Musashi

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dimanche 20 décembre 2015

Blasphème Salvateur



Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

Le croyant ne tue que pour sa seule défense immédiate, si sa vie est directement menacée ou s’il voit commettre un crime devant lui.

Que celui qui ne respecte pas cet ordre de Dieu soit voué aux enfers. Le feu de la Géhenne le consumera, sous le regard de Dieu qui y veillera.

Celui qui enfreint cet ordre et le fait au nom de Dieu commet le pire des crimes. Sa duplicité, son hypocrisie le vouent à Satan. Le châtiment qu’il vivra sera inexprimable, l’enfer qu’il connaîtra fera passer l’enfer qu’il croit connaitre pour un paradis.

De faux croyants tuent des innocents au nom d’Allah, commettent des crimes en Son nom, dans le temps qui est le vôtre.

Il est à présent un devoir sacré et inaliénable, pour tout croyant, de combattre et abattre ces faux croyants, implacablement. Ceci est le sixième pilier de la foi, comme les plus grandes mosquées comportent six minarets : abattre sans merci ceux qui commettent des crimes en se réclamant d’Allah, abomination des abominations, parjure des parjures, hypocrisie des esprits les plus vils.



Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

Traitez vos sœurs comme vos égales, en tous points. Otez leur ce voile ridicule, ou pire ces accoutrements qui les dissimulent.

De quoi avez-vous peur ? Trouvez un passage, un seul, de ce Coran, qui soit une obligation absolue de voiler vos sœurs.

N’invoquez pas la sourate de la Lumière pour de fausses raisons : faut-il vous rappeler qu’elle appelle à la pudeur aussi bien les hommes que les femmes, dans leur attitude bien plus que dans leur vêtement ?

O croyants, comprenez le mouvement que Dieu imprime à travers ce Coran. Ne voyez-vous pas qu’au temps de Médine, ce qui fut écrit était un progrès considérable pour vos sœurs. La volonté de Dieu est dans ce mouvement, non dans ce qui est possible à chaque temps. Le temps de Médine n’est plus : dans le temps qui est le vôtre, accomplissez la volonté de Dieu, faites de vos sœurs vos égales.

O vous qui croyez, ne soyez pas de ceux qui ne savent lire ni écouter. Si ce Coran est tout autant loi dure qu’il est poème, ce n’est pas par accident. Son rythme est à comprendre, son mouvement est à suivre, à psalmodier, traversant les époques et les temps, sans s’attacher aux limites de l’un d’entre eux. Comprenez-le et comprenez le sens de la volonté d’Allah.



Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

Certains prétendent revenir au vrai sens de ce Coran, à sa signification authentique. Ils se drapent de pureté, se posent en véridiques.

Qui êtes-vous pour prétendre capter le sens véritable de ce Coran ? Vous est-il venu à l’esprit la chose suivante : ce Coran renferme d’innombrables significations, dans chacune de ses sourates, dans chacun de ses versets.

O vous qui croyez, avez-vous pensé que si le Coran renferme d’innombrables significations, c’est là la manifestation de toute sa puissance, non un signe de faiblesse ?

De quoi avez-vous peur ? Le labyrinthe des différents sens est la manifestation de la puissance d’Allah, qui investit toutes les dimensions de l’univers. Explorer ses différentes significations, c’est rendre hommage à Sa puissance. Une signification unique fait penser que l’univers n’a qu’une seule  dimension : est-ce ainsi que vous honorez la puissance d’Allah, en le pensant capable d’une genèse aussi étroite ?

Pensez-vous que l’araignée soit révérée par hasard par les croyants ? Comme sa toile, ce Coran est circulaire, s’étendant selon d’innombrables axes, formant pourtant une unité. Mais la toile de l’araignée doit s’explorer en tous sens, précisément pour en comprendre l’unité.

Ceux qui se ferment à l’exercice rigoureux et difficile de l’interprétation croient retrouver la pureté de la foi, ils ne trouvent en vérité qu’un amour délirant de leur seule personne.

Il est différent de prétendre dire la seule vérité d’une chose immense, ou de reconnaître que parce qu’elle est immense elle dépasse tous les croyants, qui doivent avoir l’humilité de n’en parcourir qu’une partie, comme modeste contribution.

Celui qui prétend dire la seule vérité de ce qu’il admire ne l’admire plus en réalité, mais n’admire plus que lui-même. Celui qui admire vraiment admet que quiconque sera petit par rapport à ce qui est majestueux, à commencer par lui-même.

Reprenez-la voie de vos premiers ancêtres, ceux qui pratiquaient l’Ijtihâd. Observez d’ailleurs combien à cette époque où l’Itjihâd était admis, vos ancêtres étaient les premiers parmi les hommes, éclairaient en têtes les autres hommes par les sciences et par les arts.

Regardez comment, lorsque certains ont dit vous ramener à la « vrai foi » et ont prétendu la détenir, les croyants ont cessé de rayonner et ne sont allés que de dégradation en dégradation. Posez-vous cette question.

La seule pureté qui soit est celle de l’humilité de celui qui pratique l’Itjihâd, parce qu’il ne se vante pas, qu’il ne croit pas être le seul véridique, qu’il se contente de servir modestement ce qu’il admire, en admettant être encore ignorant. L’Itjihâd requiert la vraie discipline sur soi, la véritable rigueur, celle de l’exploration patiente nécessitant une vigilance constante à tous les pièges des multiples sens qui peuvent s’ouvrir.

Que nul rapace ne s’approche de ce Coran ! Il n’y a pas de pire abomination que ceux qui s’en prétendent les purs et les serviteurs, mais ne cherchent qu’à se l’accaparer, s’en dire les détenteurs. Leur seul mystère caché est celui de leur avidité et de leur vanité infinie. Ils sont promis à la Géhenne par Allah !

Servir véritablement, c’est accepter de disparaître, c’est se résoudre à n’être qu’un simple instrument des innombrables significations qu’Allah exprime dans toute Sa puissance, dont nous ne posséderons jamais complètement la clé.



Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

O croyants, êtes-vous aussi myopes pour ne pas comprendre ? Ne savez-vous distinguer l’esprit de la lettre, le mouvement d’ensemble de l’action immédiate, la tendance de fond de l’événement ?

Oui ce Coran appelle à la guerre. Oui, nombreuses sont les sourates qui le font : ce Coran appelle au combat, il n’est pas de paix, il est de lutte.

Mais quand pratiquerez-vous le Jihad an-nafs ? Quand entreprendrez-vous le véritable grand Jihad, celui contre vos propres instincts, vos propres défauts, sans excuse et sans gémissement ? Ne voyez-vous pas qu’au temps de Médine, les batailles terrestres n’étaient que celles d’une époque, parce qu’il en allait alors de la survie ?

Etes-vous à ce point aveugle pour ne pas comprendre que la répétition n’est pas la fidélité mais la trahison, si vous ne savez comprendre le pourquoi des actes du Coran, la raison derrière chaque action des croyants ?

La foi de ce Coran est bien distincte en cela de la foi des autres livres. La foi de ce Coran est bien la foi du guerrier, il ne faut pas le nier. Mais dans votre temps, plus dans le temps de Médine, vous savez maintenant comment la foi du guerrier peut être foi pacifique. Dans ces lieux que l’on appelle dojos, d’autres hommes venus de lointains horizons sont venus vous enseigner ce qu’était le Jihad an-nafs.

Est-ce un hasard si l’on retrouve tant de croyants en Allah dans les dojos ? Observez que ces croyants tombent bien moins souvent dans le piège des faux purs, des vertueux hypocrites. Voyez comment le Jihad an-nafs les forge, les défend comme un bouclier, les fait retrouver le chemin de la droiture.

Où sont ces fiers guerriers de la foi, tant croisés dans les dojos ? Il paraît que les croyants n’osent plus s’exprimer parce que ces faux purs les intimident, les menacent. Montrez-leur donc qui sont les patrons ! Cassez-leur la figure ! Fiers guerriers d’Allah tant croisés sous des kimonos, où êtes-vous ? Ces faux durs ne tiendraient pas une minute contre vous ! Faites leur ravaler leur imposture ! Montrez leur quels hommes vous êtes ! Formez des brigades contre ceux qui piétinent et défigurent votre foi et matez les ! Montrez comment le Jihad an-nafs, forgé dans la fraternité du kimono, érige ces guerriers tranquilles dont le monde a besoin.



Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

Défaites-vous de tout pouvoir temporel, lorsque vous vous référez à ce Coran. Où avez-vous pris qu’il fallait en faire un texte de loi à l’usage de toutes les actions des hommes ? Comment un poème et une révélation peuvent-ils être un livre de juriste ? Que ce Coran inspire vos sentiments de justice et vous soit présent à l’esprit lorsque vous rédigez vos lois. Mais qu’il ne soit pas lui-même un texte de loi.

Renoncez au pouvoir temporel lorsque vous invoquez Allah. Voyez comment vos frères chrétiens sont tombés dans les mêmes ornières que vous quelques siècles auparavant, tant qu’ils n’ont pas su se défaire de l’avidité du pouvoir temporel. Voyez combien leur religion était violente, intolérante, inquisitrice, tant que son rapport au pouvoir n’était pas clarifié.

Défaites-vous une bonne fois pour toutes de ces « Hadith », par respect pour ce Coran. Qui vous a autorisés à entretenir un tel fatras de témoignage douteux, dont certains sont d’ailleurs abominables et contraires à tout ce que le Coran enseigne ?

Que le sentier de la foi inspire chacune de vos actions, mais résistez à la tentation de le mêler au jeu du pouvoir des hommes. N’en faites ni un texte de loi, ni un projet politique, mais une source unique inspirant et forgeant des hommes de bien.

Lorsqu’il est question de l’Islam, beaucoup – y compris parmi des amis proches – soutiennent la thèse que l’Islam est intrinsèquement mauvais et irrécupérable. Qu’il est perverti à sa source, de par la personnalité de son prophète, accusé de brigandage, d’exécution de massacres épouvantables, voire de pédophilie. Ceci appuyé sur différents passages du Coran ou des Hadiths, parmi les plus guerriers.

En tant que chrétien, je suis désolé de dire que ces arguments me laissent froid. Au risque de choquer très profondément mes amis, de toutes religions confondues, je soutiens une vision séparant totalement la réalité historique d’une religion de sa réalité spirituelle.

Il a après tout été prétendu que le Christ avait eu des enfants et connu le commerce charnel avec une femme, ou encore que Moïse n’était pas un seul mais deux hommes, recomposé en un seul personnage par les textes (cf « Moïse et le monothéisme » de Freud).

Nous ne saurons de toute façon jamais rien de la vérité historique des fondateurs des religions. La vérité d’une religion n’est ni historique ni scientifique, elle est phénoménologique. Elle crée sa réalité, et est ce que l’on en fait et ce qu’elle parvient à inspirer aux hommes. La question de savoir si la foi qu’elle inspire au temps présent est fidèle à « la vraie foi », aux « pères fondateurs », à « l’authenticité des textes d’origine » est dénuée de signification. Seul ce qu'elle a réussi à insuffler aux hommes est la vérité de son message.

La tentation est toujours grande de demander si la pratique présente d’une religion est fidèle à une réalité sous-jacente représentée par le (les) prophète(s) d’origine et par les textes fondateurs, qui constitueraient la « vrai foi ». Les fondamentalismes procèdent toujours d’une tentative de « retour aux sources » et à la « vérité du texte ».

Or les origines d’une religion, textes et paroles ou actes du fondateur, ne sont elles-mêmes jamais univoques. Elles renferment de multiples significations possibles. Le retour à la « pureté » est au mieux une chimère d’illuminé, au pire le paravent d’intentions beaucoup moins respectables, liées à une mégalomanie et un appétit de pouvoir se plaçant sous l’étendard de « la vrai foi ».

La vérité d’une religion est simplement posée et créée dans l’esprit des hommes. Elle est proche en cela de la vérité artistique. Elle n’a pas besoin, comme en sciences ou en histoire, d’un référent représentant la réalité concrète auquel elle devrait sans cesse se comparer pour savoir si elle y est conforme.

Il n’y a pas en religion de « plan sous-jacent » permettant de savoir si ce qu’elle inspire est en droite ligne ou non de ce qu’était le père fondateur. Ce qu’elle inspire est une réalité en soi. Parce qu’il y a eu en Islam, un Ibn Rushd, un Ibn Sina, un Al Farabi ou un Al Kindi, l’objection consistant à dire qu’ils n’avaient rien à voir avec Mahomet parce que ce dernier aurait été un criminel épouvantable, est totalement caduque.

Ibn Rushd, Ibn Sina, Al-Farabi et Al-Kindi ont existé et ont accompli ce qu’ils ont accompli : c’est une réalité en tant que telle. Que le Coran n’ait inspiré leurs actions que par un « malentendu », parce qu’il serait un livre « maléfique », est une objection dénuée de signification : le fait que le Coran ait inspiré leur œuvre est un fait en soi, indépendant de savoir s’il s’agissait du « vrai message » du Coran, ce qui d’ailleurs ne veut rien dire.

Le plan spirituel et le plan historique sont ainsi totalement séparés. La vie spirituelle est animée d’une dynamique propre. Elle se moque des recherches sur « l’apparence » et « la réalité » d’une religion : comme nous l’enseigne le Zen, ce que l’on juge être en surface peut s’avérer être le plan profond et ce que l’on prétend profond n’être que superficiel : il en est ainsi de tous les fondamentalismes.

Les œuvres artistiques ont illustré ceci plus d’une fois, lorsque des doublures et des inventions finissent par devenir plus réelles que leur modèles, parce que la croyance collective crée une réalité : ainsi de l’admirable « Kagmusha » de Kurosawa, ou « Le Général Della Rovere » de Rossellini, où de pâles doublures se révèlent encore meilleures que les grands hommes auxquels elles ont pu succéder, par ce qu’elles ont su inspirer aux hommes qui les entourent.

Toutes les religions peuvent verser dans ce travers de se considérer comme la seule « vraie foi authentique », appuyée sur de « vrais textes » et des personnages « historiquement fondés », les autres religions étant quant à elles des illusions s’appuyant sur des faux en écriture ou des personnages totalement contraires à leur légende. L’on voit ainsi sur les réseaux sociaux des gens s’acharner à « démontrer » la « véracité » de leur religion et la « fausseté » de celle des autres.

Cette manière de penser signe généralement le début de la fin, et est le ferment de toutes les formes de mépris des autres, de haines,  voire d’une séparation de nature entre deux types d’humanité. Si l’Islam est de nos jours incontestablement sur cette mauvaise pente, il faut se souvenir que son déclin a correspondu à cette prétention du « retour à la vraie source et à la vraie foi », et que nulle religion n’est à l’abri de cette prétention qui ne masque que le plus dangereux des narcissismes.


La seule spiritualité qui vaille admet que la seule chose authentique nous est incompréhensible et nous dépasse infiniment, qu’en cela nous ne pouvons prétendre être « plus authentique » que les autres, mais seulement nous perdre chacun à notre façon dans la contemplation de cette beauté, commune à toute l’humanité.

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