faire revivre ce
lien, mettant en scène des pantins modernes déjà racornis car dénués de
l’ardeur mystique des anciens moines grammairiens.
Il n’y eut en ce siècle, aucun grand serviteur de l’état aussi roué et fin
politique fût-il, qui n’eût donné sans hésitation sa vie pour la France. Etre
français à cette époque et plus encore être de ceux qui conduisaient la
destinée du pays, ne pouvait se concevoir sans la lourde responsabilité de
préserver et transmettre cet héritage. Etre français se ressentait dans
l’inquiétude et la ferveur d’être à la hauteur. La courtoisie française,
héritée du fonds chevaleresque, parvenait à ce parfait équilibre entre une
attitude de maîtrise plus que civilisée des rapports humains et une implacable détermination si l’action le nécessitait.
Le gentilhomme du XVIIème siècle s’affirmait ainsi comme le canon de tous
les gentlemen futurs. L’homme de bien
tel qu’il existait dans notre pays réussissait la synthèse impossible des deux
Aquilae, ceux qui se combattirent mortellement et semblaient inconciliables, l’Aquila
romain et celui de Saint Jean l’évangéliste. Bien que longtemps le majestueux
rapace n’apparût pas dans la symbolique de notre pays, cette miraculeuse
synthèse de l’esprit et de l’énergie aurait mérité une telle envergure, génie
français indissociable du génie du christianisme. Bien après le grand siècle, le
surgissement du grand oiseau dans la symbolique bonapartiste fut sans doute
l’expression de cet esprit particulier.
Etre français signifiait au Grand Siècle être investi, comme par un
cérémoniel quasi sacré, de cet héritage, de cet art de vivre. Lorsque je vois
les comportements présents, je me demande parfois si les français d’aujourd’hui
méritent la France.
Il faudra un jour revenir à une forme rituelle et sacrée, jusqu’à la
dimension tragique, de ce passage à la citoyenneté française, héritée de celle
des cités grecques ou de la virtus
romaine. En être investi, c’est prendre conscience de la profondeur de
l’héritage que nous portons et que nous pouvons délivrer au monde. Une
véritable cérémonie devrait remettre ce legs à tout citoyen, lui donnant
confiance dans la puissance et dans le devoir d’être français. Le trahir doit
signifier une proximité avec la mort, avec le clair-obscur du tragique.
Ceux qui aujourd’hui méprisent et crachent sur la France sont moins
coupables que ceux qui les laissent faire, car les premiers n’y comprendront
jamais rien tandis que les seconds font montre d’une lâcheté pleinement
consciente. Comment peut-on laisser proférer de pareilles insultes à la défense
de la Cité, que les antiques auraient puni de la mort ou de l’exil ?
L’on invoquera la liberté d’expression et le droit à l’insolence,
d’ailleurs parties intégrantes de l’art de vivre français. Le grand siècle ne
fut pas en reste, l’impertinence d’un La Fontaine perpétuant une tradition de
moquerie de la cour et de sa comédie, héritage médiéval du Roman de Renart.
Mais il ne s’agit pas de cela ici : notre époque incroyablement
trouble et confuse ne sait plus faire la différence entre une critique salubre
et une intimidation préparant l’action violente et la destruction de notre
civilisation. Un niveau déjà élevé de langage et d’adhésion à notre culture est
requis pour pouvoir la critiquer. Ceux qui revendiquent l’héritage français de la
liberté de ton en sont très loin. Si nous les laissons faire, la liberté qu’ils
usurpent disparaîtra tout à fait en France, pour n’admettre plus qu’une seule
doctrine totalitaire, issue d’une culture qui n’est pas la nôtre. Le "vivre ensemble" est la négation du savoir-vivre.
Il n’existe pas de liberté sans courage véritable face au conflit et sans
affirmation clairement constituée de l’usage légitime ou illégitime de la
force. Faute d’observer ce prérequis de toute liberté, nous laissons
s’instaurer la loi de la violence et de l’intimidation. La liberté est une
créature magnifique et fragile, qui n’éclot et ne survit que dans un territoire
protégé par une enceinte d'intransigeante fermeté exigeant respect et civilité
avant tout autre préalable.
Lorsqu’un pouvoir que d’aucuns idolâtrent n’est pas même capable d’agir
simplement et avec rigueur sur des territoires transformés en piscine, les
auteurs voulant marquer qu’il ne s’agit plus d’une terre française mais
tribale, nous ne pouvons plus avoir confiance dans la sauvegarde de nos
libertés les plus élémentaires. Ne parlons pas même du territoire de l’école,
où des bandes instaurent leur loi sur des professeurs héroïques, lâchés par une
hiérarchie qui se précipitera lâchement vers l’accusation contre les victimes
et la complaisance vis-à-vis des coupables. Nous aimerions que tout chef
d’établissement ait la fermeté tranquille mais sans aucune faiblesse du
cardinal de fer, que tout serviteur de l’état sente sa parenté avec Richelieu,
visionnaire d’ensemble mais fondant sans hésitation sur chaque ennemi de la France avec
la rapidité et le coup d’œil de l’aigle.
D’Aquila il a encore été question récemment, puisque l’on veut nous faire
croire que l’aigle jupitérien est de retour. J’en suis désolé, mais je ne vois
point le lanceur de foudre. Je vois bien en revanche son travestissement.
Inconsciemment, c’est peut-être l’une des caractéristiques les moins
louables du maître de l’Olympe qui a attiré notre nouveau président, qui
regretterait sa comparaison auto-proclamée si celle-ci était portée à la lueur de
l’éclair. Jupiter était un maître du transformisme, se métamorphosant pour
approcher et séduire ses nombreuses conquêtes amoureuses. De Jupiter, Emmanuel
Macron a-t-il retenu celui qui tient l’égide ou le « serial lover » atteint de frégolisme ?
Je crains que la
personnalité du nouveau président, ayant déjà étonné les esprits sagaces par sa
comparaison, ne laisse guère le doute sur la part qu’il a choisie. Non que je
soupçonne chez le nouveau président une vie amoureuse frénétique, ce qui ne me regarderait pas.
Mais parce que je ne lui vois pas d’autre talent affirmé aujourd’hui que celui
de la séduction, appliquée ici au domaine politique et non amoureux. Emmanuel
Macron saura-t-il être autre chose qu’un Dom Juan de la vie publique ? Tout
reste à prouver.
Osera-t-on pousser la recherche pour savoir de quelles plumes est fait
notre oiseau ? S’il est un dieu de l’Olympe auquel j’aurais spontanément
associé notre nouveau président, c’est bien Mercure en lieu et place de
Jupiter. Les plumes ne sont pas celles de l’aigle, mais des sandales et du
casque qui permettaient au dieu aérien d’éternellement surfer sur les
événements. Dieu des messagers, de la moderne communication, de l’intelligence
rusée, du hasard, du commerce y compris lorsqu’il se fait voleur, je me
représente beaucoup mieux notre nouveau président avec des sandales ailées
qu’en maître de l’égide. Ses lueurs ne sont pas les éclats décisifs de la
foudre, mais le scintillement trompeur et liquide du vif-argent. Après tout, le
dieu chatoyant emprunta un jour l’apparence de Mars par son génie du
déguisement. Pourquoi ne se travestirait-il pas en maître des dieux ?
Quelles que soient les réponses que les mois futurs nous apporteront, que
l’âge classique préserve la France, et que ses grands serviteurs se sentent issus de la
lignée du cardinal. Soyez nobles et acérés, comme l’Aquila.
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Lorsque j'ai acquis la nationalité française, ça a été un grand moment. Une fierté, un honneur. J'étais un humain à part, accepté dans une société désirée. C'était en 1986. Trente ans après, lorsque je vois toutes mes valeurs bafouées, la France et les Français se diluer dans un monde global n'ayant comme valeurs suprêmes que l'argent et les pailletes des intouchables stars, je m'asseois et je suis triste.
RépondreSupprimerSoyez le bézoard qui choisit de perdurer et d'animer non pas pour le retour d'anant mais pour une reconstruction à notre portée animée par la fierté de ce qu'il nous est donné et possible de réaliser.
RépondreSupprimerC'est foutu, Marc. Il faut aller dans l'autre sens, palper l'inconnu.
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