Les GAFA, ces géants du digital actuellement tous américains, sont cités comme
modèles de l’économie ouverte et loués ad
libitum par les chantres de la mondialisation.
Au-delà des postures superficielles, l’observateur attentif remarquera que
plus que jamais, il n’existe pas un seul mais plusieurs capitalismes, souvent
contradictoires.
Les GAFA sont à ce titre de véritables paradoxes. Les thuriféraires du néo-libéralisme
devraient y prendre garde, car ces sociétés pourraient s’avérer être les plus
grands adversaires de leur idéologie creuse.
La première vache sacrée du néo-libéralisme que les GAFA immolent
allègrement, est la notion de rentabilité. Non que ces entreprises ne soient
pas rentables : elles font sauter pour la plupart tous les seuils de
retour sur investissement, à l’exception d’Amazon.
Mais précisément, elles se distinguent comme championnes de la rentabilité
parce qu’elles se sont gardées d’y accorder trop d’importance. Celui qui ne
pense qu’en termes de rentabilité ressemble à un sportif qui scruterait son score
en permanence avec anxiété et perdrait ainsi tous ses points. Il faut beaucoup oublier
la rentabilité pour être rentable et ne pas se laisser enfermer dans sa
tyrannie.
Avant d’être les championnes que l’on connaît, les GAFA sont toutes passées
par des phases où leurs objectifs et leurs stratégies se moquaient visiblement
de tout retour sur investissement. Apple a essuyé des pertes record dans son
histoire. Google a investi à perte dans Google Maps pendant des années, en en faisant
quasiment une entreprise philanthropique, avant que l’on ne s’aperçoive que
cette infrastructure leur conférait un avantage décisif sur les très juteux
services géolocalisés. YouTube est encore l’une de leurs plateformes qui perd
de l’argent. Facebook mit longtemps avant d’atteindre le point de retour sur
investissement équilibré, et fait de sa gratuité un point d’honneur. Enfin
chacun sait que le modèle économique d’Amazon est actuellement à perte.
Tous les fondateurs des GAFA suivent un principe directeur simple : si
un produit rend un service notable à un grand nombre de personnes, et qu’il
permet d’améliorer son quotidien même dans de petites choses, il connaîtra tôt
ou tard le succès. Nul besoin de se lancer dans de savants calculs de ROI, dont
les hypothèses changent d’ailleurs beaucoup plus rapidement que leur horizon de
prévision. Tous les « business model » du monde ne valent pas l’idée
simple qui rend incontestablement service. Le créateur d’une entreprise
numérique qui connaîtra le succès applique en quelque sorte la maxime
chrétienne … et le reste te sera donné par surcroît.
Il n’y a pas de secteur ou les banquiers et financiers soient davantage
tenus à l’écart que dans les GAFA. Ce n’est pas en prêtant allégeance aux
financiers et à leurs critères que l’on réussit : c’est en les remettant à
leur place – celle de simples auxiliaires – et en les matant, que l’on finit
par dépasser de loin leurs critères de rentabilité. La finance est anti-auto-réalisatrice :
respectez là et elle vous méprisera et vous conduira à la ruine. Dédaignez là
et elle vous courra après.
Les créateurs de GAFA ont été invariablement accompagnés par des parasites
boursiers chantant leurs louanges, tandis qu’eux-mêmes les méprisaient souverainement
pour leur absence totale de création de valeur. Lorsque Manuel Valls
choisissait la City de Londres pour clamer son « I love business »,
il montrait par là son ignorance complète du monde de l’entreprise : s’il
y a bien un lieu dont le « business » et la valeur économique et
humaine ont fui à toutes jambes, c’est une place boursière.
Offrez quelque chose de
gratuit pour vous valoriser
Le principe du « freemium » - une première offre de services
gratuits en préalable à la suite des autres services - est maintenant une
pratique courante et admise du développement d’une société numérique. Au-delà
de son aspect astucieux et attractif, le freemium est révélateur d’un
changement important de paradigme dans le rapport de l’annonceur au consommateur.
Celui-ci fait clairement comprendre qu’il n’admet plus d’être assailli de
promotions publicitaires si les marques qui les postent n’ont pas fait leurs
preuves auparavant. Le bombardement publicitaire de masse ne provoque plus
qu’une extinction de l’écoute, le consommateur ne prêtant plus attention qu’aux
enseignes qui auront démontré leur capacité à lui apporter quelque chose.
Non seulement ces premières approches sont gratuites, mais elles sont
discutées et soupesées à travers les réseaux sociaux, jouant le rôle ancestral
du village ou du souk dans l’évaluation des réputations de chacun. La relation
commerciale ne se conçoit plus qu’à travers un rapport donnant / donnant, le
premier pas gratuit devant être fait par la marque. Le paradoxe des entreprises
qui engrangent le plus de valeur est de favoriser une importante offre
gratuite. L’avidité au gain que l’on pense consubstantielle à l’homo economicus
moderne, pour que fonctionne la sacro-sainte main invisible, est maintenant une
idée vieillie et obsolète.
La croissance, c’est
l’interaction
Dans les modèles économiques classiques, la croissance d’une société est généralement
entreprise pour obtenir des économies d’échelle, ou encore faire produire une
partie des biens dans des zones géographiques à bas coût. La croissance ne se
pense qu’en vue d’un gain en rentabilité. L’état d’esprit des fondateurs de GAFA
est tout autre : seule la poursuite de leurs idées de services au client
est importante et guide le reste. La croissance n’est employée que relativement
au développement de ces services.
Les GAFA se lancent dans des stratégies de croissance explosive, n’hésitant
pas pour cela à creuser dans leur rentabilité immédiate. Car pour un fondateur
du numérique, la croissance n’est qu’une question d’interactions : l’achat
de nouvelles sociétés est celui de pièces manquantes du puzzle de leurs nouveaux
services, nullement l’instrument d’une guerre des prix et des coûts par
n’importe quel moyen.
Vive l’intervention publique
!
Encore un lieu commun qui tombe : l’essor du numérique ne met pas à
l’écart les acteurs publics, bien au contraire, notamment aux Etats-Unis. La
recette d’une petite société devenant un géant du numérique tient en une
articulation astucieuse du privé et du public. Il ne s’agit pas bien entendu de
réalisation directe par l’état (le syndrome Bull), mais d’un accompagnement
permanent : les instances publiques fédérales et locales deviennent les
« anges gardiens » de la société en devenir, la subventionnant ou lui
prêtant des biens immobiliers lourds, protégeant sa propriété intellectuelle,
parfois de façon offensive en attaquant des sociétés étrangères concurrentes,
accompagnant ses actions de rachat.
Axelle Lemaire retint bien cette articulation du public et du privé, lors
de sa rencontre avec Jay Nath, responsable de l'innovation à la mairie de San
Francisco, et mesura à quel point les deux secteurs étaient imbriqués dans les
hauts-lieux de l’innovation nord-américaine.
Le gouvernement fédéral tient également à garder la haute main sur des
rachats de sociétés numériques américaines, les protégeant de reprises par des
compagnies étrangères. La sécurité du territoire a fourni un extraordinaire
alibi à cette intervention étatique directe, les industries du digital ayant
été classifiées comme stratégiques.
L’opposition à des rachats s’appuie sur l’amendement Exon-Florio, adopté en
1988, restreint au départ à de vraies problématiques de sécurité nationale. Il
a suffi d’élargir cette clause en 1992, par le nouvel amendement Byrd, qui
permet au gouvernement américain de s’opposer à n’importe quel rachat d’une
société numérique américaine sous le prétexte flou de la « sécurité
nationale ».
Les « élites » de
l’UE veulent nous adapter à la mondialisation : ce sont eux qui n’y ont
rien compris
Les chantres de la mondialisation, les libéraux entonnant l’hymne de
l’économie de marché, ne connaissent rien au monde de l’entreprise pour n’y
avoir jamais mis les pieds. Leur monde n’est pas celui de l’activité et de la
valeur économique, mais celui des cocktails mondains, des appareils
bureaucratiques tels que l’UE, de la médiocre littérature ou presse économique
de bas niveau, des conseils d’administration et des jetons de présence auxquels
ils viennent se raccrocher sans eux-mêmes rien créer.
Personne ne voudrait d’un Alain Minc dans la Silicon Valley ou à
Shangaï : les personnages creux n’y font pas long feu, et une économie
conduite par la finance est la marque de ceux qui manquent d’imagination. Les
thuriféraires du néo-libéralisme, incapables de penser un modèle autre que
celui de l’abaissement illimité du coût du travail, abandonnant toute notion de
métier et de compétence pour des marchés interchangeables et standardisés,
n’ont rien compris de ce que sont les véritables règles de la mondialisation.
Ils se veulent à la pointe de la modernité, il n’y a pas plus obsolète que leur
idéologie financière de parasite, de rentier vivant sur le talent et le mérite
des autres. Leurs appels à un monde ouvert ne concernent ironiquement que de
moins en moins de personnes, une petite caste très fermée sur elle-même ne
défendant plus que des privilèges rances.
Ce n’est en rien un hasard qu’un Steve Jobs ait aimé se ressourcer dans l’All
One Farm ou dans un ashram : la véritable création de valeur flirte
toujours avec la vie communautaire et les expériences qui ont relié la
Californie à l’Inde. Construisons par nous-mêmes les règles d’un monde
ouvert : ceux qui prétendent nous y amener n’y connaissent rien, aveuglés
par leur idéologie vieillie.
Si vous avez aimé cet article, retrouvez la communauté de l'Orque pour de plus amples échanges et pour un nouveau projet de société : La communauté de l'Orque
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Il est clair que le problème n'est pas le capitalisme, mais la spéculation à outrance. Au point de ruiner volontairement tout un pays, comme la Grèce ; en spéculant sur la "chute" (nouvel outil financier, s’enrichir sur l’appauvrissement d’une valeur !), et ce en toute légalité. 5 fortunes en banques privés, peuvent s'enrichir sur le dos de millions de personnes, sans être poursuivies par "la justice". Les multinationales peuvent continuer d'économiser de l'impôt public grâce à des pirouettes fiscales, (Google économise 2.3 Milliards d'impôts par an ?) ... Et nos politiques sont « noyautés » à tous les niveaux, avec ce qui s’appelle les « lobbyistes ». Ce n'est pas l'industrie qui pilote le monde, ce sont les grands "propriétaires". Cela n'a pas changé, cela empire même. Quel travailleur peut désormais s'enrichir de son seul travail ? L'enrichissement, c'est désormais pour les riches, ou ceux qui auront la bonne idée, au bon moment, et encore, en général, ils perdent le contrôle, ne gardent que 20%, au mieux... Mais réjouissez-vous, les chantiers navals de Yacht de luxe fonctionnent à plein, il y a de plus en plus de riches ! Evidemment, il faut créer plus de pauvres pour cela, y compris des travailleurs pauvres… Depuis la crise, la pression augmente, le pouvoir d’achat stagne, ou se réduit, 20% de Burnout de plus en 10 années… Mais jusqu’à quand ?
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