La subversion ne consiste pas à mettre les rieurs de son côté, car les
rieurs sont bien souvent les repus et les puissants. Auquel cas le rire devient
une forme de collaboration, de soumission servile, celle des bouffons de cour.
Lorsque le rire devient l’instrument de son propre pouvoir ou du pouvoir
des autres, l’esprit de finesse dont il se croit investi ne fait que masquer le
plus banal des arrivismes.
La dérision systématique qui envahit certains de nos médias est de façon
évidente une stratégie de tabula rasa
visant à ne laisser la parole qu’à une seule opinion. Il nous est infligé un
humour sinistre, accompagné par des commissaires du peuple grimés en clown, chargés
de repérer et désigner ceux qui n’ont pas ri.
La subversion véritable consiste à ridiculiser les tartuffes, quel que soit
le catéchisme qu’ils emploient, celui des anciennes ou des nouvelles dévotions.
De la libération sexuelle
Lorsque le film « La belle saison » est sorti récemment sur nos
écrans, je me suis demandé combien de films nous pouvions compter dans les
dernières années relatant les émois homosexuels de jeunes gens en recherche
d’eux-mêmes. Le nombre de tels films est si grand que je me suis également
demandé à partir de quelle quantité leur auto-proclamation comme champions de
la subversion devenait le conformisme le plus courant.
La libération sexuelle se place en opposition au puritanisme issu des
religions. Fort bien, mais il introduit un nouveau catéchisme tout aussi
insupportable que l’ancien lorsqu’il se teinte d’hypocrisie. Le moralisme de
l’immoralisme prononce des sermons pontifiants sur la nécessité absolue et
obligatoire de briser toutes les frontières de la sexualité. Qu’importe que le
message ait été inversé, le porno-chic comme le puritanisme en son temps ne
reflètent que la volonté la plus banale de préserver un ordre établi.
Nos petits subversifs ne voient-ils pas que, de nos jours, prôner la
libération sexuelle ou l’infidélité, c’est ramper devant les puissants ?
Que loin de déranger l’ordre social, ce message ne fait que renforcer un peu
plus les mœurs des nouvelles castes dirigeantes ? N’est-il pas évident que
l’appétit de domination a remplacé l’accomplissement par la maîtrise de
disciplines personnelles, et qu’il a investi la sexualité par extension du
domaine de la lutte ?
La soi-disant « libération » accélère la constitution d’un vivier
directement consommable par ceux qui peuvent y accéder, le rapport de
domination sociale ayant remplacé le rapport sexuel. L’attitude
« cool », « ouverte » et « humaniste » est le
discours des modernes tartuffes, qui cachent derrière ces termes les pratiques
dont ils ont besoin pour se sentir exister, qui n’ont d’ailleurs plus rien à
voir avec la sexualité, mais beaucoup avec leur narcissisme.
De mai 1968 et du rapport
au pouvoir
Plus le temps passe, plus il apparaît clairement que le seul et unique
objectif que visaient les soixante-huitards était l’argent, le pouvoir et le
sexe, le triptyque machiavélien. Ceci est effectivement d’une très grande
originalité et d’une profonde subversion. Comme je ne suis pas moi-même un
moralisateur, je ne leur reproche pas cet appétit, mais l’hypocrisie d’avoir
prétendu faire autre chose.
La totalité de mai 68 peut se relire sous l’angle unique de la course au
pouvoir et aux positions. Le bréviaire des soixante-huitards n’est pas Jacques
Kerouac mais a posteriori « Game of Thrones », le jeu de la
courtisanerie, des intrigues et du pouvoir à tout prix. En matière de
philosophie politique, malgré les apparences qu’ils se donnent, tout peut se
résumer chez eux à une seule œuvre, de surcroît assez vulgaire.
L’ensemble de la soi-disant « pensée » qui s’est développée à
cette époque n’est qu’une immense auto-justification de ces buts qu’ils ne
voulaient pas s’avouer. Travers humain peut-être, mais qu’ils ne viennent pas
dans ce cas prétendre avoir de l’imagination. Contrairement à sa bruyante
propagande – le seul art qui s’y trouvait maîtrisé – mai 68 fut une période extrêmement
pauvre sur le plan de la pensée.
Les soixante-huitards se sont naturellement orientés vers les domaines de
la superficialité et du frivole, parfois masqués sous le dehors sérieux de la
philosophie : le verbiage hégélien fit merveille, celui des fabricants
d’illusion et de poudre aux yeux, qui polluèrent l’université française pendant
des décennies. Des « philosophes » appliquant les techniques de la
communication, de la publicité et du marketing s’en suivirent naturellement.
Plus un homme cherche à se distinguer à tout prix, plus il est banal dans son
besoin maladif de se faire valoir. Plus il recherche l’anonymat et l’absence
d’esbroufe, plus il se révèle être un homme d’exception. Pour cette raison, le
gentleman est et restera toujours la figure du subversif par excellence. Une
chose que les soixante-huitards ne pourront jamais comprendre mais qui leur
colle si bien, est cet aphorisme ensoleillé de Vladimir Jankélévitch,
« l’ego est en raison inverse de la personnalité ».
De l’éducation nationale
Le summum de la subversion consiste aujourd’hui à enseigner les langues
anciennes, le latin et le grec. En dehors des risques de persécution croissants
auxquels s’exposent les pratiquants de ces disciplines sulfureuses, le latin et
le grec donnent accès à une arme terrifiante : l’étymologie.
Il n’y a pas de meilleur outil favorisant l’égalité des chances et la
mobilité sociale que l’étymologie. Car elle est un chemin d’accès aux clés de
la maîtrise de la langue, pour les enfants issus de classes sociales modestes.
Lorsqu’un enfant n’a pas eu la chance de naître entouré de toutes les
références culturelles nécessaires à un haut niveau de langage, l’étymologie
est le sentier qui lui permet de les rejoindre.
Il fut un temps où la gauche prônait l’objectif louable de donner au peuple
une conscience lui permettant de s’extraire de sa condition. Il semble
maintenant qu’elle estime plus simple et plus sûr de l’anesthésier lourdement.
Jamel Debbouze est présenté comme un parangon de la subversion par nos
modernes tartuffes, qui savent pertinemment que cette médiocrité cantonnera les
futurs citoyens à une imbécillité permanente. Le grec et le latin risquent
fort en revanche de former des citoyens qui se mettent à réfléchir, parce
qu’ils auront accès à l’origine des mots, empêchant que l’on en fausse tout à
fait le sens. On comprend qu’une telle perspective inquiète beaucoup nos
« subversifs ».
De l’universalisme et du
patriotisme
Il fut considéré comme prodigieusement « subversif » de
rabaisser, dénigrer, ridiculiser, toute forme d’attachement à la France. Les
tartuffes oscillent toujours entre l’humour sinistre des arrivistes et les
imprécations grandiloquentes. Il n’y eut pas d’exception pour le patriotisme,
tantôt cible de moqueries, tantôt attaqué en procès d’opinion sous l’accusation
de fascisme. Les mêmes « philosophes » continuateurs de 68 qui
n’étaient que des communicants, trouvèrent intelligent d’opposer le patriotisme
à l’universalisme, assimilant toute forme d’attachement à la France à un refus
de l’humanité.
Comme au théâtre, les tartuffes finissent par être démasqués. Il ne leur
était pas venu à l’idée que les cités grecques nous avaient légué nombre de nos
idées universalistes, mais que l’attachement de chaque citoyen à sa mère patrie
et à la défense de la cité étaient des valeurs qui ne faisaient pas même
question. Il est décidément très dangereux et très subversif d’apprendre le
grec.
Par la suite, avec le temps de retard que tous les opportunistes accusent
sur les gens simples, ils découvrirent que leur intelligente et subversive
opposition avait abouti à détruire des valeurs fondamentales de notre société,
laïcité, liberté de conscience, respect du droit, pour faire surgir des
communautarismes fondés sur la loi du plus fort, l’intimidation et le règne des
caïds. Il est vrai que l’émergence des pègres est le désir secret et trouble de
tous les tartuffes, désir d’autant plus puissant que leurs admonestations
morales sont radicales.
« Cachez ce sein que je ne saurais voir ». Pour nos modernes
tartuffes, c’est encore une poitrine conquérante que leur hypocrisie ne parvient
pas à soutenir du regard : celle de la liberté guidant le peuple.
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