1. Théorème de la rentabilité
Toute recherche immédiate et aveugle de rentabilité aboutira à des pertes
considérables de rentabilité.
Illustrations :
La diminution du prix des composants ou des
équipements :
Comprimez vos coûts de production en rognant sur le moindre composant, sans
connaissance du fonctionnement industriel d’ensemble de votre produit ou de
votre service.
Vous obtiendrez alors une automobile haut de gamme dans laquelle il n’est
pas possible de téléphoner en connexion bluetooth, une assurance ou un service
juridique ne couvrant plus qu’un pourcentage dérisoire de ses clients, un
call-center incapable de renseigner des personnes ayant besoin d’aide, un
système informatique défaillant parce que le prestataire engagé pour le
développer aura été étranglé financièrement par votre service achats.
Vous devrez en définitive soit mettre la clé sous la porte, soit assurer des opérations de maintenance et d’assistance très coûteuses pour rattraper vos défauts de qualité, soit verser des avenants considérables aux prestataires qui se vengeront de les avoir étranglés.
Vous devrez en définitive soit mettre la clé sous la porte, soit assurer des opérations de maintenance et d’assistance très coûteuses pour rattraper vos défauts de qualité, soit verser des avenants considérables aux prestataires qui se vengeront de les avoir étranglés.
Une opération de diminution des
coûts ne doit être engagée qu’en ayant évalué précisément ses impacts sur le
processus de production et sur le niveau de qualité du produit final. On ne
doit lui donner son aval que s’il a été prouvé qu’elle ne dégradait que de
façon négligeable ces deux derniers points. Il faut pour cela rentrer dans une
compréhension profonde des métiers à l’œuvre dans son entreprise et discuter
avec leurs chevilles ouvrières, non agir en simple « cost killer ».
L’ignorance des conditions de maintenance :
Ne pensez qu’à la vente de votre produit sans préparer son après-vente.
Pour des raisons de diminution immédiates de coût, employez le processus de
production le plus facile, mais qui rendra dix fois plus difficile une
intervention de réparation, parce que vous n’aurez pas prévu que votre produit
puisse être démonté, ni donné une priorité d’accès à ses pièces maîtresses par un
réparateur.
Vous obtiendrez par exemple une automobile nécessitant deux heures de temps
de main d’œuvre et le démontage de son bouclier avant pour changer une ampoule.
Ou bien une maison dont l’accès aux arrivées d’eau est impraticable. Ou encore
un appareil électroménager devant être entièrement changé parce qu’il n’a pas
été conçu en modules indépendants mais en blocs solidaires.
Enfin si vous développez un produit incluant des logiciels embarqués, sa
non modularité et sa solidarité totale avec le « hardware » de votre
produit vous auront permis de diminuer les coûts, mais obligeront votre client
à revenir dans vos points de vente pour une simple mise à jour, à la fois pour
des raisons de complexité et de sécurité.
Faites de même pour votre offre de services, où il sera beaucoup plus
simple et moins coûteux de ne traiter que 2 ou 3 cas d’usage pour vos clients,
mais où la moindre procédure sortant de l’ordinaire nécessitera un temps et une
complexité au centuple, que soit vous devrez régler, soit vous ferez payer très
cher à votre client en lui refusant le service qui lui est dû.
La logique de production d’un
produit ou d’un service est différente de la logique de sa réparabilité. Les
deux sont souvent contradictoires, et doivent faire l’objet de compromis
astucieux, conçus à l’avance. Celui qui ne pense qu’à la première dimension
sans penser à la deuxième en même temps se prépare des lendemains difficiles.
La diminution des salaires par offshoring :
Enclenchez l’une de ces brillantes opérations d’offshoring qui vous
vaudront d’être considéré comme un grand stratège du management, quand le
principe que vous appliquez n’est qu’une simple règle de trois.
Ignorez au passage les problèmes de barrière de la langue, de différences
culturelles, de difficulté de piloter à distance une activité, par téléphone ou
vidéo-conférence sans jamais les voir ou les connaître personnellement.
Ne voyez pas que sur des compétences rares et à haute qualification, le
ratio salarial de 1 à 10 sur lequel vous comptez ne s’applique plus, les
personnes qualifiées dans tous les pays se renseignant par internet sur le prix
de leur compétence.
Continuez de penser qu’un ingénieur se paie dans ces ratios dans un pays en
développement, y compris en embauchant une personne sous-qualifiée. Tenez le
discours de la mondialisation heureuse et de l’ouverture aux autres pour
accompagner votre action, tandis que dans votre for intérieur vous pensez que
les personnes des pays en développement sont des esclaves à exploiter, dont la
distance aura l’avantage supplémentaire de ne pas vous inquiéter.
Enfin et surtout, ne faites pas la différence entre une activité de cœur de
métier et une activité connexe lorsque vous l’externalisez. Sur des activités
de cœur de métier, ne gardez aucune compétence interne vraiment profonde au
siège pour piloter l’activité à distance, par exemple des personnes ayant une
expérience poussée de la programmation pour coordonner le travail de dizaines
ou de centaines de programmeurs situés à des milliers de kilomètres. Il est
vrai que les chefs d’équipe ayant une réelle compétence approfondie vous font
peur, l’on risque de s’apercevoir qu’ils feraient de bien meilleurs managers ou
directeurs que vous.
Vous obtiendrez alors un désastre tel que celui de la Royal Bank of
Scotland en 2012, vous obligeant à des opérations de « reshoring » en
catastrophe et à des prix exorbitants, ainsi qu’au paiement d’amendes très
élevées pour le préjudice que vos clients ne manqueront pas de subir.
Toute opération d’offshoring n’est
pas mauvaise en soi si l’on a pris le soin de bien la préparer, c’est-à-dire
dans le respect des équipes se trouvant à distance et de celles restant au
siège. Les profils qualifiés des équipes distantes devront être payés en
conséquence : les « grilles » normatives des grands groupes
doivent prendre le chemin qu’elles méritent, c’est-à-dire celui de la poubelle.
Les compétences se paient, que l’on soit en Inde, au Brésil, en Bulgarie ou au
Burkina-Faso, et penser le contraire relève de l’hypocrisie mondialiste qui se
présente comme un modèle d’ouverture mais possède un soubassement mental
d’arriéré féodal.
Il est crucial de conserver des
équipes compétentes au siège s’il s’agit d’une activité de cœur de métier.
Seule la précision de leur professionnalisme peut contrebalancer les
difficultés de la distance, de la langue et de la culture. En particulier, de bons
professionnels de part et d’autre pourront dialoguer dans un langage non
ambigu, par exemple directement dans des langages de développement dans le
cadre d’un projet informatique. Trop d’actions d’offshoring ne sont pas un
moyen de répartir une activité mais de s’en débarrasser, en imaginant que l’on
se passera de l’effort du management réel par l’illusion que sont le
« forfait » et le « contrat ».
La diminution des frais de structure en s’appuyant sur
les employés :
Ayez l’idée géniale - et que vous présenterez comme telle – de faire
réaliser les tâches administratives ou de gestion par les équipes
opérationnelles, par exemple l’émission de demandes d’achat, le contrôle de
gestion, voire la gestion de la facturation. Ceci afin de diminuer voire supprimer
les équipes en charge de ces actions.
Tenez le raisonnement cynique estimant que vos employés absorberont ces
nouvelles tâches sur leur temps personnel, notamment grâce aux nouvelles
possibilités techniques de travail à distance (connexion VPN, etc.) leur
permettant de les effectuer depuis chez eux entre 22h et 24h.
Vous obtiendrez pour une part des salariés en burn-out, pour ceux qui se
seront laissés berner par votre jeu, et une autre part sans cesse grandissante
qui refusera catégoriquement de prendre sur son temps personnel pour effectuer
ces tâches.
Par tous les moyens de la résistance passive - qui finit toujours par avoir
le dessus sur tout contrôle même tyrannique - votre productivité sur les
activités contribuant directement à votre chiffre d’affaire chutera
drastiquement. Cerise sur le gâteau, vous serez amenés à payer ces activités
administratives et de gestion à un taux horaire bien supérieur à celui du
marché.
Les notions de « cœur de
métier » et de motivation associée possèdent un impact considérable sur la
productivité des équipes, d’autant plus mésestimé qu’elles en sont une clé
essentielle. Décharger les équipes opérationnelles des tâches administratives
qui les environnent permet d’atteindre les performances des meilleurs, tandis
que rogner sur ces frais de structure est la fausse bonne idée, celle des
managers distants ne pilotant qu’à coups de ratios, c’est-à-dire ceux qui ne
méritent pas leur titre.
2. Théorème de la vitesse
Toute recherche d’efficacité par la seule rapidité aboutira à des pertes de
temps considérables.
Illustrations :
La tentation des apparences dans les développements
informatiques :
Dans l’industrie du numérique, il est plus rapide et plus visible de
réaliser des fabrications ou des développements ad’hoc que selon une conception
d’ensemble. Ceci est a contrario des industries classiques, pour lesquelles
l’on conçoit qu’il est nécessaire de mettre en place des processus de
production standardisés et généraux pour accroître la productivité.
La difficulté propre au numérique est que des développements ayant un
certain niveau de généricité et d’abstraction ne sont pas pour autant standard.
Ils nécessitent une grande intelligence de la part de leurs concepteurs, non
nécessairement reproductible.
La puissance de conception qui sous-tend un programme informatique se
révèle lorsqu’il faut en faire des modifications un an plus tard. Par exemple
s’il dessert plusieurs pays selon un schéma général et quelques variantes
spécifiques dans chaque pays, un programme bien développé ne nécessitera des
retouches qu’à un seul endroit, tandis que celui ayant choisi la facilité devra
reprendre ses traitements en autant d’endroits qu’il y a de pays.
Une conception numérique nous confronte toujours à des questions relatives
au générique et au spécifique, au langage formel et au langage naturel, à l’exactitude
et à l’ambiguïté sémantique. Derrière cette chose très terre à terre qu’est la
maintenance d’un programme informatique, se cachent des questions fondamentales
sur la nature de la logique et sur son rapport à la connaissance et au réel.
C’est en cela que le choix des concepteurs est crucial. Ceux qui aiment la
facilité et la rapidité privilégieront des développeurs fournissant un résultat
visible immédiat, mais qui n’auront pas pensé à la généricité de leur code. Un
développeur lent est soit médiocre soit génial et si l’on ne sait comment
départager les deux par une revue de conception, des erreurs de jugement
dramatiques peuvent en découler. Selon son mode de conception, les coûts de
maintenance d’un développement informatique ne varieront pas seulement dans un
rapport de 10%, 20%, ou 30%, mais dans un rapport net de 1 à 10.
La vitesse est une notion qui
devient paradoxale lorsque le produit est complexe. Lui vouer un culte ne
permet pas d’être rapide mais agité, s’épuisant en tâches sans valeur
auxquelles l’on se condamne soi-même. Comme dans les arts martiaux, celui qui
est réellement rapide ne semble pas se déplacer vite, il est celui que l’on ne
voit pas venir.
La malédiction de powerpoint :
Le désastre humain (7 astronautes morts) et technologique de la navette
Columbia en 2003 est dans toutes les mémoires, parce qu’emblématique de
décisions superficielles et prises à l’emporte-pièce sur la base de
présentations powerpoint.
Avec le culte de la vitesse est venu celui de la superficialité, qui a
modelé un nouveau type de manager et de directeur, celui ne supportant plus un
effort de réflexion et de concentration au-delà de 30 secondes.
Powerpoint est le véhicule préféré de ces nouveaux histrions de
l’apparence. Des réunions de décision engageant parfois des budgets de
plusieurs millions d’euros voire des vies humaines sont évacuées en quelques
minutes, par adoration de la vitesse.
Les comités de direction deviennent des numéros de mauvais théâtre, où
règnent les plus démagogues et les plus flatteurs, ceux qui sont capables de
monter en épingle un détail insignifiant, d’ignorer la trame des points
véritablement importants, ou de prétendre que les méthodes de projet n’ont pas
été respectées parce qu’il aurait fallu aller au-delà du cinquième slide pour
prouver le contraire.
Seuls quelques patrons visionnaires prennent la mesure de ce danger. Ainsi
Jeff Bezos, PDG d’Amazon, a-t-il interdit l’usage de powerpoint dans les
réunions de décision. En lieu et place, toute décision devant être soumise à
arbitrage doit faire l’objet d’un résumé de 4 à 6 pages, et les 20 premières
minutes de la réunion doivent être consacrées à la lecture du document, afin de
s’assurer que chacun des participants l’a bien lu.
Ceci peut paraître aberrant, mais Jeff Bezos a été suffisamment fin
observateur pour savoir que dans nombre d’entreprises modernes, de soi-disant
décideurs ne prennent même plus les quelques minutes nécessaires à la
connaissance minimale de leur dossier.
Il est vrai que les jeux d’acteur de l’entreprise moderne valorisent bien
peu la connaissance de son métier, beaucoup plus l’art de l’intrigue
territoriale. Celle-ci étant très consommatrice en temps, le culte de la
vitesse, la superficialité inouïe des dirigeants modernes et leur totale
absence d’éthique sont trois phénomènes qui ont avancé de concert.
Lorsque des décisions sont à prendre concernant des infrastructures
profondes de l’entreprise, mais que le résultat n’est pas en visibilité
immédiate, telles que la mise en place de référentiels ou des points
d’architecture informatique, l’incompréhension est totale entre les prétendus
décideurs et ceux qui en auraient la véritable compétence.
Le culte de la vitesse est
corrélatif de celui des imposteurs, phénomène maintenant hégémonique dans le
monde de l’entreprise. Obliger – comme le fait Jeff Bezos – aux quelques
minutes de réflexion et d’approfondissement démasque les imposteurs, révèle les
véritables conceptions de fond ainsi que les compétences qui doivent les
accompagner. La cohérence et la cohésion d’un texte ne mentent pas, obligent à
structurer la pensée et à en chasser les facilités. Les profils des dirigeants
se façonneront à cette expérience : l’on sélectionne les hommes que nos
cultes ont mérités. La véritable rapidité est rendue au centuple à celui qui ne
s’est pas prêté aux grotesques mises en scène et aux parades du
« slideware ».
Réorganisation d’une direction : aller trop vite
dans ce qui nécessiterait du temps, trop lentement dans ce qui devrait être
traité rapidement :
La plupart des réorganisations de direction sont conduites selon des
logiques d’avidité territoriale et d’avidité pour les postes, non par une
compréhension organique des forces et faiblesses des équipes existantes. Il est
vrai que pour atteindre ce dernier niveau, il faut s’intéresser aux hommes, à
leurs accomplissements et à ce qu’ils savent faire.
Les décisions concernant l’organigramme de tête sont prises avec une
violence sourde alimentée par le carburant de l’arrivisme. Lorsqu’il est dit
que les meilleures décisions concernant les postes à pourvoir seront discutées
et analysées ensemble, l’on peut être sûr qu’elles auront déjà été actées quand
les principaux intéressés n’y pourront plus rien. Le comité de direction est
nommé généralement beaucoup trop vite et consacre les meilleurs manœuvriers de
couloir, non les véritables chefs d’équipe.
Les guerres d’ambition sont toujours accompagnées par leur ombre qu’est la
peur. Comme le fait remarquer Kundera, celui qui presse exagérément le pas
n’est pas l’homme décidé mais le trouillard. Le culte de la vitesse révèle
celui qui fuit toujours quelque chose. Dans le cas de la réorganisation
d’entreprise, cette fuite est celle de la confrontation directe avec les
hommes.
Les postes de direction sont trop rapidement pourvus non par le seul
empressement de l’ambition, mais par celui de la peur : dans la société
moderne, les hautes positions sociales sont celles qui vous permettent de vous
isoler et de vous protéger de la confrontation aux hommes, non de vous y
plonger, comme cela devrait être le cas du véritable dirigeant.
Jamais une société qui se dit moderne n’a autant cultivé l’esprit de caste.
La vitesse de la course aux postes ne peut même plus avoir l’excuse de la saine
ambition, de celui qui veut conduire les hommes en étant prêt à les connaître.
Elle est le pas pressé de l’usurpateur craignant sans cesse d’être découvert.
A contrario, une fois l’organigramme de tête édicté, il semble que l’on ait
tout le temps nécessaire pour ceux qui ne font pas partie des heureux élus. Les
dégâts provoqués par l’attente excessive sur ce qui touche à la destinée
professionnelle directe des hommes sont dévastateurs. Il faudrait au contraire
cette fois être rapide pour aller à la rencontre des hommes, et
comprendre comment placer « the right man at the right place ».
Là encore l’empressement excessif, la superficialité indigente et l’absence
d’éthique avancent en trio solidaire : l’absence totale de considération
pour les hommes après le partage des postes à responsabilité trahit la
véritable nature de la « rapidité ». Elle se paiera par la suite par
la lenteur considérable à redémarrer une organisation saccagée, marquée souvent
par le départ de ses véritables piliers.
La vitesse excessive dans nombre
d’entreprises n’est pas le revers de la médaille de l’efficacité frénétique –
ce qui serait un moindre mal et un prix normal à payer – mais la triste célérité des trouillards. Elle obtient là encore le contraire de ce à quoi elle
prétend : la lente résistance passive de ceux qui refusent de suivre de
faux dirigeants. Les arts martiaux sont une fois encore de bonne école :
la rapidité ne doit jamais s’obtenir au prix de la coordination, sans quoi elle
n’est qu’agitation désarticulée des membres.
3. Théorème de l’indicateur
Toute mesure de performance par un indicateur aboutira à des comportements
réalisant l’inverse de la performance attendue.
Les effets pervers du management par la mesure quantitative de performance
sont bien connus, au point qu’ils sont devenus un classique de la littérature
d’entreprise.
Par exemple :
Le problème bien identifié est qu’une trop grande explicitation de la
performance aboutit à s’attacher à la lettre plus qu’à l’esprit de l’indicateur.
Les employés seront alors prêts à tout – y compris à ce qui est de toute
évidence totalement contre-productif – pour coller à l’instrument de mesure.
Notamment lorsque l’intéressement de l’employé dépend directement de la valeur
mesurée, celle-ci devient un but en soi, même à travers des actions de toute
évidence nuisibles pour l’entreprise.
L’indicateur devient ainsi un instrument de déresponsabilisation, l’inverse
de ce pour quoi il était prévu. L’employé s’attache à réaliser étroitement son
objectif quantitatif, charge à son encadrement de gérer les conséquences de la
façon dont il l’a obtenu. Il est bien connu que lorsque les règles et
procédures d’une entreprise sont trop importantes et trop rigides, elles
deviennent le paravent et le prétexte idéaux de ceux qui sont maîtres de leur
usage détourné.
Illustrations :
La création d’un indicateur est accompagnée immédiatement
et dès le départ de la recherche des moyens pour le détourner à des fins
personnelles
Nicolas Sarkozy a fait l’expérience directe de l’effet boomerang des
indicateurs quantitatifs, lorsqu’il a entrepris de mesurer l’efficacité des
forces de police aux nombres d’affaires de délinquance résolues.
Un tel thermomètre de l’efficacité policière aboutira au mieux à bâcler la
résolution des délits pour enregistrer une performance - souvent au détriment
des victimes - au pire à pousser au crime en simulant de toutes pièces des
actes de délinquance, voire en les provoquant ou en les réalisant soi-même.
Mesurer le nombre de délinquants arrêtés crée inévitablement la tentation de
fabriquer des délinquants, jusqu’à être capable d’en endosser les habits.
La création ex-nihilo de l’unité qui témoigne de la performance est l’une
des tentations courantes. L’autre concerne les indicateurs inverses ceux qui
mesurent la performance en fonction de leur baisse, par exemple les chiffres du
chômage.
Dans ce cas la perversion consiste en l’opération inverse : radier ou
fermer trop facilement un dossier, sous le moindre prétexte, peu de temps avant
la campagne de mesure. Tous les radiés de pôle emploi pourront témoigner qu’une
règle soi-disant claire et intangible sert de variable d’ajustement.
Lorsqu’un indicateur est conçu,
il faut également concevoir les usages détournés et pervertis auquel il pourra
donner lieu. Comme ils adviendront inévitablement, leur parade doit être
qualitative et non plus quantitative : on sanctionne les comportements
abusifs, on ne combat pas les dérives d’un indicateur par d’autres indicateurs.
Lorsqu’un indicateur est employé pour le management des
hommes, il ignore tous les effets de temporalité : il est aveugle à la
façon dont le résultat a été obtenu, ainsi qu’à la projection des résultats
futurs.
Ce point nous ramène aux conditions de maintenance d’un produit ou d’un
service. On juge d’une bonne conception de maintenance sur la capacité à peu
intervenir pour un même incident donné. Ceci se jugera soit ex-post, longtemps
après la production du produit, soit ex-ante, au cours de son processus de
fabrication, c’est-à-dire deux moments que l’indicateur ne mesure pas.
Un indicateur de qualité de la production vérifiant que des règles minimales
de maintenabilité ont été pensées et implémentées peut prendre en compte ceci,
mais pour mettre en place un tel contrôle, il faut comprendre finement le
processus de fabrication imaginé par les hommes, c’est-à-dire faire bien plus
qu’appliquer un simple indicateur.
Rétablir une compréhension de la
temporalité de son produit ou de son service, c’est-à-dire savoir comment il va
évoluer, vieillir et se renouveler, nécessite de s’intéresser au travail
concret des hommes et échappe à toute logique d’indicateur. Il n’est pas
interdit ni inutile de se servir d’indicateurs comme points de contrôle
temporels, mais dans ce cas cela ramène les indicateurs à ce qu’ils doivent
être : une aide à la compréhension et à la décision, non un objectif à
réaliser.
Un indicateur ne mesure que le résultat instantané d’une
partie de l’utilisation d’un produit ou d’un service. Si cette utilisation
comporte plusieurs étapes, l’on mesurera que chacune des étapes fonctionne,
mais pas leur enchaînement.
Ceci est bien dommage, car cet enchaînement est ce que le client final vit
au quotidien quand il utilise le produit ou le service.
Quand l’usage d’un produit ou d’un service comporte des étapes A, B et C,
on peut sembler satisfait si chacune des étapes fonctionne. Mais A, B et C
peuvent parfaitement fonctionner individuellement, sans que A, B et C prises ensemble ne fonctionnent.
Ou encore, si un mode d’utilisation comporte 15 étapes, on peut avoir
vérifié que chacune fonctionne, également que leur enchaînement fonctionne, mais
l’on a simplement oublié qu’un client standard peut trouver que 15 étapes font
un parcours trop long et contraignant, et abandonnera notre produit avant d’en
avoir parcouru la moitié.
En collant à une série d’indicateurs, la vision globale et qualitative que
perçoit le client final est perdue. Rétablir cette vision nécessite de rouvrir
la compréhension des processus internes de production, c’est-à-dire précisément
de sortir d’une logique d’indicateurs.
Un indicateur engendrera
nécessairement son effet pervers associé, aboutissant au résultat inverse de ce
à quoi il était censé inciter, s’il n’est guidé par une connaissance
qualitative approfondie des actions, des compétences, des objectifs et des
aspirations de ses équipes.
Qu’en conclure ? : le Tao de l'économie
Les trois théorèmes du management doivent-ils nous mener à une vision un
peu sceptique et cynique, selon laquelle le management est seulement la
connaissance d’une collection d’effets pervers et de travers dans lesquels nous
ne manquerons pas de tomber ? En partie oui, car ce scepticisme est une
leçon de sagesse.
Au-delà de cette potion roborative, ils montrent que dans beaucoup de
situations du monde économique, une action entraîne son principe contraire qui
annule l’effet désiré, voire lui fait faire machine arrière. Il y a un Tao de
l’économie, un environnement semblable au monde biologique dans
lequel il faut tenir compte des courants contraires que chacune de nos actions
ne manquera pas d’engendrer.
Le mot de la fin est celui d’un moraliste. Le rêve du management distancié,
celui du tableau de bord qui maintient ses équipes hors de portée, désir caché
du manager médiocre qui craint des équipes plus compétentes et plus engagées
que lui, est un leurre et une nuisance.
La conclusion est kantienne : « Traite toujours autrui comme une
fin et jamais seulement comme un moyen ». L’on peut évidemment manager a
contrario de cette maxime, mais l’on n’obtiendra dans ce cas que le strict
minimum de la part des hommes.
Alors que faut-il faire ? Simplement ce que la « common
decency » et le bon sens commandent. S’intéresser aux hommes, à leurs
modes de travail, à leur façon d’anticiper voire même à leurs aspirations et à
leur psychologie.
Rentrer sur le terrain, parmi les hommes, ne pas rester dans des
« comités de direction » des « tours de contrôle » et aimer
faire cela. Ne pas prétendre que l’on ne peut pas le faire parce que l’on n’a pas
le temps, excuse facile de celui qui fuit la confrontation au réel.
L’on choisit ou non d’investir ce temps, qui s’avère être un bon placement.
Et le reste – comme toujours – nous sera donné par surcroît. C’est lorsque nous
accompagnons la nature qu’elle nous donne ses plus beaux fruits, pas lorsque
nous la forçons.
Si vous avez aimé cet article, mes deux livres sur le monde de l'entreprise et plus généralement sur les pièges de la société moderne. Egalement disponibles au format Kindle :
"L'orque : une nouvelle forme d'organisation de la société et de l'économie"
"Portrait de l'homme moderne"
Si vous avez aimé cet article, mes deux livres sur le monde de l'entreprise et plus généralement sur les pièges de la société moderne. Egalement disponibles au format Kindle :
"L'orque : une nouvelle forme d'organisation de la société et de l'économie"
"Portrait de l'homme moderne"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire