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mardi 2 mai 2017

Le système du Docteur Goudron et du Professeur Plume



« Quand un fou paraît tout à fait raisonnable, il est grandement temps, croyez-moi, de lui mettre la camisole. »

Le système du Docteur Goudron et du Professeur Plume, d'Edgar Allan Poe, traduction en français par Charles Baudelaire.


La nouvelle du grand Edgar Allan Poe décrit finalement très bien la situation que nous vivons actuellement en France.

La micro-société de son asile d’aliénés est composée de soignants et de fous, mais avec une frontière de plus en plus poreuse entre ces deux populations. Il devient impossible de savoir qui est fou et qui est médecin, chacun accusant son semblable d’être affecté d’une grave pathologie, et s’investissant de la mission de lui administrer la thérapie qui le remettra dans le droit chemin.

Ce thème de la séparation entre deux populations, l’une jugée « saine » et l’autre « infectée », fut le sujet préféré d’un autre grand auteur, Philip K. Dick. La logique du « cordon sanitaire » aboutit inévitablement à une forme de paranoïa, la complexité de la vie rendant toujours la frontière poreuse. 

K. Dick s’amusait beaucoup de cette indécidabilité, et aimait piéger les Diafoirus qui s’auto-investissent de la mission de guérir l’humanité. Il fit un jour l’objet d’une enquête à l’époque du Mac Carthysme, et s’amusa à rendre quasiment fous ses inspecteurs. Il feignit au début d’adhérer totalement à leur discours, de traquer et débusquer les « sales rouges » en offrant son aide, coopérant pleinement aux questions des enquêteurs.

Petit à petit, par des glissements imperceptibles très K-Dickiens, il instilla des éléments de doute croissants dans l’esprit des inspecteurs, évoquant le risque que certains membres de l’administration Mac Carthy puissent être des « taupes » ayant noyauté l’organisation. Les « médecins » commençaient à être eux-mêmes atteints du virus honni, aboutissant à une suspicion croissante et des mesures de rétorsion de plus en plus radicales pour contenir la contagion.

Philip K. Dick tissa ainsi un réseau de complots communistes imaginaires auxquels ses inspecteurs crurent de façon renforcée. Au paroxysme de ce jeu, il leur porta l’estocade : lorsque l’un des enquêteurs finit par lui dire « mais en vous écoutant, on pourrait finir par penser que Mac Carthy est lui-même un agent communiste ! », le maître du fantastique rétorqua avec une suprême malice : « Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai révélé … ». A la suite de quoi, l’enquête sur K. Dick fut définitivement close par des enquêteurs, totalement écœurés.


Tout jugement moral vis-à-vis d’autrui n’a de légitimité que si l’on admet que nous pourrions sous certaines conditions être affecté de la même pathologie - en tant que l’autre reste l’un de nos semblables quels que soient ses agissements. Il n’y a pas de « pur » et « d’impur », de « sain » et « d’infecté ». La nature du vivant - et aussi ce qui fait sa beauté - est d’être façonnée d’imperfections qu’elle parvient à surmonter.

Dès lors que l’on établit une frontière que l’on veut hermétique entre les « purs » et les « impurs », les « germes » honnis s’immisceront fatalement au milieu de la population censée être préservée, établissant un règne de suspicion et de procès, jusqu’à se douter plus ou moins consciemment que l’on est soit même « infecté ».

La folie qui frappe actuellement la France procède de cette paranoïa des organismes « sains », aboutissant comme dans la nouvelle de Poe, à un règne de la démence.

Tout le monde se fait l’accusateur et l’inquisiteur de tout le monde, entreprenant de définir ce qui est bon pour l’autre et se chargeant de sa rééducation mentale. Les médecins auto-proclamés sont aussi dangereux et incontrôlables que les fous qu’ils désignent. Très peu se doutent et admettent que les comportements qu’ils dénoncent avec virulence prospèrent allègrement au sein d’eux-mêmes.


Dans la nouvelle de Poe, les surveillants initiaux de l’hôpital étaient enfermés en étant enduits de goudron et de plume, comme le voulait le folklore du Far West lorsque l’on voulait bannir quelqu’un de la ville. La symbolique du goudron et des plumes nous amène très près de notre situation. Il s’agit de bannir d’autres concitoyens, de dénier leur appartenance à la Cité, de considérer qu’ils ne font plus partie de la République. Nous ne voulons plus seulement accuser ceux qui ne pensent pas comme nous, nous nous donnons le droit de les chasser, de considérer qu’ils ne font plus partie de l’histoire commune.

Autre ressemblance confondante, le « système du docteur Goudron et du professeur Plume », particulièrement coercitif, a été employé après l’échec d’une « méthode douce », qui évitait toute accusation ou interdiction auprès des patients. Seule la moquerie pouvait prendre la place de la règle. Par exemple, le fou déclarant se prendre pour un poulet n’était nullement l’objet de mesures coercitives, mais se voyait donner des graines pour son déjeuner.

Le discours post-moderne d’interdiction d’interdire, faisant communier soixante-huitards libertaires et néo-libéraux, ressemble à s’y méprendre à ces premières « thérapies ». Inévitablement, la négation de l’autorité aboutit à l’autoritarisme. Celui qui se perd dans un laxisme lâche se mue soudain en tyran lorsqu’il a tout à fait perdu le contrôle de la situation et qu’il est obligé de faire machine arrière. Il passe ainsi en quelques secondes d’un discours permissif à une caricature de dirigisme totalement arbitraire, c’est-à-dire le contraire de l’autorité véritable, faute de s’être exercé au courage constant que requiert celle-ci.

Nous sommes ainsi passés du relativisme total au règne des nouveaux inquisiteurs, chacun décrétant que l’autre est bon pour la camisole de force, surtout lorsqu’il dévie d’un pouce de sa propre opinion.


J’aimerais dire à ceux qui combattent « le système », que l’on vit toujours au sein d’un « système », toujours plus ou moins insupportable, base de tout contrat social. Et que si nos démocraties libérales ont pris une tournure proprement détestable que je combats à longueur de lignes de ce blog, ce qu’elles nous ont permis d’accomplir dans le passé doit être préservé, à commencer par la liberté de le vouer aux gémonies.

J’aimerais dire à ceux qui se contentent d’insulter les électeurs du Front National au lieu de rechercher les raisons de leur vote, que la grande majorité de ceux qui font ce choix aujourd’hui n’a plus rien à voir avec les nervis fascistes qui sont à l’origine de ce parti. Beaucoup d’entre eux vivent dans ces endroits délétères, où la seule loi qui subsiste n’est plus celle de la république française, mais celle d’un caïd faisant appliquer à la fois la charia et le racket.

Ceci avec la plus grande complaisance de ceux censés faire appliquer l’autorité, déserteurs depuis longtemps de leur mission régalienne. Et lorsque ceux qui subissent tentent de se révolter, ou seulement de se plaindre, la réponse est celle de notables lâches qui inversent le rapport du bourreau à la victime, les accusent de ne pas respecter le « vivre ensemble », de « chercher les histoires », simplement lorsqu’ils refusent de ravaler leur humiliation. Nulle difficulté chez les donneurs de leçon, que de savoir qu’ils ne tiendraient pas cinq minutes dans un tel environnement, probablement avec beaucoup moins de dignité.


Les français sont en train de créer de l’irréversible, s’entre-accusant de fautes mortelles, qu’ils ne se pardonneront pas. Ils feraient mieux de garder les forces qui leur restent pour combattre leurs deux véritables menaces. Le danger vient toujours de l’intégrisme, précisément de ceux qui ne rentrent dans aucun examen de conscience, agissent mécaniquement, sans états d’âme, convaincus de détenir la vérité absolue. Et les deux intégrismes du monde moderne se nomment islamisme et intégrisme du marché.


Le premier est connu mais incroyablement sous-estimé. Le terme de « fascisme » est aujourd’hui dirigé contre des gens simples et braves, peut-être dans l’erreur quant aux solutions, mais demandant seulement à ce que les règles les plus élémentaires du civisme soient respectées. Pendant ce temps, UOIF, CCIF ou rappeurs haineux ont pignon sur rue et crédit illimité de bienveillance, quand le qualificatif de « fasciste » leur serait infiniment plus approprié.

Ne pas comprendre que ce que nous vivons avec la montée de l’islamisme est en tous points comparable à la montée du nazisme dans les années 1930, est une minimisation du problème. Même les partis censés être les plus fermes sur ce sujet ne l’ont pas dénoncé dans ces termes. Les seules vigies véritablement lucides sont ces français issus de l’immigration aimant passionnément la France, attachés dur comme fer à la laïcité, nous trouvant totalement inconscients du danger : l’expérience du noyautage systématique et redoutablement rusé vécu en Algérie et en Tunisie leur octroie une clairvoyance que nous devrions écouter. Nous ne périrons pas de notre haine mais de notre indifférence et de notre passivité.


Le second intégrisme, celui du marché, doit ce nom de baptême non à moi ni à quelque chroniqueur marxiste, mais à Georges Soros, l’un des plus fins connaisseurs des marchés financiers et de leurs mécanismes. J’ai déjà dit à plusieurs reprises tout le mal que je pensais de Georges Soros sur le plan moral et tout le bien que j’en pensais sur le plan intellectuel.

Cet homme reste pour moi une grande énigme. Il signe « La crise du capitalisme mondial », ouvrage d’une exceptionnelle intelligence, montrant dès 1998 comment la version dévoyée de l’économie de marché qui a cours constitue un totalitarisme pire encore que celui des régimes les plus autoritaires et ose l’écrire de façon aussi crûe. Il met exactement le doigt sur ce qui provoque cette dérive : l’exigence de considérer que toute thèse est réfutable, fondement du libéralisme politique, est passée par pertes et profits par le néo-libéralisme économique. Paradoxe suprême, la pensée politique née de la reconnaissance de nos failles et promouvant la discussion critique s’établit en vérité immuable et annonce la fin de l’histoire en son nom.

Après avoir dénoncé avec une précision confondante la forme la plus aboutie du totalitarisme, Soros va pourtant en user selon tous ses leviers pour son intérêt personnel, nous expliquant que si lui ne le fait pas, d’autres s’en chargeront. La lecture du « La crise du capitalisme mondial » est l’une des plus indispensables de notre époque et l’une des plus fascinantes, juxtaposant la plus grande lucidité quant à la mise à bas de toute vision politique par les marchés financiers et une description presque obscène des Hedge Funds que Soros lui-même conduisait. 

Les pages presque cliniques que Soros nous laisse sur les fonds spéculatifs ne posent pas une seule fois la question de la contradiction entre économie financière et économie réelle, hiatus qui apparaissait pourtant dès 1990 au sein des meilleures écoles et universités d’économie de la planète. Je ne connais aucun exemple poussé à ce point, d’un homme plus lucide que tous les autres sur la nocivité d’une drogue et s’en octroyant pourtant lui-même jusqu’à l’overdose.


Les deux intégrismes qui nous menacent seront combattus d’autant plus efficacement qu’ils seront considérés comme les deux faces d’une même médaille. Je ne vais pas rentrer encore une fois dans cette résonance particulière existant entre l’islamisme et l’intégrisme du monde financier, l’ayant déjà fait de nombreuses fois dans des textes d’approfondissement. 

Je me contenterai de résumer cette correspondance d’une formule simple : Daesh, c’est le portrait de Dorian Gray de Goldman Sachs. Le génie de la banque d’affaires, est de faire porter ses stigmates par un autre corps. 

Quelques coups sont suffisants pour montrer que la firme financière porte une lourde responsabilité dans la chute de la Lybie : 


, ou plus directement des milliers de jeunes femmes grecques obligées de se prostituer pour le prix d’un sandwich. Réservons le qualificatif de « fasciste » à ceux qui le méritent vraiment.


Je ne sais qui sera le président de la république française dans une semaine. J’ai des amis que je considère comme éminemment respectables dans les deux camps, d’autres non moins estimables qui s’abstiendront. L’important est pour moi qu’ils argumentent leur point de vue, dans le respect de l’autre. Je croise également des personnes que je considère comme de franches crapules de part et d’autre. 

Je souhaite seulement de toute mon âme que les Français retrouvent ce qui les a unis dans les moments critiques de leur histoire, quelle que soit l’issue du scrutin. Que les postures hystériques masquant la forme la plus hypocrite de conservation de privilèges soient reléguées au second plan, afin que nous puissions mener les véritables combats qui nous attendent.



Faute de quoi, notre pays ressemblera à l’asile de déments décrits par Poe, avant et après l’élection. Les islamistes n’auront plus qu’à en ramasser les miettes, le tout sous la curatelle – ce n’est pas incompatible – d’une quelconque Troïka. Les grands écrivains ont toujours ce don quasi-surnaturel de vision des émergences historiques. Dans quel pays Edgard Poe avait-il placé le théâtre de déments de sa nouvelle ? Je vous le donne en mille …


Si vous avez aimé cet article, mes deux livres sur le monde de l'entreprise et plus généralement sur les pièges de la société moderne. Egalement disponibles au format Kindle :


2 commentaires:

  1. excellent read and assessment of the state of the public/POLITICIAL IN THE WORLD TODAY

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  2. La tradition philosophique millénaire qui s'appuie sur la théorie du yin et du yang comme loi universelle a parfaitement perçu le balancier perpétuel qui fait que l'excès d'une chose (que j'assimille ici à l'intégrisme) entraîne inexoralement son contraire . Et que seule la recherche de l'équilibre peut nous en préserver. Nous ferions bien je crois , de nous inspirer de cette connaissance

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