L’antisémitisme est un poison de l’esprit difficile à combattre, car il aime prendre des formes détournées. Refoulé pendant plusieurs décennies à la suite de la Shoah, il ressurgit depuis quelques années sous des formes camouflées, empruntant de nouveaux masques, le plus connu étant celui de « l’antisionisme ».
Combien de fois n’avons-nous pas entendu la phrase « je ne suis pas antisémite, mais antisioniste », et peu après cette incantation censée tout excuser, entendre un discours d’un antisémitisme forcené, oscillant entre des caractéristiques essentialisées dans le peuple juif et des fantasmes de manipulations à l’échelle mondiale.
Au-delà du contresens historique sur ce qu’est le sionisme, généralement perpétré par les tenants du précédent argument, la véritable question qui départage un discours antisémite d’une critique raisonnée de la politique israélienne, est la reconnaissance de l’existence d’Israël, et de son droit à être.
Lorsque j’entends une personne déployer l’habituel paravent de « l’antisionisme », mon niveau d’alerte est levé au maximum, et j’en viens à la seule question qui permette de savoir à qui j’ai affaire : considère-t-il qu’Israël possède un droit inaliénable à exister, ou non. Si mon interlocuteur lui dénie ce droit, ou s’étrangle à moitié pour ne lui reconnaître qu’une existence partielle et sans indépendance véritable, alors je sais qu’il est antisémite, quelles que soient les justifications oiseuses qu’il avancera sur la différence avec « l’antisionisme ». Toute discussion prend fin dans ce cas.
Si mon interlocuteur reconnaît de façon claire qu’Israël possède en tous les cas un droit inaliénable et en pleine indépendance à l’existence, la discussion devient possible, et je m’attacherai à lui réexposer la genèse historique du sionisme pour lui montrer qu’il commet un contresens. Le préalable à toute discussion, est d’admettre le droit de vivre à son interlocuteur. On entre dans ce cas dans la critique raisonnée des gouvernements politiques, celui d’Israël pouvant être critiqué, même durement, comme l’est le gouvernement de n’importe quel pays.
Un argument fallacieux souvent rencontré, est de dénier aux juifs le droit à se constituer en état sous prétexte qu’il n’y aurait pas de différence à faire avec n’importe quelle autre communauté. Que l’on ne voit pas en quoi les juifs disposeraient de ce droit particulier par rapport à d’autres communautés dispersées en diasporas dans leurs pays d’accueil, ou en minorités régionales. C’est là faire montre d’une totale irresponsabilité historique. Le peuple juif a fait l’objet de persécutions incessantes à travers l’histoire, jusqu’à une tentative d’extermination totale, à un niveau et avec une permanence sans comparaison possible, qui nécessitent sa défense par un état. Du reste, lorsqu’une communauté juive a tenté l’assimilation la plus sincère à son pays d’accueil, jusqu’à en oublier parfois son origine, et n’a revendiqué aucune forme d’exception, il lui fut rappelé son judaïsme lorsque le temps des persécutions était venu, avant de procéder à son massacre. Beaucoup de français sous l’occupation subirent ainsi les persécutions quand bien même ils avaient été jusqu’à oublier leur judaïsme, et à éteindre tout souhait de le revendiquer. Raisonner de façon abstraite comme si la demande d’établir Israël était une simple revendication minoritaire, c’est rayer le poids de siècles d’oppression, de massacres et de tentatives de destruction. C’est assimiler des siècles d’hommes exterminés, de femmes violées, d’enfants torturés devant leurs parents, généralement sous la bénédiction des autorités en place, à une simple revendication. La dénégation au peuple juif d’un droit de se constituer en état n’est qu’une forme prolongée du négationnisme, une ignorance feinte et hypocrite d’un phénomène historique répété, au profit d’un raisonnement abstrait se voulant égalitaire, ne rêvant en réalité que de faire renaître l’oppression.
Mais en disant cela, nous semblons supposer qu’il y aurait une fatalité historique à ce que les juifs soient persécutés. Que si Israël n’existait pas, le peuple juif serait à nouveau la cible d’oppressions diverses, jusqu’à la volonté de le détruire. Oui, c’est ce que nous prétendons, en l’état actuel de l’histoire. Nous n’y voyons pas un déterminisme historique absolu. Il se peut que dans des siècles futurs, la persécution des juifs ne soit plus une tendance historique inévitable. Mais encore actuellement, dénier aux juifs le droit à l’existence d’Israël, c’est leur dénier la vie, ou les voir – et c’est peut-être le souhait des adversaires d’Israël - en vie mais perpétuellement humiliés et rabaissés. Telle que se trouve l’humanité actuellement, et telle que l’évolution de l’histoire encore récente le montre, il existe un déterminisme fort qui conduirait de façon certaine à de nouvelles persécutions du peuple juif, sans l’existence d’un état qui en garantirait la sécurité.
Ceci amène naturellement la question : mais pourquoi cet acharnement ? Pourquoi les juifs particulièrement ? Quelles raisons font de la pente de la persécution un déterminisme fort, nécessitant que le peuple juif doive s’en défendre en permanence ? Nous reposons à nouveau la question des causes de l’antisémitisme. La meilleure façon de combattre l’antisémitisme est de revenir aux causes premières de sa naissance, en espérant convaincre ceux qui en sont frappés que c’est en eux-mêmes que se trouve le mal à combattre. Si les raisons que nous allons invoquer maintenant étaient admises, si l’humanité atteignait un niveau de conscience lui permettant de les voir clairement, et par là de voir aussi clairement en elle-même, la haine du judaïsme disparaîtrait, et la malédiction historique serait conjurée.
1 Les causes de l’antisémitisme
Ce sujet est récurrent et sans doute l’un des plus débattus du demi-siècle, à la suite de la Shoah. Peu de gens, pas même parmi les antisémites, ne contestent l’histoire des persécutions à l’encontre des juifs, pogroms, exactions conduites au moyen-âge par les « pastoureaux », massacres perpétrés par les cosaques… la fresque de l’horreur est longue, d’une population torturée à travers les siècles, culminant avec la Shoah qui en vient à l’extermination volontaire et systématique.
Malgré ces faits, les antisémites y verront un renforcement de leurs convictions. Le fait que le peuple juif ait été sans conteste le plus persécuté de l’histoire est interprété par eux comme une preuve de sa culpabilité : si de telles exactions ont été commises, c’est sans doute selon eux parce qu’elles avaient une part de motivation légitime. Nombre d’antisémites condamneront les crimes commis à l’égard du peuple juif, mais en ajoutant que celui-ci doit tout de même bien y être pour quelque chose. Hypocrisie d’une compassion enrobant une haine, de soi-disant marques d’affection préparant les accusations racistes.
Plusieurs penseurs ont exploré les causes de l’antisémitisme, parmi eux bien entendu de nombreux juifs, tels qu’Hannah Arendt. Toutes les raisons furent invoquées : endogamie de la communauté, emploi d’une langue non comprise des autres qui lèverait des soupçons de secrets à dissimuler, responsabilité de la mort du Christ, … aucune ne m’a paru jusqu’à ce jour convaincante, et nous démolirons d’ailleurs un peu plus loin quelques-unes d’entre elles venues alimenter le fonds des préjugés antisémites.
Aussi, allons-nous tenter une nouvelle explication. Elle n’a été, autant que je sache, pas ou peu invoquée, alors qu’elle me paraît être une cause évidente, ancrée dans la psychologie humaine ainsi que dans le comportement animal. Elle a le mérite d’être d’une grande simplicité, presque « mécanique » comme nous allons le voir, et de ne pas dépendre de variations du contexte historique qui mettent souvent à bas les autres explications.
Pour pouvoir exposer notre thèse, nous devons décrire au préalable un élément humain très important, celui de ce qu’est l’éducation juive. De la formation dont bénéficiera – sauf accident – l’enfant juif jusqu’à son adolescence. Nombre d’antisémites seraient sans doute ébranlés par cette description, car c’est sa méconnaissance qui est à la source de leurs premiers ressentiments.
L’enfant juif bénéficie très tôt (généralement dès l’âge de 6 ans) d’un legs précieux : celui de l’enseignement du Talmud. En quoi cet enseignement consiste-t-il ? A lire et interpréter des textes, afin d’apprendre à argumenter, contre-argumenter, chercher les interprétations et significations multiples d’un texte. L’examen de nombreuses possibilités est mené selon plusieurs scénarios. L’interdépendance de différents événements du monde est mise en évidence. La recherche des causes conduit à un niveau d’abstraction élevé, tempéré par l’illustration selon des exemples concrets : toute preuve apparaît comme pouvant être subdivisée en plusieurs nouvelles variantes, lorsqu’elle se trouve confrontée à la réalité concrète. Le rapport entre les éléments formels du langage - ceux de la grammaire et de la logique – et ses éléments informels, connotations, suggestions, analogies, ne cesse de jouer en se répondant mutuellement. Enfin, l’on enseigne à savoir suspendre son jugement, et accepter qu’un problème ne soit que partiellement résolu.
Le Talmud est un entraînement de l’esprit, de première catégorie. Il ne se limite d’ailleurs pas à un exercice cérébral : un aspect affectif et spirituel l’accompagne, parce qu’il est aussi un enseignement religieux touchant à l’homme et à sa nature, également parce qu’il baigne l’environnement familial de l’enfant juif, à commencer par la transmission parentale, souvent rajoutée aux enseignements de Talmud Torah, et pratiquée pendant les fêtes célébrées en famille. Tous ces éléments sont bien résumés par Eliette Abecassis :
L’enfant se voit ainsi transmettre un legs précieux : l’enseignement juif est une école de la complexité du monde de première force, assise sur une tradition de plusieurs millénaires. Sous une forme éducative, elle ouvre à l’enfant qui en bénéficie une perception accrue de son environnement, du jeu des causes et des facteurs qui nous influencent.
L’éducation donne toujours des résultats. Statistiquement, la population juive sera mieux armée que la moyenne à affronter les difficultés du monde, parce que celles-ci relèvent davantage de la résolution de problèmes que de l’emploi de la force. Une telle éducation permettra – là encore statistiquement – à une plus grande proportion de la population juive de poursuivre des études longues, puis d’occuper des postes à plus grande responsabilité. D’où l’atteinte en proportion plus importante de postes en médecine, journalisme, droit, entreprise, etc.
Ces différences statistiques sont le premier facteur qui réveille le ressentiment antisémite. Telle la démence de Renaud Camus comptabilisant le nombre de juifs dans telle ou telle profession, l’antisémite oscille toujours entre une sorte de crainte ou complexe d’infériorité lui faisant penser qu’il affronte une sorte d’espèce supérieure, et une accusation de malhonnêteté dans l’obtention de ces postes. L’antisémite est bloqué entre deux explications simplistes également inacceptables, soit une réussite des juifs qui serait due à une supériorité intrinsèque, ethnique, soit une tricherie qui serait selon lui le démasquage de cette supériorité. Il ne lui vient pas à l’idée que c’est une troisième raison beaucoup plus simple qui est la véritable : le résultat de l’éducation.
Dès lors, le premier mécanisme de l’antisémitisme nous apparaît : le sentiment humain éternel de la jalousie, de l’envie, de la haine de celui qui réussit. L’antisémite est avant tout quelqu’un qui n’a pas eu la force d’affronter la complexité du monde, et qui accuse les autres de ce qui est sa propre faiblesse. Qui n’a pas le courage d’embrasser la vie – toute la vie – et qui se trouve des prétextes pour en accuser ceux qui y réussissent mieux. Il se drape dans une résistance de pacotille, masquant l’envie et la jalousie les plus primaires.
Ce seul mécanisme ne suffit pas à expliquer les persécutions dont le peuple juif a été victime, et qui se reproduiraient sans l’existence d’Israël. Il n’est que la première moitié de l’explication. C’est la combinaison de deux facteurs qui a provoqué un mélange explosif.
Le second facteur est que – contrairement à nombre de préjugés antisémites – les communautés juives ne disposaient que de peu de soutien du réseau relationnel des pays dans lesquels elles étaient implantées. Ce pour une raison simple : leurs migrations fréquentes leur conférait un statut de nouveau venu. Elles ne bénéficiaient pas, comme cela peut-être le cas de français catholiques installés depuis plusieurs générations, des assises institutionnelles nécessitant plusieurs siècles d’implantation dans un pays.
Un haut dirigeant dont les ancêtres sont établis dans son pays depuis des générations bénéficie d’un soutien bien plus important que celui de son seul poste : ce sont tous les cercles du pouvoir établis depuis des siècles dans l’histoire de son pays qui font corps avec lui. Les juifs qui avaient pu parvenir à des postes à haute responsabilité pour la raison éducative que nous connaissons maintenant, ne bénéficiaient pas d’un tel « socle » ancré dans l’histoire d’une nation. Ils devenaient de ce fait, des cibles plus faciles pour tous ceux animés de sentiments revanchards, de pulsions d’aigreur. C’est la combinaison de ces deux facteurs – positions élevées et faible assise dans l’histoire et les institutions d’un pays, qui fut souvent fatale aux communautés juives.
La situation des juifs décrite précédemment peut être mise en analogie avec les lois de la mécanique enseignées en sciences physiques. A travers l’histoire, les juifs se sont trouvés dans la situation de ce que la mécanique qualifie « d’équilibre instable », c’est-à-dire un état fragile, qui menace à tout moment de se renverser à la moindre chiquenaude. C’est le cas d’une tige en bois, qui comporte une boule d’un poids important à l’une de ces extrémités. Il est possible de faire tenir en équilibre cet objet sur l’extrémité de la tige qui est libre, le poids se trouvant en haut, et l’objet tenant sur la faible surface de l’autre extrémité. L’on sait que le moindre choc fera tomber l’objet : son centre de gravité est situé bien plus haut que son milieu géométrique. Position élevée, mais faible assise dans les fondements institutionnels et historiques d’une société. C’est une situation d’équilibre instable, c’est-à-dire de vulnérabilité.
Un homme au statut social élevé, mais bénéficiant de tout le fonds institutionnel de l’histoire de son pays, par exemple une personne issue des anciennes familles catholiques qui ont gravité dans les cercles du pouvoir en France depuis des siècles, est dans une situation assimilable au même objet mais avec une différence notable : des butées à droite et à gauche proches du poids, empêchent l’objet de tomber. Il s’agit toujours d’un équilibre instable, celui des hautes positions, mais avec des protections l’empêchant de chuter.
Les antisémites sont généralement des personnes contestant l’ordre établi – ce qui peut être au départ parfaitement légitime – mais qui n’ont pas eu le courage de s’en prendre à ses véritables représentants, trop bien installés et protégés. Ainsi, s’en prendre au pouvoir royal ou aux institutions premières nécessite le courage du révolutionnaire, qui affronte directement les puissances installées. Les juifs qui avaient pu atteindre des positions élevées étaient une cible beaucoup plus facile et tentante : leur réussite attisait le ressentiment et leur installation plus fragile nécessitait beaucoup moins de courage pour s’en prendre à eux.
L’antisémitisme peut ainsi être qualifié d’alliage de l’envie et de la lâcheté. Il est le fait de tous les aigris, les ratés de l’existence, ceux qui n’ont jamais eu la force de se livrer à l’examen critique de leurs propres faiblesses pour s’améliorer. Et qui se complaisent dans la jalousie la plus primaire de ceux qui réussissent à mener à bien cet affrontement.
A ceux qui douteraient de cette explication, qu’ils songent à deux exemples tout à fait extérieurs au judaïsme, mais dans lesquels le même mécanisme psychologique est à l’œuvre :
- La situation d’un décisionnaire de haut niveau nommé dans une grande entreprise, notamment au comité exécutif, mais nouveau venu dans la société, parce qu’il vient d’une embauche extérieure. Par rapport à ses collègues qui peuvent avoir plus de 30 ans de carrière et un réseau relationnel très profond dans la société, l’intégration du nouveau venu est souvent chose très difficile. Très souvent, son arrivée ne fonctionne pas, et il se trouve expulsé par ceux qui possèdent un meilleur ancrage institutionnel. Il attire le ressentiment par sa haute fonction mais se trouve être une cible plus facile.
- Marie-Antoinette, « l’Autrichienne », cristallisera longtemps la haine et sera même accusée d’être celle qui entraîne le roi dans toutes les mauvaises pentes, parce qu’il était bien plus difficile de s’attaquer directement à lui. Ce n’est que plus tard que la révolution trouvera la force de ne plus se chercher des boucs émissaires, et d’affronter directement le pouvoir monarchique.
2 Les antidotes
En toutes choses, il ne faut pas se surestimer. Même un homme de bien à qui l’explication précédente est donnée verra surgir en lui le poison de l’antisémitisme – c’est-à-dire celui de l’envie – s’il ne travaille sur lui-même. La jalousie de ce que l’autre possède et l’oubli de nos propres défaillances sous toutes sortes de prétextes sont un atavisme humain, obéissant aux implacables lois du psychisme. Penser que l’on s’en débarrassera par de simples paroles et promesses, est une forme d’orgueil et d’estimation incorrecte de ses propres limites.
Ce que fait la Corée dans l’article pré-cité d’Eliette Abecassis montre la voie : les coréens réagissent avec la bonne attitude. Lorsque quelqu’un réussit mieux que soi, deux sortes de comportement sont possibles. Le premier est celui de l’aigreur, qui ne tardera pas à inventer des prétextes de mauvaise foi quant à la réussite d’autrui. Le second – la bonne voie – est d’essayer d’en faire autant, de relever le défi !
2.1 Choisir une école de la complexité
Le meilleur chemin pour un homme de se prémunir contre l’antisémitisme est de pratiquer lui-même les arts de la complexité, ceux qui donnent accès à une plus grande lucidité sur l’enchevêtrement des causes et des événements du monde. Quels sont ces arts et en quoi consistent-ils ? Ils sont fondés sur le même principe que ceux énoncés pour le Talmud. Toutes les éducations de première force sont fondées sur des principes similaires :
- Une très grande maîtrise du langage, de ses nuances, de ses structures, de la différence entre sens dénoté et sens connoté.
- Une recherche de l’argumentation et de la preuve, ainsi qu’une conscience de l’aspect toujours incomplet et perfectible de ces mêmes preuves, enfin une capacité à percevoir que nos lignes de raisonnement se subdivisent en de nombreuses sous variantes lors de leur confrontation à la réalité, par la recherche d’exemples.
- Une capacité à passer de l’abstrait au concret, d’être conceptuel mais de soumettre ses conceptions à l’épreuve de la pratique, tel le pianiste de talent qui nous fait rêver mais dont l’exécution pratique de son morceau est impeccable.
- La force d’admettre ses erreurs et d’apprendre d’elles, également de considérer que l’erreur n’est pas une faute mais le mode normal d’exploration du monde et des connaissances.
- Une très grande exigence morale, tempérée par une lucidité éclairée et bienveillante sur les faiblesses humaines.
- Enfin un élément affectif et pas uniquement cérébral, associant la recherche de la connaissance à une transmission familiale ou à celle d’une longue lignée dont nous sommes issus.
L’exercice sur le langage emploie un corpus de textes de références - la Torah pour le Talmud – qui peuvent être des textes sacrés mais pas nécessairement.
Toutes les cultures humaines – sous toutes les latitudes et toutes les ethnies - ont produit des écoles de la complexité. Il est ainsi possible à tout homme, s’il en fait l’effort, d’entrer dans la complexité du monde par le choix de l’une de ces traditions.
Quelques exemples ? En voici. Il est intéressant de noter que les écoles de la complexité que nous allons citer ont souvent fait l’objet d’attaques et de jalousies similaires à celles dont le peuple juif a eu à souffrir, ce qui corrobore notre thèse :
- L’enseignement Jésuite est fondé sur les principes cités précédemment. Le corpus de référence est une combinaison inédite des textes bibliques et des classiques du XVIIème siècle, faisant dialoguer constamment la culture française avec celle de l’antiquité judéo-chrétienne, grecque ou romaine. Les résultats sont généralement impressionnants. J’ai connu toutes sortes de jésuites dans ma vie, y compris sous des formes inattendues : des jésuites devenus athées, des jésuites gérant mal leur sexualité, des jésuites tendant vers l’anarchisme, mais jamais je n’ai rencontré de ma vie de jésuite stupide… En matière de maîtrise de la complexité, l’on peut citer la production d’un dictionnaire franco-chinois qui est à ce jour le plus complet encore de nos jours, entre le chinois et une autre langue. La réussite de l’éducation jésuite s’est étendue dans tous les domaines, et l’on retrouve la même disproportion statistique entre le fait d’avoir bénéficié de l’éducation jésuite et l’atteinte de postes à haute responsabilité, ou la réussite dans les domaines littéraires, scientifiques ou artistiques. La compagnie de Jésus fit l’objet de soupçons souvent très semblables à ceux qui sont portés à l’encontre du judaïsme : entente au sein de la communauté voire complots, habileté trop importante pour être honnête. Les aigris et les arriérés n’ont jamais imaginé que leurs succès pouvait être le résultat d’une solide éducation. La finesse d’esprit est souvent assimilée à de la manipulation par des personnes incapables de faire la différence entre la complexité que requiert une argumentation honnête et la complexité de celui qui cherche à brouiller les cartes. Les jésuites ont pourtant produit leur part de personnages d’une droiture et d’une intégrité à toute épreuve, n’excluant pas la finesse de l’analyse. A commencer par notre actuel pape François (je précise pour le lecteur que je suis catholique). Il en a été de même de grandes figures du judaïsme, qui concilièrent finesse de l’analyse et intégrité sans compromis, par exemple Rabbi Akiba.
- La communauté des chrétiens libanais. L’une des plus anciennes communautés chrétienne a produit une diaspora des plus brillantes à travers le monde. Baignée par les premiers temps du christianisme, par l’encore plus antique culture phénicienne, par le croisement de nombre de civilisations qui s’y sont rencontrées, les chrétiens libanais ont pendant longtemps édifié l’une des meilleures écoles de la complexité. Une personnalité telle que celle d’Amin Maalouf en est l’incarnation, tant dans son histoire personnelle que dans le rayonnement intellectuel qu’il a su faire surgir. Nous retrouvons toutes les caractéristiques de ce que nous venons de décrire précédemment dans cette communauté : école de la complexité, atteinte souvent fulgurante de hautes positions dans la société du fait de cette éducation pour la diaspora émigrée partout dans le monde … et ses corollaires d’envie et de jalousie. Le poncif du chrétien libanais « qui finit toujours par s’en sortir », « trop habile pour être honnête » revient fréquemment, faisant irrésistiblement penser aux traits similaires de l’antisémitisme. Il ne vient pas à l’idée de ceux qui tiennent ces propos que maîtriser la complexité du monde nécessite exigence et donc honnêteté intellectuelle. Là encore, de nombreuses personnalités emblématiques de la communauté des chrétiens libanais montrent que précision de l’analyse et honnêteté ne sont pas incompatibles, mais vont même de pair.
- Le Confucianisme. « Maître Kong » est le père d’un enseignement qui renaît aujourd’hui en Chine, et a baigné l’ensemble de l’Asie. Le confucianisme étendit aussi son influence au Japon, en Corée et au Vietnam. Il est encore très vivace en Corée du Sud. Loin des clichés et des déformations qui en font une école du conformisme social, déformations perpétrées dans un but de récupération par le pouvoir (Platon et Aristote firent l’objet de récupérations similaires en occident), l’enseignement de maître Kong prône l’amour gratuit de la connaissance, l’introspection de ses propres défauts, un attachement incorruptible envers la justice, fût-ce en opposition aux puissances régnantes, un lucidité bienveillante envers les faiblesses humaines en même temps qu’une absence de complaisance sur elles. Le confucianisme fut pendant des siècles la matrice de l’enseignement des lettrés en Chine. S’il fut par la suite instrumenté par le pouvoir impérial, maître Kong souhaitait conserver auprès de lui le plus longtemps possible ses étudiants promis aux hautes charges de l’empire céleste, afin de les préserver des dévoiements du pouvoir, et poursuivre un amour désintéressé de la connaissance qu’il entretenait dans une relation quasi-familiale. Du vivant de Confucius, son école devait ressembler sur plus d’un point aux Yeshivot.
- La finesse de l’enseignement de Confucius ne peut être résumée en quelques lignes, mais elle est plus que remarquable. A titre d’exemple, voici l’une de ses pensées que je préfère : « Je n’aime pas les gens qui rendent l’eau trouble pour faire croire qu’elle est profonde. ». Maître Kong résume ainsi d’un trait la distinction entre ceux qui affrontent la complexité du monde par honnêteté intellectuelle et ceux qui l’emploient pour noyer leurs turpitudes. Une parfaite réponse à l’esprit primaire qui voit derrière toute école de la complexité une manipulation, alors que lorsqu’elle est véridique elle est au contraire la marque des personnes particulièrement droites. La différence platonicienne entre dialecticiens et sophistes était ainsi elle aussi connue en Asie, par une tradition toute autre mais porteuse de messages très semblables. Là encore, les résultats de l’éducation portent leurs fruits : depuis plusieurs décennies, les meilleurs étudiants des plus prestigieuses universités américaines, Harvard, Princeton, Stanford, etc. sont dans une forte proportion des asiatiques. Seulement très récemment, la proportion s’est amenuisée du fait de l’application de l’ « affirmative action » par nombre de ces universités : il est devenu trois fois plus difficile à un asiatique de rentrer dans l’une de ces universités qu’à un « Wasp » à résultat scolaire égal ! Cf l’article récent suivant : http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/les-asiatiques-discrimines-dans-les-universites-americaines-858/
- Là encore, les mêmes réactions de jalousie et d’envie, puis de haine et d’accusations infondées sont au rendez-vous. La prise de positions importantes des asiatiques dans les universités américaines ont mené parfois à des discours dignes du « péril jaune », des « asiatiques fourbes et cruels », etc. Les accusations oscillant entre le complexe d’infériorité et l’invention de tricheries pour ne pas voir sa propre faiblesse sont apparues, très semblables aux attaques contre les juifs. A noter que la fin de cet article du Figaro souligne la similarité de cette brimade à l’encontre des étudiants asiatiques et celle tout à fait semblable que les juifs ont subi dans l’immédiat après-guerre, pour les mêmes raisons. Là encore, la seule véritable raison de tout ceci est l’excellence de l’enseignement confucéen comme école de la complexité. Une tradition qui a permis à la Corée de réagir intelligemment aux succès de l’enseignement juif et à essayer d’en comprendre les ressorts, plutôt que de s’enfoncer dans l’aigreur, comme le note l’article d’Abecassis. Une remarque au passage : si la Corée mène à bien ce programme, et fait bénéficier ses enfants des qualités combinées de l’enseignement confucéen et de celles du judaïsme, je n’ose imaginer jusqu’où cela les portera : ce pays qui en a déjà surpris plus d’un par son dynamisme va continuer de nous subjuguer !
- La tradition intellectuelle musulmane entre 750 après J.C. et la fin du XIIème siècle. Eh oui, le monde musulman fut à cette époque une grande école de la complexité, et fit la course en tête du monde civilisé de cette époque. Ainsi que le montre Alain de Libera dans ses ouvrages, le corpus de la philosophie grecque fut conservé et traduit de façon bien plus importante dans le monde musulman de cette période que dans les terres chrétiennes. Les principaux textes de Platon et d’Aristote ne furent récupérés par la chrétienté que plus tardivement dans le moyen-âge, et généralement par le canal de ces écoles musulmanes ainsi que par des migrants juifs. Les noms d’Ibn-Sina, Ibn-Rushd ou Al-Farabi portèrent très haut cette tradition de l’étude. L’arriération d’une très grande partie de l’Islam de nos jours n’est donc pas une fatalité. Encore faudrait-il que le monde musulman se pose sincèrement et honnêtement la question des raisons d’une telle chute, les ayant fait passer de l’état d’étoile de la civilisation à celui d’une religion d’arriérés et d’obscurantistes. Et que ces raisons, c’est principalement en lui-même qu’il les trouvera, plutôt que d’en rejeter la faute sur d’autres. Nous verrons plus loin à quel endroit de sa propre communauté il devrait trouver la voie de son salut.
Ces exemples devraient suffire à étayer notre thèse : toute école de la complexité suit à peu près les mêmes préceptes, centrés en grande partie sur l’étude du langage conçu comme une aventure humaine. Ces écoles donnent d’excellents résultats, et par des mécanismes inhérents à la nature humaine, suscitent la jalousie et l’envie de ceux qui sont trop faibles et trop complaisants avec eux-mêmes pour ne pas y réagir positivement, tandis qu’ils devraient y voir un défi à relever et une énigme à comprendre.
Mais si l’on n’a pas la chance d’avoir été élevé dans l’une de ces écoles de la complexité, que l’on n’est pas issu de l’une de ces traditions ? Le monde moderne offre maintenant cette voie à tout homme qui fait l’effort de l’emprunter. Des formes laïcisées des écoles de la complexité sont apparues, permettant à un homme de bénéficier des mêmes principes, s’il fournit le travail suffisant. Il n’a qu’à en faire le choix. Pour ma part, n’étant issu d’aucune des traditions précédentes, j’ai trouvé dans ce que l’on appelle aujourd’hui la philosophie analytique anglo-saxonne tout ce qui m’a permis de recevoir un enseignement de la complexité. Celui qui étudie Bertrand Russell, Alan Turing, Willard V. O. Quine, Hillary Putnam et s’exerce aux concepts de l’informatique moderne entrera dans la complexité du monde. Il se sentira rattaché à une longue lignée historique, partant d’Aristote, traversant les logiciens et grammairiens médiévaux du monde chrétien, juif et musulman, s’enrichissant de Leibniz, avant de rejoindre les logiciens modernes pré-cités. Cette école est accessible à tout homme de bonne volonté prêt à lui prodiguer son attachement et son travail. Pour ceux qui sont davantage proches d’une sensibilité artistique, une école de la complexité existe de tous temps, accessible à tous indépendamment de son origine : la musique.
2.2 La pratique de la complexité en démythifie les écoles
Choisir une école de la complexité et travailler à ses préceptes possède une vertu supplémentaire aux seules connaissances qu’elle apporte. Elle fait comprendre que les communautés qui réussissent ne le doivent ni à une quelconque supériorité mystérieuse, ni à une face masquée malhonnête, mais simplement à un travail rude, laborieux, semé d’embûches, très souvent d’échecs qu’il faut accepter et dépasser. La jalousie et l’envie sont mises à l’écart, en premier lieu parce que l’on prend conscience que l’avantage se mérite, en second lieu parce qu’un tel avantage est sérieusement relativisé lorsque l’on s’aperçoit que ceux qui en bénéficient souffrent tout autant du doute, de la peine et de l’échec. Beaucoup d’antisémites seraient ébranlés s’ils prenaient conscience que le legs de l’éducation juive mène parfois – et plus souvent qu’on ne le pense – à l’échec. Rentrer dans une école de la complexité est à double tranchant : la lucidité et la perception du monde en sont décuplés, … tout autant que l’est la tension nerveuse à supporter. Les arts de la complexité font apparaître plus directement le caractère très instable du monde, ses incertitudes constantes, sa propension à se retourner à tout moment. Il faut une très grande force nerveuse pour soutenir un tel bombardement des sens et de l’intellect. Le caractère angoissé, inquiet et parfois hors de l’équilibre que l’on prête souvent au judaïsme (voir par exemple les analyses de Vladimir Jankélévitch sur ce sujet) trouve son explication non pas dans je ne sais quel atavisme ethnique, mais dans les effets secondaires de l’éducation. Les autres écoles de la complexité que nous avons citées précédemment, jésuites, chrétiens libanais, présentent des individus tout aussi brillants qu’ils peuvent être souvent instables et torturés. Le surcroît de lucidité se paie d’une forte charge nerveuse à supporter. Et face à cette déferlante, plusieurs craquent.
J’ai vu ainsi dans plusieurs communautés juives des caractères brillants mais qui avaient échoué sur plus d’un aspect de leur vie, parfois en totale situation d’échec, parce que la charge de la complexité les avait rendus trop inquiets, trop indécis ou trop brouillons. Le legs de l’éducation juive est un trésor précieux, mais aussi un lourd fardeau à porter. Il en est de même des éducations jésuites, chrétiennes libanaises, confucianistes, etc. qui peuvent donner lieu à de nombreux dérapages. Les pièges sont nombreux. Le caractère cérébral des écoles de la complexité peut amener de sérieux problèmes de relation vis-à-vis du corps et de la sexualité. Les hautes positions dans la société que cette éducation a permis d’atteindre peuvent monter à la tête de celui qui les reçoit, qui devra garder son contrôle dans la gestion de son ego et des dévoiements que peut connaître celui qui accède aux honneurs et au pouvoir. L’exercice dialectique poussé peut dégénérer en bavardage, indécision et procrastination s’il n’est maîtrisé. Les éducations de la complexité ont toutes tenté de mettre en place des protections contre ces dérapages : exercices physiques en complément de l’étude, avertissements avant de quitter l’école et de rentrer dans la vie active sur les dévoiements du pouvoir, obligation de se confronter au concret et de fournir des exemples pour contenir les débordements de la dialectique. Mais le dispositif reste complexe et difficile à manier, ce qui est normal pour un enseignement qui doit se hisser à la hauteur de la complexité du réel.
Beaucoup d’antisémites reverraient leur position s’ils prenaient conscience que l’éducation juive compte aussi de nombreux échecs : leur complexe d’infériorité larvé s’en trouverait démenti. Ils verraient qu’ils ont affaire à des hommes semblables à eux, qui se débattent comme ils le peuvent. Ceux qui jalousent les communautés de la complexité les imaginent toujours triomphantes (c’est une attaque fréquente contre les juifs, les jésuites, les chrétiens libanais ou les asiatiques que d’entendre « qu’ils finissent toujours par s’en sortir à leur avantage »). L’exemple des échecs réfute ces préjugés, en même temps qu’il désacralise l’aura de mystère dont les esprits faibles ont entouré les écoles de la complexité.
2.3 La pratique de la complexité permet d’avoir sa propre part
Bien évidemment, choisir une école de la complexité présente un dernier bénéfice immédiat et presque mécanique : il calme la blessure de l’ego, de la jalousie et du narcissisme en donnant simplement leur pitance à ces passions de l’âme. Celui qui reçoit l’enseignement ne se sent plus exclu, il ne se sent plus sous l’emprise d’une communauté détentrice de je ne sais quel savoir mystérieux ou dévoyé, car il en fait lui-même partie. Et au passage, il se rend compte des contreparties que cela implique : un travail et une exigence personnelle permanentes, une absence de complaisance vis-à-vis des prétextes que l’on donne à sa propre faiblesse. « Passer de l’autre côté » permet à la fois de nourrir l’animal narcissique qui devient jaloux s’il ne possède sa part et de s’apercevoir que cette part n’a rien d’un privilège, mais d’une arme puissante à double tranchant, tout autant truffée de pièges à éviter qu’elle accroît les capacités de compréhension.
3 Démolition de quelques préjugés tenaces
3.1 L’accointance avec le monde financier
L’un des préjugés les plus courants est une affinité particulière que les juifs auraient avec la finance, voire un talent dans ce domaine que les antisémites inscrivent dans une caractéristique ethnique ou génétique du peuple juif, un atavisme de l’avidité. A l’appui de leurs dires, la forte proportion de juifs dans ce domaine, proportion plus importante que la moyenne, ce qui est statistiquement exact. Sauf que l’intelligence n’étant pas le fort des antisémites, ils ne savent pas lire une statistique, ni le jeu des causes supposées d’un phénomène :
- En premier lieu, on trouvera également une proportion plus importante de juifs que la moyenne de la population parmi les médecins, ingénieurs, etc., c’est-à-dire dans des catégories élevées de classes socio-professionnelles, ayant nécessité un grand nombre d’années d’étude. Pour la raison que nous connaissons maintenant, exposée précédemment. La finance est l’une des activités nécessitant un nombre d’années d’étude important, on retrouve donc le même phénomène de proportion supérieure, comme dans toutes les activités de haute CSP. L’école de la complexité explique un biais de proportion sur l’ensemble des professions des CSP élevées, et non une affinité avec l’une d’entre elles en particulier.
- En second lieu, si notre explication est exacte, l’on devrait observer le même biais pour tous ceux qui ont bénéficié d’un enseignement de la complexité. Eh bien oui justement, pour toutes ces communautés, vous en trouverez davantage en proportion dans la finance que dans la moyenne de la population de leurs pays. En France, les chrétiens libanais sont proportionnellement très nombreux dans le domaine de la finance. Ils subissent d’ailleurs assez souvent le même type de remarque que les juifs. Là encore, cela ne dénote pas une corrélation particulière avec la finance, mais avec toutes les professions nécessitant un grand nombre d’années d’étude, corrélation que l’on observera aussi chez les chrétiens libanais.
- Enfin, en troisième lieu, les antisémites oublient toujours d’examiner le discours de la population juive qui n’a pas choisi le domaine de la finance, mais qui a poursuivi des études longues et atteint une CSP élevée dans d’autres domaines. Et qui représentent une proportion beaucoup plus importante que ceux qui ont choisi la finance. Je ne sais s’il est possible de le prouver statistiquement, mais tous les amis juifs qui sont autour de moi et qui n’ont pas choisi la finance portent généralement un regard sévère, voire très lapidaire, sur ce monde. Ainsi de l’un de mes amis qui est mathématicien de haut vol, fin talmudiste, et parle des « banksters » pour désigner les financiers. Devinez également d’où proviennent les citations suivantes (traduites de l’anglais) :
o "Si vous ne nationalisez pas Citigroup et la Bank of America, vous prouverez au peuple américain que la Maison-Blanche est contrôlée par Wall Street".
o "Mister President, votre plan pour sauver le système bancaire est carrément un vol du peuple américain."
o « Aujourd’hui, il est toujours trop facile pour les banques, malgré les nouvelles réglementations, de faire de l’argent grâce à la spéculation ou par la manipulation des marchés, comme dans le cas du Libor. Avec ce scandale, les banquiers ont créé un marché de 350 millions de milliards de dollars fondé sur des chiffres complètement faux, et on ne le sait que maintenant. »
Elles émanent de deux juifs, américains et économistes, ce qui dans le référentiel des imbéciles soraliens correspond à l’horreur absolue, élevés dans la plus pure tradition talmudique, partant pourtant régulièrement en guerre dure contre le monde financier et le poids des banques sur les décisions politiques. A savoir Joseph Stiglitz et Paul Krugman. Tous deux accessoirement prix Nobel d’économie.
Ceux qui me font l’honneur de lire mes écrits ou ceux des blogs sur lesquels j’interviens habituellement savent que je ne peux pas être soupçonné de complaisance vis-à-vis du monde de la finance. De ses gains faciles et faramineux, devenus sans rapport aucun avec le mérite. Des destructions massives qu’il provoque dans l’économie réelle, dont il n’est plus du tout une aide mais l’une des principales sources d’appauvrissement. De la mentalité délétère qu’il cultive, semblable à celle de psychopathes, qui influence l’ensemble des décisionnaires politiques et économiques, et alimente les bataillons de ceux qui feront n’importe quoi pour retrouver du sens, à commencer par les fous djihadistes. La finance fut utile il y a longtemps, lorsqu’elle servait à soutenir l’investissement, à promouvoir le capital-risque, à alimenter les entreprises en nouveaux fonds. Elle est aujourd’hui une machine folle fonctionnant en circuit fermé, pesant beaucoup plus de façon néfaste sur les entreprises que les aidant.
A présent posez-vous vous-mêmes la question. Si vous disposiez d’une arme intellectuelle de premier choix qui vous permette de mettre la main sur des gains faciles, faramineux, bien qu’immoraux, en précisant d’ailleurs que la société ne les tient pas encore totalement pour tels. Etes-vous certains que vous résisteriez à la tentation ? Statistiquement, certains de ceux qui ont bénéficié d’un enseignement de la complexité ont cédé à ces sirènes. La tentation du gain facile n’a rien de juif, ni de chrétien libanais, ni d’asiatique, … elle est essentiellement très humaine. Beaucoup de catholiques ayant fait de bonnes études chez les pères sont tout autant tentés par cette voie.
A présent posez-vous vous-mêmes la question. Si vous disposiez d’une arme intellectuelle de premier choix qui vous permette de mettre la main sur des gains faciles, faramineux, bien qu’immoraux, en précisant d’ailleurs que la société ne les tient pas encore totalement pour tels. Etes-vous certains que vous résisteriez à la tentation ? Statistiquement, certains de ceux qui ont bénéficié d’un enseignement de la complexité ont cédé à ces sirènes. La tentation du gain facile n’a rien de juif, ni de chrétien libanais, ni d’asiatique, … elle est essentiellement très humaine. Beaucoup de catholiques ayant fait de bonnes études chez les pères sont tout autant tentés par cette voie.
Ceux qui ont bénéficié d’un enseignement de la complexité se trouvent souvent face à ce dilemme. Ils disposent d’une arme de premier choix entre les mains. Ils peuvent alors en faire un bon usage ou un mauvais usage. Et lorsque l’usage est mauvais, les impacts sont décuplés, ainsi que leur visibilité, à proportion de la puissance de l’arme. C’est pourquoi ceux qui ont suivi l’enseignement de la complexité et ont appris à l’aimer pour lui-même, sont généralement d’implacables critiques de ceux qui l’ont dévoyé, ces derniers ayant « prostitué » leur savoir et leurs aptitudes à des buts immoraux. Ce qui me frappe n’est donc pas la proportion des juifs qui ont choisi la finance. Ce qui me frappe, c’est que tous les juifs – bien plus nombreux – qui n’ont pas choisi cette voie sont de plus en plus impitoyablement critiques vis-à-vis du monde financier. Dans toutes les communautés ayant bénéficié d’un enseignement de la complexité, ce clivage se retrouvera, avec une proportion supérieure à la moyenne de la population qui aura choisi des activités complexes mais dévoyées, et une proportion encore plus grande qui aura opté pour des activités complexes mais saines, regardant avec dédain les précédents. Il n’y a là aucun atavisme de quelque sorte que ce soit, mais un produit de l’éducation et des différentes inclinations de la nature humaine.
3.2 Le fait d’avoir tué le Christ
Ce préjugé est d’une telle stupidité et sa réfutation me semble tellement évidente que je n’ai souvent pas même pris la peine de m’y attarder. Etant donné qu’on le rencontre encore de temps en temps, et qu’il est le fait de gens qui se disent chrétiens, je vais employer quelques paragraphes pour le démolir.
En premier lieu, il a souvent été signalé que le Christ étant juif, l’accusation portée aux juifs de l’avoir tué n’a pas de sens : à quel titre placerions-nous une barrière discriminante, alors que celui dont nous prenons la défense est lui-même juif ? Cet argument aurait dû suffire, mais les faux chrétiens et vrais négationnistes argueront du fait que la nouvelle religion retire l’appartenance du Christ à la population qu’ils haïssent.
Au-delà de l’aspect spécieux du précédent argument – et d’ailleurs contraire à de nombreuses paroles du Christ lui-même - achevons d’en démolir les incohérences. Oui effectivement, une grande partie de ceux qui ont agi en vue de la mort du Christ étaient juifs. Tout comme ceux qui l’ont acclamé avec des rameaux à l’entrée de Jérusalem l’étaient également. De même les apôtres étaient également juifs, ainsi que la plupart de ceux qui l’ont aidé et aimé dans le récit des évangiles sans d’ailleurs nécessairement s’être convertis au christianisme. La bêtise des soi-disant chrétiens qui accusent les juifs d’avoir tué le Christ me fait penser à ce sketch de Guy Bedos, « les vacances à Marrakech », où un crétin raciste dit « Marrakech cela m’a déçu, c’est plein d’arabes ». « Les évangiles cela m’a déçu, c’est plein de juifs » pourraient-ils dire. Oui à tel point que le Christ lui-même l’était, et qu’à cette époque et dans cette région l’on risquait d’en rencontrer beaucoup … L’échantillon d’humanité de cette époque et de ce lieu était principalement constitué de juifs et de romains, il est donc évident que nous retrouverons ces deux populations dans tous les actes qui ont pu être relatés, en bien comme en mal … il m’est presque pénible d’écrire une telle lapalissade.
Enfin, venons-en à un dernier argument avec lequel j’ai à cœur de ne pas plaisanter. Les tenants de la culpabilité des juifs envers la mort du Christ se retranchent derrière la notion de fait historique. Qu’est-ce qui constitue un fait historique ? Ce sont trois éléments : 1. Le fait ne doit pas être en contradiction immédiate avec la réalité qu’il décrit. 2. Le fait doit être placé au milieu d’autres faits, en cherchant à être le plus exhaustif possible, pour voir s’il continue de donner une information utile sur la réalité décrite. 3. Le fait doit être inscrit au sein d’une histoire, un fil reliant les différents événements qui est la thèse historique que l’on défend, afin de vérifier si elle reste cohérente. Les anglo-saxons parleront de « story telling », un exercice semblable à celui de la reconstitution historique ou policière, pour aider à comprendre le déroulement des événements.
Appliquons ces trois critères à la « thèse » (si elle peut être appelée ainsi) : « les juifs ont tué le Christ » :
1. Un assez grand nombre de romains ayant pris part à l’exécution, la thèse est déjà fausse selon le premier critère. Ajoutons aussi que le Christ étant juif, la généralité à laquelle prétend l’énoncé est fausse elle aussi.
2. A quelques exceptions près, ceux qui ont aidé, aimé ou acclamé le Christ étaient également juifs, dans le récit des évangiles. Une grande partie de la population juive devait également n’être ni en faveur ni dans la haine du Christ, mais simplement indifférente. Dire « les juifs ont tué le Christ » est ainsi totalement faux vis-à-vis du second critère, car l’on pourrait dire tout aussi bien « les juifs ont aidé le Christ » ou « les juifs ne se prononçaient pas vis-à-vis du Christ ». Comme mentionné plus haut, ceci est une évidence due au fait que la grande majorité de la population étant juive, elle s’est répartie naturellement dans toutes les prises de position.
3. Venons-en maintenant au « story-telling », à l’histoire racontée qui permet une interprétation et une reconstitution de ce qui s’est passé. Pour les antisémites, cette reconstitution est particulièrement pauvre et peu explicative. Les « méchants juifs » auraient intrigué pour faire tuer le Christ. Voici à présent une autre reconstitution, et je laisserai le lecteur seul juge de celle qu’il estime être la plus éclairante :
Quel est le point commun entre Caïphe, Hérode et Pilate ? Deux sont juifs et un romain, il ne s’agit donc pas de l’appartenance à un peuple. Sur le plan du caractère, ils semblent très différents, selon le récit évangélique. Ils ont cependant un trait commun : ce sont des hommes de pouvoir. Ce sont les hommes qui ont représenté les trois pouvoirs à l’époque du Christ, dans cette région du monde : Caïphe le pouvoir ecclésiastique du Temple, Hérode le pouvoir local sous la tutelle de Rome (historiquement, l’Hérode des évangiles ne peut être qu’Hérode Antipas, Tétrarque de Galilée et de Pérée) et Pilate, préfet de Judée.
Ces trois personnages ne représentent-ils pas les trois façons d’être un mauvais dirigeant ? Caïphe est l’archétype de ces caractères colériques, ambitieux et jaloux de l’influence des autres, faisant avancer ses intérêts par la colère, l’intimidation et les coups de force. Hérode est le modèle de ces dirigeants qui semblent beaucoup plus débonnaires que Caïphe, jurant toujours de leur sympathie pour mieux piéger par la suite ceux qu’ils ont décidé d’éliminer. Pilate enfin est le lâche, celui qui tient à conserver à tout prix son poste en ne faisant surtout pas de vagues, même si cela implique toutes les reculades. Ce qui décide d’ailleurs Pilate à faire exécuter le Christ n’est pas la preuve de sa culpabilité, mais la menace brandie par Caïphe de porter l’affaire à la connaissance de Rome, c’est-à-dire de « faire des vagues ».
Ceux qui ont travaillé en entreprise ou côtoyé le milieu politique reconnaîtront facilement les profils de dirigeants qu’ils ont déjà croisés. Le texte évangélique est d’une très grande portée. Il ne vise pas seulement le pouvoir particulier du Temple de l’époque, ou celui des autorités temporelles. Toutes les formes de pouvoir sont visées, de tous temps et de tous pays et même nos formes modernes de mauvais « management » en entreprise se retrouveront en Caïphe, Hérode et Pilate. Le message du Christ est dérangeant pour toutes les formes d’autorité quelles qu’elles soient. S’il reparaissait de nos jours, le Christ s’attirerait à nouveau des ennuis et serait à nouveau mis à mort sous d’autres prétextes. Son message est trop dérangeant à l’égard de n’importe quel gouvernant. Que le pouvoir ait été représenté à cette époque et en ce lieu par des romains et des juifs n’est qu’anecdotique d’un temps et d’une région. S’attacher à cet élément anecdotique, c’est manquer l’essentiel et la force du message. Tout homme de pouvoir, quelle que soit son origine, serait profondément ébranlé par le Christ s’il avait à lui faire face, et nombre de nos gouvernants chercheraient à le faire disparaître s’il revenait parmi les hommes.
Le texte évangélique est un enseignement sur la nature humaine, valable en tous temps, tous lieux et susceptible d’être observé dans tous les peuples. Nous y apprenons les dévoiements du pouvoir. Nous pouvons y lire toutes les faiblesses et les indécisions de la nature humaine, qu’il s’agisse cette fois d’hommes de pouvoir ou du simple peuple. Les évangiles mettent souvent en scène des foules, entachées de passions subites (par exemple lors de miracles accomplis par le Christ), d’ingratitude, de versatilité. Le Christ n’aime d’ailleurs pas être pressé de faire des miracles par le nombre, craignant que les motifs de la foi ne deviennent un phénomène de foule. Ceux qui ont acclamé le Christ avec des rameaux à la main peuvent être tout autant ceux qui ont demandé sa mort peu après, en fonction des circonstances. Même les meilleurs hommes peuvent être frappés par la faiblesse, la lâcheté et l’indécision : les trois reniements de Pierre ont été placés dans le texte pour signifier cela. Quel homme serait assez imbécile pour prétendre que Pierre renie trois fois parce qu’il est juif, alors qu’il est évident que c’est parce qu’il est homme, et que c’est là la signification du texte. Les évangiles sont très bien construites de ce point de vue : elles évitent d’être manichéennes, afin de ne pas condamner les actes de tel ou tel homme pour son appartenance à un groupe, mais pour son individualité seule. Ainsi de la faiblesse des apôtres eux-mêmes, et du meilleur d’entre eux. Ainsi également du personnage de Joseph d’Arimathie, placé dans le texte afin d’éviter de condamner toute forme de pouvoir : si les dirigeants doivent toujours faire l’objet d’une grande méfiance, il peut aussi exister des hommes de pouvoir justes.
Faire porter aux juifs la responsabilité de la mort du Christ n’est pas seulement un infect antisémitisme, mais aussi un rabaissement et un avilissement du message des évangiles. Ceux qui tiennent cette thèse perdent leur droit à se dire chrétiens, car en plus de leur haine à l’égard du peuple juif, ils foulent au pied et salissent leur propre texte sacré. Ne voient-ils pas que la majorité de la population étant juive dans le récit des évangiles, à commencer par le Christ lui-même, ce sont des hommes juifs qui accompliraient tous les actes du récit, les bons comme les mauvais. Le peuple juif était la partie de l’humanité présente à ce moment-là et en cette région pour illustrer le récit des évangiles. Il est évident que dans le texte du nouveau testament, ce microcosme est présent pour illustrer toute l’humanité, en bien comme en mal, qu’il représente le comportement de l’ensemble des hommes, non un peuple en particulier. Et l’appartenance du Christ lui-même à ce peuple est placée expressément dans le texte, afin d’éviter de tomber dans ce travers qui confond l’essentiel et l’accessoire.
C’est à la sagesse chinoise que je laisserai le dernier mot sur ce chapitre, car c’est l’un de ses proverbes qui résume d’un trait la faute des antisémites qui accusent les juifs de la mort du Christ. « Quand le sage montre la lune à un imbécile, l’imbécile regarde le doigt. » Les antisémites de la lecture des évangiles, sont ceux qui regardent le doigt.
2. A quelques exceptions près, ceux qui ont aidé, aimé ou acclamé le Christ étaient également juifs, dans le récit des évangiles. Une grande partie de la population juive devait également n’être ni en faveur ni dans la haine du Christ, mais simplement indifférente. Dire « les juifs ont tué le Christ » est ainsi totalement faux vis-à-vis du second critère, car l’on pourrait dire tout aussi bien « les juifs ont aidé le Christ » ou « les juifs ne se prononçaient pas vis-à-vis du Christ ». Comme mentionné plus haut, ceci est une évidence due au fait que la grande majorité de la population étant juive, elle s’est répartie naturellement dans toutes les prises de position.
3. Venons-en maintenant au « story-telling », à l’histoire racontée qui permet une interprétation et une reconstitution de ce qui s’est passé. Pour les antisémites, cette reconstitution est particulièrement pauvre et peu explicative. Les « méchants juifs » auraient intrigué pour faire tuer le Christ. Voici à présent une autre reconstitution, et je laisserai le lecteur seul juge de celle qu’il estime être la plus éclairante :
Quel est le point commun entre Caïphe, Hérode et Pilate ? Deux sont juifs et un romain, il ne s’agit donc pas de l’appartenance à un peuple. Sur le plan du caractère, ils semblent très différents, selon le récit évangélique. Ils ont cependant un trait commun : ce sont des hommes de pouvoir. Ce sont les hommes qui ont représenté les trois pouvoirs à l’époque du Christ, dans cette région du monde : Caïphe le pouvoir ecclésiastique du Temple, Hérode le pouvoir local sous la tutelle de Rome (historiquement, l’Hérode des évangiles ne peut être qu’Hérode Antipas, Tétrarque de Galilée et de Pérée) et Pilate, préfet de Judée.
Ces trois personnages ne représentent-ils pas les trois façons d’être un mauvais dirigeant ? Caïphe est l’archétype de ces caractères colériques, ambitieux et jaloux de l’influence des autres, faisant avancer ses intérêts par la colère, l’intimidation et les coups de force. Hérode est le modèle de ces dirigeants qui semblent beaucoup plus débonnaires que Caïphe, jurant toujours de leur sympathie pour mieux piéger par la suite ceux qu’ils ont décidé d’éliminer. Pilate enfin est le lâche, celui qui tient à conserver à tout prix son poste en ne faisant surtout pas de vagues, même si cela implique toutes les reculades. Ce qui décide d’ailleurs Pilate à faire exécuter le Christ n’est pas la preuve de sa culpabilité, mais la menace brandie par Caïphe de porter l’affaire à la connaissance de Rome, c’est-à-dire de « faire des vagues ».
Ceux qui ont travaillé en entreprise ou côtoyé le milieu politique reconnaîtront facilement les profils de dirigeants qu’ils ont déjà croisés. Le texte évangélique est d’une très grande portée. Il ne vise pas seulement le pouvoir particulier du Temple de l’époque, ou celui des autorités temporelles. Toutes les formes de pouvoir sont visées, de tous temps et de tous pays et même nos formes modernes de mauvais « management » en entreprise se retrouveront en Caïphe, Hérode et Pilate. Le message du Christ est dérangeant pour toutes les formes d’autorité quelles qu’elles soient. S’il reparaissait de nos jours, le Christ s’attirerait à nouveau des ennuis et serait à nouveau mis à mort sous d’autres prétextes. Son message est trop dérangeant à l’égard de n’importe quel gouvernant. Que le pouvoir ait été représenté à cette époque et en ce lieu par des romains et des juifs n’est qu’anecdotique d’un temps et d’une région. S’attacher à cet élément anecdotique, c’est manquer l’essentiel et la force du message. Tout homme de pouvoir, quelle que soit son origine, serait profondément ébranlé par le Christ s’il avait à lui faire face, et nombre de nos gouvernants chercheraient à le faire disparaître s’il revenait parmi les hommes.
Le texte évangélique est un enseignement sur la nature humaine, valable en tous temps, tous lieux et susceptible d’être observé dans tous les peuples. Nous y apprenons les dévoiements du pouvoir. Nous pouvons y lire toutes les faiblesses et les indécisions de la nature humaine, qu’il s’agisse cette fois d’hommes de pouvoir ou du simple peuple. Les évangiles mettent souvent en scène des foules, entachées de passions subites (par exemple lors de miracles accomplis par le Christ), d’ingratitude, de versatilité. Le Christ n’aime d’ailleurs pas être pressé de faire des miracles par le nombre, craignant que les motifs de la foi ne deviennent un phénomène de foule. Ceux qui ont acclamé le Christ avec des rameaux à la main peuvent être tout autant ceux qui ont demandé sa mort peu après, en fonction des circonstances. Même les meilleurs hommes peuvent être frappés par la faiblesse, la lâcheté et l’indécision : les trois reniements de Pierre ont été placés dans le texte pour signifier cela. Quel homme serait assez imbécile pour prétendre que Pierre renie trois fois parce qu’il est juif, alors qu’il est évident que c’est parce qu’il est homme, et que c’est là la signification du texte. Les évangiles sont très bien construites de ce point de vue : elles évitent d’être manichéennes, afin de ne pas condamner les actes de tel ou tel homme pour son appartenance à un groupe, mais pour son individualité seule. Ainsi de la faiblesse des apôtres eux-mêmes, et du meilleur d’entre eux. Ainsi également du personnage de Joseph d’Arimathie, placé dans le texte afin d’éviter de condamner toute forme de pouvoir : si les dirigeants doivent toujours faire l’objet d’une grande méfiance, il peut aussi exister des hommes de pouvoir justes.
Faire porter aux juifs la responsabilité de la mort du Christ n’est pas seulement un infect antisémitisme, mais aussi un rabaissement et un avilissement du message des évangiles. Ceux qui tiennent cette thèse perdent leur droit à se dire chrétiens, car en plus de leur haine à l’égard du peuple juif, ils foulent au pied et salissent leur propre texte sacré. Ne voient-ils pas que la majorité de la population étant juive dans le récit des évangiles, à commencer par le Christ lui-même, ce sont des hommes juifs qui accompliraient tous les actes du récit, les bons comme les mauvais. Le peuple juif était la partie de l’humanité présente à ce moment-là et en cette région pour illustrer le récit des évangiles. Il est évident que dans le texte du nouveau testament, ce microcosme est présent pour illustrer toute l’humanité, en bien comme en mal, qu’il représente le comportement de l’ensemble des hommes, non un peuple en particulier. Et l’appartenance du Christ lui-même à ce peuple est placée expressément dans le texte, afin d’éviter de tomber dans ce travers qui confond l’essentiel et l’accessoire.
C’est à la sagesse chinoise que je laisserai le dernier mot sur ce chapitre, car c’est l’un de ses proverbes qui résume d’un trait la faute des antisémites qui accusent les juifs de la mort du Christ. « Quand le sage montre la lune à un imbécile, l’imbécile regarde le doigt. » Les antisémites de la lecture des évangiles, sont ceux qui regardent le doigt.
3.3 La thèse d’être du côté du « système » et de le manœuvrer
Dernière accusation fréquente, celle d’être du côté du « système », sans savoir véritablement ce que ce mot recouvre, et que nous traduisons par l’ensemble constitué des pouvoirs économiques et politiques des pays développés, de l’ensemble du monde capitaliste et principalement de sa partie financière, régis par le fonctionnement néo-libéral moderne.
L’accusation se recoupe avec le classique « de toutes façons ils s’en sortent toujours à leur avantage », qui vise aussi bien les juifs que les autres cultures de la complexité déjà évoquées.
Comme cela était le cas pour le monde financier, il sera difficile de me reprocher – pour ceux qui me font l’honneur de lire mes livres ou mes articles de blogs – d’être complaisant vis-à-vis de ce que l’on désigne sous le terme d’idéologie post-moderne, un terme plus précis que « le système », car défini et employé par de nombreux analystes. Je ne fais effectivement pas de quartier vis-à-vis de l’économie de marché totalement dérégulée, du système financier qui le soutient, des utopies fausses et néfastes de « concurrence pure et parfaite ». Sur le plan social et culturel, je pars souvent au combat contre le relativisme généralisé qui place toutes les connaissances, les cultures et les valeurs sur le même plan, contre l’hypocrisie avouée d’un discours vantant un monde ouvert mais en réalité très normé et conformiste. Enfin, c’est la thèse principale de la plupart de mes écrits, je dénonce le discours mensonger qui nous fait croire que nous vivons selon une méritocratie, quand la plupart des dirigeants économiques et politiques glissent vers des profils d’usurpateurs récupérant le travail et le talent d’homme bien meilleurs qu’eux.
En un mot, j’admets volontiers que l’ordre du monde actuel est très mauvais, qu’il faille le changer au plus vite, et que faute de le faire, nous courrons rapidement à notre destruction. Particulièrement lorsqu’il se réclame du libéralisme économique tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, c’est-à-dire une usurpation et un travestissement complet de ce que les pères fondateurs du libéralisme historique préconisaient. Ceux qui connaissent mes écrits parfois virulents sur ce sujet ne peuvent m’accuser d’être l’un des thuriféraires de « l’ordre mondial ».
Dans le discours antisémite, il est souvent reproché aux juifs d’être les vecteurs d’un capitalisme sans limites sur le plan économique, et d’un cosmopolitisme sans âme – son pendant culturel – sur le plan de la vie en société. Pire, d’être les ordonnateurs de ces chevaux de l’apocalypse, entretenus et contrôlés sciemment par eux, particulièrement par le canal financier. S’y rajoute généralement un folklore de réunions secrètes, de groupes occultes, censés être les grands manipulateurs de « l’ordre mondial ».
Pourquoi cette accusation ? Les juifs souffrent de la position du « premier de la classe » : les écoles de la complexité permettant d’être mieux armés pour affronter le monde post-moderne, elles mènent ceux qui ont suivi leur enseignement à mieux y réussir. Le premier de la classe est stigmatisé, parce que sa réussite en fait le porte-drapeau de l’ordre social. Sauf que l’on n’a jamais demandé aux premiers de la classe s’ils approuvaient l’ordre social en question. Dans la mesure où cet ordre les a reconnus, il est probable qu’une certaine proportion d’entre eux lui en soient reconnaissants. Mais une bien plus forte proportion – celle dont les antisémites ne parlent jamais - devient de plus en plus critique vis-à-vis de lui. Parmi les critiques du post-modernisme, on trouve en première ligne de nombreux penseurs juifs, et non des moindres. Joseph Stiglitz et Paul Krugman déjà cités. En France, Alain Finkielkraut a fait du combat contre le post-modernisme son cheval de bataille depuis longtemps. Ceux qui lui ont reproché d’avoir pris un « virage réactionnaire » ont dû mal le lire : « La défaite de la pensée », livre écrit en 1987, contenait déjà en puissance tout son actuel discours sur la barbarie du monde moderne. « Le mécontemporain » ne fit qu’enfoncer le clou un peu plus loin.
Contrairement aux préjugés antisémites, les juifs ont fortement contribué à la contestation de l’ordre établi, y compris celui du néolibéralisme, et ces critiques se font de plus en plus fortes. Faut-il rappeler que c’est un homme issu d’une longue lignée de rabbins qui fut l’un des critiques les plus pugnaces du capitalisme ? Un certain Karl Marx… L’exigence intellectuelle évitera l’aigreur contre les réussites légitimes, mais sera sans merci à l’encontre des réussites illégitimes. Je vois avec plaisir de nombreux penseurs formés dans les écoles de la complexité se joindre à la lutte contre la vacuité, la vulgarité et la laideur de la société post-moderne. Et cela ne me surprend pas : qui a goûté à cet enseignement et a appris à l’aimer pour ce qu’il est ne tardera pas à s’opposer de toutes ses forces à cette suite de renoncements qui se fait passer pour de l’ouverture.
De même, l’accusation du « cosmopolitisme sans âme » ne tient pas plus de quelques secondes à l’analyse. La tradition juive reprend souvent en thème central la dualité entre identité d’un homme, et aspiration à l’universalité. C’est l’un des thèmes centraux traités par Alain Finkielkraut et ce n’est pas un hasard. Je suis universaliste, mais considère qu’on l’est d’autant mieux que l’on garde la mémoire de la lignée et de l’histoire dont on est issu. L’homme peut et doit s’élancer vers l’universel, mais à partir des bases solides de sa culture et de son éducation propre. Je suis ainsi émerveillé par deux choses lorsque je lis les pensées de Maître Kong : la découverte d’une culture très différente de la mienne qui aborde le monde avec son génie propre, et le fait que cette culture si différente retrouve ce qu’il y a d’universel en l’homme et émette des messages tout à fait identiques à ceux de ma propre culture. Certaines pensées de Maître Kong en matière de philosophie politique semblent sorties tout droit de « La République » de Platon. Si loin, si proche…
C’est aussi le sens de l’épisode biblique de la tour de Babel. Ce passage m’a souvent choqué, car l’on peut trouver Dieu excessivement punisseur et sévère vis-à-vis de ce qui n’était au départ qu’une bonne intention. Si l’intention est bonne, le moyen conduit cependant à l’effondrement : par la diversité des langues, il est rappelé à l’homme qu’il ne peut s’élancer vers les cieux de l’universel de façon abstraite. Il doit partir des solides fondations de sa culture propre, pour rejoindre les autres hommes dans ce qu’ils ont tous en commun. Sans ces fondations, la construction s’effondre. Le texte biblique établit ainsi la différence entre un cosmopolitisme sans âme, et le véritable universalisme, qui n’oppose pas l’identité culturelle particulière des hommes avec leur réunion, mais en fait au contraire des conditions réciproques. L’on accueille d’autant mieux les autres cultures à sa table, que l’on est soi-même solide dans la sienne. Deux cités reviennent ainsi dans les récits bibliques comme deux symboles, Babylone la dépravée, et Jérusalem la cité de la spiritualité. Babylone est la ville de la confusion de toutes les cultures et toutes les valeurs, si semblable à la mélasse post-moderne que dénonçait « La défaite de la pensée ». Jérusalem est une ville ouverte sur le monde, mais forte dans son identité : comme la cellule vivante elle est citadelle, ni ville ouverte à tous vents, ni forteresse fermée aux autres. Accueillante, mais différenciant bien chaque chose.
La distinction entre cosmopolitisme et universalisme est l’un des points saillants de la spiritualité juive, n’en déplaise aux antisémites, et c’est la raison pour laquelle un nombre sans cesse croissant de penseurs juifs rejoint les contestataires de l’ordre social actuel, contrairement aux fantasmes et stéréotypes. « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène », disait Jaurès. Un chrétien authentique doit pouvoir comprendre cela facilement, par l’injonction du Christ à être « le sel de la terre », à garder sa saveur et son identité en prenant garde qu’elle ne soit dissoute. Ce passage évangélique est sans doute l’un des plus ancrés dans la tradition juive.
Certains seront encore non convaincus par mes explications, du fait qu’une grande partie des classes dirigeantes économiques et politiques se sont organisées en oligarchie servant ses propres intérêts, ce qui est patent dans sa lâcheté à entreprendre de véritables réformes de société. Les dirigeants donnent davantage l’impression de profiter le plus rapidement possible d’une rente de situation avant l’effondrement, que de tenter un véritable redressement. A la lecture de mon argumentaire précédent, beaucoup laisseront tomber je l’espère les préjugés antisémites concernant cette oligarchie, mais auront encore une vague impression de complot et de duperie menée par elle : ils risquent de s’attaquer alors à d’autres communautés.
Ceux qui connaissent mes écrits savent que je considère cette prise de pouvoir par une oligarchie comme réelle. Qu’elle induit une économie de rente de plus en plus semblable au grossier pillage auquel les classes dirigeantes se livraient au XIXème siècle, sous le masque d’un merveilleux monde moderne, libre et ouvert. Cf par exemple les excellents livres de Sophie Coignard, qui ne sont que des récits factuels. Mais il n’y a aucun complot derrière : des gens peu scrupuleux en profitent, ce qui ne retire donc rien à leur part de responsabilité, mais sont bien plus les marionnettes de ce fonctionnement de la société que ses organisateurs. Il faut dire cependant que la compréhension de ce phénomène requiert un arsenal intellectuel que peu de gens possèdent, celui des sciences cognitives, des phénomènes dits d’auto-organisation. Sans cet outil de compréhension, le fonctionnement de l’oligarchie peur faire croire à un complot. Voici une explication qui devrait rester claire à tous, car elle ne rentre pas dans des considérations techniques :
De tous temps, les hommes se sont organisés en réseaux relationnels. Ils ont noué des alliances, se sont entourés d’amis et d’associés pour poursuivre leurs buts. Ces principes de coopération se retrouvent aussi dans le monde animal et pas seulement humain. Le tissage de réseaux relationnels est inéluctable, il est inhérent au fonctionnement du vivant. Les réseaux de relation fonctionnent pour le meilleur et pour le pire dans les sociétés humaines. Ils ont pu être le fondement des sociétés les plus vertueuses, comme celui des plus perverties. L’entourage de Périclès dans l’Athènes antique était un réseau d’associés, tout comme celui qui gravitait autour de Néron à Rome. Les réseaux ont pu œuvrer pour le bien comme amplifier le mal. Il est absurde de s’indigner de telles associations, elles ont toujours lieu, y compris d’ailleurs au sein de ceux qui les critiquent. Il faut plutôt veiller à ce que les réseaux au pouvoir œuvrent pour le bien collectif, et agissent de façon suffisamment transparente pour qu’ils restent démocratiques. Les réseaux se forment d’eux-mêmes, il n’y a pas un grand ordonnateur qui en décide, mais une multitude d’individus qui reconnaissent des traits communs entre eux, objectifs, aspirations, valeurs. Un vieux proverbe français dit « qui se ressemble s’assemble ». Il n’y a rien de plus à savoir pour comprendre comment les réseaux se forment : les hommes de bien comme les canailles s’associent spontanément entre eux, en reconnaissant leurs semblables. La société devient alors un immense tissage, un très grand réseau englobant une multitude de réseaux locaux, de noyaux qui se sont auto-renforcés par les signes de ressemblance entre leurs membres, en bien comme en mal.
Certains de ces réseaux locaux émergent, et gagnent de l’influence. Si les réseaux les plus influents sont fondés sur des valeurs vertueuses, la société sera bien gouvernée. Dans le cas contraire, elle deviendra inique. Vient alors un autre élément important : la société fonctionne selon des règles du jeu, implicites ou explicites. La plupart de ces règles ne sont fixées par personne, elles découlent de l’évolution naturelle de la société. Les lois et règlements fixés par le pouvoir politique n’en sont qu’une toute petite partie. Les règles de fonctionnement à l’intérieur d’une entreprise par exemple, ce que l’on appelle sa « culture d’entreprise », sont beaucoup plus nombreuses, implicites et résultent de son évolution historique. Les règles du jeu vont favoriser certains « profils » d’homme, encourager ou décourager certains comportements. Le visage de la société sera modelé par ces règles du jeu et ces croyances collectives : selon le modèle d’homme qu’elle favorise, elle se donnera des dirigeants à son image, en bien comme en mal. L’esprit faible posera la question « qui tire les ficelles » ? L’esprit fort demandera plutôt : « à quel jeu joue-t-on ? », car il sait que le profil de ses dirigeants, ses conditions de vie et ses relations avec ses semblables vont beaucoup en dépendre.
Le problème de la société post-moderne est que ses règles implicites, bien plus fortes que son angélique discours explicite, favorisent un certain type d’hommes qui aboutit aux médiocres dirigeants politiques et économiques que nous connaissons. Ce ne sont d’ailleurs pas des personnes issues des enseignements de la complexité qui s’en sortent le mieux à ce jeu-là, mais des personnalités plus simplistes, assez dénuées de scrupules, très narcissiques et caractérielles. Des articles maintenant nombreux de la presse économique anglo-saxonne se sont inquiétés de ce phénomène, qui porte aux postes de décision des profils tenant plus du psychopathe que du véritable dirigeant. Cf également les livres de Marie-France Hirigoyen : le pervers narcissique est devenu en quelque sorte l’homme emblématique de la société néo-libérale. D’où l’apparition de décisionnaires politiques et économiques de plus en plus nombreux, au profil de « petite frappe ».
Lorsque la règle du jeu favorise un certain type d’homme, l’évolution spontanée de la société aboutira à ce que ses réseaux relationnels se renforcent. D’où l’importance de bien connaître les règles du jeu auxquelles on joue : donner ces règles, c’est donner les leviers du pouvoir. Les règles ne sont pas fixées par je ne sais quels grands ordonnateurs machiavéliques. Elles sont le reflet de nos croyances collectives, de nos espoirs, de nos craintes, de notre courage ou de nos renoncements. Aussi faut-il travailler à promouvoir d’autres modèles d’hommes que de maudire telle ou telle connivence : il y aura toujours des connivences, y compris au sein de ceux qui disent combattre les connivences (les complotistes sont organisés selon des réseaux très structurés, tellement que l’on pourrait presque croire à un complot de leur part !).
Merci encore à la sagesse chinoise : « Mieux vaut allumer une petite lumière dans la nuit que de maudire l’obscurité ». Aussi la meilleure façon de combattre la barbarie post-moderne est de répéter et montrer par l’exemple ce que nous considérons être un homme de bien, voire le mettre en œuvre dans des sociétés alternatives si la nôtre s’est trop effondrée. Afin de faire émerger d’autres réseaux relationnels, qui ne seront pas cette fois une « oligarchie des incapables ». Contrairement à tous les préjugés, la spiritualité juive s’y emploie et engage dans ce combat de plus en plus de ses membres, qui cherchent eux-aussi à défendre une certaine idée de l’homme.
4 La femme musulmane qui a fait des études, salut de l’Islam
Le monde professionnel en France m’a permis de rencontrer une situation humaine instructive. A de nombreuses reprises, j’y ai croisé la route de femmes musulmanes, originaires d’Afrique du nord, du proche ou moyen orient, brillantes, ayant fait des études poussées. Elles arboraient toutes de longues chevelures, sans voile, qu’elles portaient fièrement. Elles n’en pratiquaient pas moins les rites religieux musulmans, par exemple l’observance du Ramadan.
Nous le savons par de nombreux reportages sur ce sujet, ces femmes ont souvent couru des risques, et en courent encore, vis-à-vis de leur communauté. Elles durent se battre pour poursuivre leurs études. Dans le meilleur des cas, des parents éclairés les y ont poussées. En France, nombre d’hommes musulmans de la jeune génération vivent très mal cet accès à la connaissance par leurs consœurs. Une culture considérant que tout est acquis à l’homme les a poussés vers la paresse, l’impatience, l’usage de la force au lieu de celui de la compréhension.
Il y a de brillantes exceptions masculines, que j’ai également croisées dans le milieu professionnel. Mais il est malheureusement bien connu que nombre d’hommes musulmans qui se sont laissés aller à la version arriérée que l’Islam montre de nos jours, réagissent par la violence et l’aigreur à l’encontre des femmes musulmanes qui ont poursuivi des études. Sous des prétextes soi-disant vertueux, ils tentent de rabaisser ces femmes, par des mariages forcés, par l’arrêt de leurs études, parfois par la violence pure et simple. La seule jalousie les guide, l’insupportable vérité remettant en question un statut supérieur qu’ils croyaient acquis, leur renvoyant au visage le vide de leur vie, leur incapacité à obtenir quelque chose par le mérite, la fatuité de ratés qui n’ont rien accompli.
La haine que ces hommes musulmans vouent aux femmes musulmanes qui ont fait des études, est la même que la haine des juifs. Et ces femmes musulmanes qui ont réussi à sortir de leur condition avec courage, en voyant que les études étaient leur seule porte de sortie, sont en quelque sorte une image du peuple juif.
Les femmes musulmanes qui ont fait des études et qui lâchent leurs cheveux sont un objet de haine, alors que l’Islam ne réalise pas qu’elles sont la seule voie de son salut, de sa rédemption. Le jour où l’Islam reconnaîtra ces femmes comme son avant-garde, cessera d’imputer aux autres ce dont il est seul responsable, retrouvera la capacité d’un véritable courage, celui de l’exigence vis-à-vis de soi, non celui de « héros » qui massacrent des enfants désarmés, ce jour-là l’Islam pourra renouer avec ce qui fit autrefois sa grandeur. S’il n’a ni la force ni le courage d’accomplir cette reconnaissance, il ne pourra changer de visage. Il restera cette religion d’arriérés, de frustrés et d’aigris qu’il est devenu aujourd’hui, masquant ses lâchetés et ses fautes morales derrière de prétendues vertus.
Mais le chemin à parcourir est immense. Il est toujours cocasse d’entendre dans le discours antisémite des islamistes, des accusations de duplicité du peuple juif. Alors que rien n’égale de nos jours en duplicité, le discours d’une grande partie des musulmans. Les mêmes tiennent le discours d’une « religion de paix », et applaudissent dans les bus ou dans la rue à l’annonce des attentats du 11 septembre. Les mêmes condamnent toute violence, mais à l’annonce d’un attentat commis sur des civils non musulmans, ne pourront s’empêcher de penser que « c’est tout de même bien fait » ou de s’en réjouir dans le cercle familial. Les mêmes jureront qu’ils prônent l’ouverture envers tous les hommes, mais tiendront les pires discours antisémites dans des réunions d’amis ou en famille, et l’inculqueront à leurs enfants. Les discours de haine tenus en secret finissent toujours par transpirer, car à l’école les enfants parlent, et dévoilent des propos qu’ils n’ont pu inventer par eux-mêmes.
Que les musulmans d’aujourd’hui sachent, et principalement leurs dignitaires religieux et politiques, que cette duplicité ne trompe plus personne. Qu’ils en ont abusé jusqu’à la corde. Que la seule façon pour l’Islam de regagner sa crédibilité serait non plus de condamner en paroles Daesh, mais d’aller leur casser la figure une bonne fois pour toutes, de leur livrer une guerre absolument sans merci, et d’y aller eux-mêmes, non laisser d’autres le faire. Ce jour-là nous recommencerons peut-être à croire que l’Islam est encore capable de faire preuve de courage et de sincérité. Qui emboîtera le pas d’un Abdallah II de Jordanie, dont la noble attitude ne se retrouve que trop rarement ? Ce n’est que par ce type d’attitude, et par la reconnaissance des femmes musulmanes qui ont fait des études, que l’Islam sortira de l’ornière extrêmement profonde dans laquelle il est tombé et trouvera la voie de son salut.
5 Le sionisme, la voie des hommes libres
Les adversaires d’Israël ont malheureusement remporté un succès sémantique pendant ces dernières années : celui de donner au sionisme une connotation péjorative dans l’esprit de beaucoup de personnes –parfois même chez des gens cultivés - l’assimilant à une forme d’autoritarisme et de colonialisme inique. D’où le trop commode paravent à l’antisémitisme le plus primaire, retranché derrière « l’antisionisme ». A tel point également que nombre de personnalités juives elles-mêmes finissent par hésiter à employer ce mot, voire à aller jusqu’à lui reconnaître un caractère péjoratif.
Le sionisme tel que l’a défini Theodor Herzl n’est en rien le fait de colonialistes ou d’impérialistes. Les hommes qui l’ont fondé n’avaient rien de l’arrogance de personnes ivres de puissance. Le sionisme est au contraire issu d’hommes humbles luttant pour leur survie, ne réclamant que le droit de vivre librement et dignement. Les communautés juives à travers le monde étaient à l’époque de Theodor Herzl à la merci complète de populations qui pouvaient décider comme bon leur semblait de les massacrer, de violer leurs femmes, de couper la langue de leurs enfants. Nous savons maintenant, des chapitres qui précèdent, la raison pour laquelle on faisait subir ce sort aux communautés juives. Généralement, ces crimes étaient perpétrés avec la bénédiction des états et des forces de police du pays de résidence. Quand ces mêmes forces de l’ordre ne participaient pas elles-mêmes parfois aux pogroms. Le sionisme est né de ceci.
Le sionisme est aussi l’un des seuls exemples connus d’une utopie généreuse qui a réussi à devenir réalité. L’extraordinaire expérience des kibboutzim offre un modèle de société alternative fondée par des hommes épris de liberté et d’indépendance, en même temps qu’ils promouvaient une grande solidarité. Là encore, les premiers membres des kibboutzim n’étaient en rien des colons dominateurs, mais des survivants immédiats de la Shoah qui durent faire preuve d’un immense courage pour reconstruire leur vie.
Les fondateurs du sionisme ont montré que rien n’égale la combativité d’hommes libres et solidaires entre eux, demandant seulement à ce que leur indépendance soit respectée. Ils ont prouvé par leur exemple et leur courage que l’oppression, l’arbitraire, la bassesse, la répugnante envie, la volonté perverse de détruire et d’humilier ne sont pas des fatalités. Que l’homme qui repoussera calmement et fermement ces démons en montrant qu’il n’en a pas peur, qu’il ne cédera pas un pouce de son indépendance sacrée, qu’il continuera son chemin en ayant la force de bâtir, peut vivre et s’affirmer dans ce monde. Le sionisme est et sera toujours une source d’inspiration et un exemple pour tous les hommes – juifs comme non juifs - épris d’indépendance et de liberté.
En ces temps où Israël court de très graves dangers, où certains de ceux qui se disaient ses amis se dérobent, tous les hommes libres et de bonne volonté – juifs comme non juifs - doivent affirmer sans peur et sans honte leur attachement inaliénable à ce pays. Sans son existence, l’une des plus anciennes et des plus belles traditions spirituelles – celle du judaïsme – disparaitrait. Parce que dans l’état encore très arriéré où se trouve l’humanité, l’on cherche toujours à oppresser et abaisser les hommes libres, Israël doit être. En son centre, une ville a toujours affirmé une identité inaliénable ancrée dans l'histoire des hommes mais toujours ouverte à eux : Jérusalem.
Paris, le 10 avril 2015
Eh bien, cher Monsieur Rameaux, voilà un texte passionnant ! Je l'ai lu, je vais le relire, car il mérite toute l'attention du lecteur. Je souscris déjà à votre dernier paragraphe. Israël est le signe le plus visible, parmi d'autres bien sûr, de la liberté du monde et des hommes. Comme c'est vrai ! Maintenant il vous reste à tirer les conclusions pratiques concrètes des principes que vous avez présentés. Que peut, que doit faire Israël vis-à-vis de ses voisins "Palestiniens"? La théorie des deux Etats, si chérie de la "communauté internationale", et dont la pratique démontre après plus de 15 ans d'expérience sa non-viabilité, est en train de dépérir sous nos yeux. Par quoi la remplacer? Rude défi...
RépondreSupprimerJe reste attaché - comme l'est Alain Finkielkraut - à la recherche d'une solution à deux états. Même si - comme vous le soulignez - elle semble être totalement enfoncée dans l'ornière. L'opinion de la "communauté internationale" à ce sujet ne m'est effectivement d'aucune importance, la notion même de "communauté internationale" n'ayant pour moi aucune existence.
RépondreSupprimerLa solution à deux états me semble être cependant la seule qui préserve la dignité des deux peuples, au regard de la profondeur du conflit où ils se sont engagés. Mais le chemin est très long, car il faudrait au préalable que les principaux dirigeants d'états musulmans sortent de leur discours de victimisation et de plainte qui les maintient dans l'arriération politique et économique, tournent cette page pour construire avant tout les objectifs de leurs propres pays, et reconnaissent sans aucune ambiguïté l'état d'Israël. Côté Israëlien, il faudrait que son dirigeant évite de promettre d'oeuvrer à une solution à deux états alors qu'il n'y croit pas une seule seconde.
J'ai partager,bravo pour votre analyse !
RépondreSupprimerbonne analyse Je partage
RépondreSupprimeroui je partage votre analyse la solution c'est de venir habiter sur notre terre Israel. Les antisémites prendront 2015 ans pour pour prendre conscience de leurs erreurs.
RépondreSupprimerdu grand n'importe quoi !
RépondreSupprimerLes juifs savent très bien quel est le problème, c'est le respect de la LOI Divine, qui est insoluble dans la Démocratie, dans la République et encore moins dans les régimes dictatoriaux. Le juif est par nature a-social et doit vivre caché.
Il suffit de lire Bernard Lazare (qui s'appelait en réalité Lazare Bernard : même lui a eu ce réflexe de vouloir vivre caché, caché de la société dans laquelle il est "forcé" de vivre alors qu'il ne veut pas en faire partie, comme tous ces juifs qui changent leur nom pour mieux vivre leur double-vie)
Je le cite :
"Ainsi disaient les docteurs, le but de l'homme sur la Terre est la connaissance et la pratique de la Loi"
"Sans la Loi, sans Israël pour la pratiquer, le monde ne serait pas, Dieu le ferait rentrer dans le néant ; et le monde ne connaîtra le bonheur que lorsqu'il sera soumis à l'empire universel de cette loi, c'est-à-dire à l'empire des Juifs. Par conséquent, le peuple juif est le peuple choisi par Dieu comme dépositaire de ses volontés et de ses désirs; il est le seul avec
qui la Divinité ait fait un pacte, il est l'élu du Seigneur."
"Israël est placé sous l’œil même de Jéhovah; il est le fils préféré de l'Éternel, celui qui a seul droit à son amour, à sa bienveillance, à sa protection spéciale, et les autres hommes sont placés au-dessous des Hébreux; ils n'ont droit que par pitié à la munificence divine, puisque, seules, les âmes des Juifs descendent du premier homme."
"Cette foi à leur prédestination, à leur élection, développa chez les Juifs un orgueil immense. Ils en vinrent à regarder les non-Juifs avec mépris et souvent avec haine, quand il se mêla à ces raisons théologiques des raisons patriotiques."
etc. etc. etc.
Bernard Lazare - "L'antisémitisme, son histoire et ses causes" Paris 1894
C'est comme cela que bon nombre d'entre nous sont devenus des sociologues par passion, sincère d'ailleurs, pour comprendre ces mécanismes et pour mieux se protéger contre les attaques en les "divertissant"
Si les juifs s'en sortent mieux sur le plan économique c'est simplement leur esprit grégaire qui le leur permet, certainement pas l'étude du Talmud, qui représente au contraire l'étude du racisme envers les non-juifs et participe donc à créer encore plus de différences et donc de non-dilution dans le modèle commun.
La vérité est la solution : nous justifions la création d'Israël en nous basant sur une promesse divine (c'est donc à Dieu de nous donner et pas à nous de demander Israël) pendant que Dieu nous demande de nous disperser dans les nations...
La création humaine d'Israël est la pire des abominations.
Quelqu'un ici n'a pas été éduqué à la complexité...
RépondreSupprimerAu contraire, je trouve la controverse de Shlomo intéressante.
RépondreSupprimerL'auteur fait une brillante démonstration autour de l'éducation issue du Talmud sans jamais interroger le fait religieux. Et ses mythes...
Le parallèle avec les jésuites me semble ad hoc et là aussi une dimension spirituelle est étroitement mêlée à l'enseignement.
Aussi pourquoi avoir passer sous silence la part religieuse du Judaïsme dans cette analyse ? Dit autrement : pourquoi le faire concernant l'Islam et l'oublier concernant le Judaïsme ?
La démonstration n'en aurait été que plus convaincante !
J'ai laissé le commentaire de Shlomo malgré sa teneur plus que douteuse, dont on devine qu'il s'agit de la plume de Shlomo Sand, avec les habituels travers de cet auteur.
SupprimerJe laisse volontairement le fait religieux de côté, car précisément l'erreur est de rechercher quelque chose de propre au judaïsme dans l'origine de l'antisémitisme. Beaucoup d'auteurs se sont acharnés à décortiquer des caractéristiques du judaïsme pour y trouver une explication.
La thèse que j'avance dans "Antidote" repose sur un ressort psychologique humain universel : la jalousie. Ce n'est pas une caractéristique propre au judaïsme qui la provoque, mais un trait que le judaïsme a fortement développé sans que cela lui soit exclusif : l'éducation de la complexité.
L'étude comparative avec les autres éducations de la complexité me paraît bien renforcer mon explication : chaque fois qu'une communauté développe cette compétence, elle attire les persécutions, par le fait de la jalousie. Face à l'excellence, tout le monde n'a pas l'intelligence des coréens du sud aujourd'hui, d'y voir un "challenge" positif leur donnant l'opportunité de s'améliorer, en cherchant à comprendre d'où vient cette performance plutôt que de la jalouser.
Les éducations de la complexité se sont souvent développées au sein d'enseignements religieux mais pas nécessairement. Des formes laïcisées ont maintenant pris forme, par exemple la philosophie analytique anglo-saxonne, qui représente pour moi un summum de l'esprit humain. C'est la raison pour laquelle j'ai décorrélé mon explication du fait religieux.
Dont acte ! Merci de cette réponse.
SupprimerJ'entends bien la logique de cet article et ne la conteste pas, néanmoins c'est ignorer la logique du contradicteur.
Je suis loin d'être un spécialiste de la question mais je me souviens avoir lu qu'un empereur romain avait demandé à ses généraux d'étudier la déportation du peuple juif dans son entier parce qu'il s'intégrait parfaitement bien partout dans l'Empire mais que là où ce qui n'étaient encore que la Judée, la Galilée et la Samarie il régnait un climat de parfaites pétaudières ingouvernables !
Plus près de nous, le général De Gaulle a déclaré : « les Juifs, jusqu'alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu'ils formaient depuis dix-neuf siècles : l'an prochain à Jérusalem »
Une chose au moins me tarabuste dans l'aspect religieux du judaïsme c'est la notion de "Peuple Élu" qui peut évoquer un soupçon de suprémacisme dérangeant . Et j'aurais aimé trouver dans cet article un éclairage sur cet aspect. Tant qu'à détricoter un concept autant dévider la pelote...
Parce qu'il existe un autre sentiment humain tout aussi universel que la jalousie, c'est l'outrecuidance des élites quelque soit leur confession...
A Anonyme 2 août 2016, 11:05 :
SupprimerConcernant la notion de "peuple élu" :
- "Peuple élu" n'implique en rien "peuple supérieur", ou séparation vis-à-vis du reste de l'humanité. Voir par exemple ce bref et clair exposé :
http://www.akadem.org/pour-commencer/les-concepts-cles-du-judaisme/peuple-elu-mais-pas-superieur-28-05-2013-52703_4338.php.
- Il s'agit donc d'une question d'histoire et de genèse du peuple juif, non de l'affirmation d'une quelconque supériorité intrinsèque ou innée : comme tout savoir acquis, celui-ci doit s'entretenir en permanence et n'est pas un dû. La très grande majorité des juifs considère l'élection de cette façon.
- Si vous trouvez que dans ce récit des origines il y a une affirmation trop importante du lien entre le peuple juif et Dieu, remarquez que n'importe quel peuple a développé une historiographie de ses origines selon un lien divin ou mythologique, la France fille ainée de l'Eglise, le Gott mit uns Allemand, etc. L'on peut remettre cette généalogie à sa place si l'on n'est pas croyant, en n'y voyant qu'un simple besoin psychologique de l'ego humain, mais même dans ce cas je ne vois pas pourquoi l'on en tiendrait davantage rigueur au peuple juif qu'à d'autres peuples, le récit des origines divines étant commun à toute l'humanité.
La notion de "peuple élu" est une traduction erronée. Les Anglo-saxons sont plus cash et plus justes en disant "The Chosen People" soit le peuple CHOISI c'est à dire désigné (par Dieu), pour veiller sur les autres, sur le monde. Un peu comme un professeur designerait l'élève le plus responsable, le plus âgé de la classe pour veiller sur les autres élèves en son absence. Ou comme des parents qui choisiraient l'aîné de leurs enfants pour veiller sur les plus jeunes. Pas de notion de supériorité la dedans, c'est juste le plus âgé qui est logiquement désigné, choisi... Or les Juifs sont un tres vieux peuple, pas étonnant qu'ils aient été choisis & désignés pour veiller sur leurs frères. Cela n'implique donc pas de notion de supériorité, mais de responsabilité.
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