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mercredi 9 mars 2016

L'organisation de l'Orque



La plupart des tentatives de vie communautaire ont échoué non pour des raisons économiques, mais du fait de l’organisation de leur vie sociale. Trop tournées vers l’intérêt collectif de la communauté, elles sous-estimaient les aspirations individuelles de chacun. Chaque fois que les tentatives communautaires ont empiété sur le respect des projets personnels, voire sur la vie familiale et personnelle de ses membres, elles ont échoué.

Economiquement, les organisations en communautés libres se sont révélées au moins aussi performantes que l’entreprise classique, en grande partie parce que ces dernières doivent maintenir un taux d’encadrement beaucoup plus élevé ainsi que de nombreuses fonctions de reporting, non directement productives. David Graeber a ainsi montré que la société libérale - férue d’efficacité - engendrait un nombre croissant d’emplois inutiles, gaspillage qu’une communauté auto-gérée permet d’éviter.

Tout est affaire d’équilibre en matière d’organisation sociale et de tension productive entre pouvoirs et contre-pouvoirs. Aspirations individuelles et aspirations collectives doivent être finement dosées pour parvenir à une frange dans laquelle naît la liberté d’action. La société antique nous a donné deux contre-exemples riches d’enseignements. L’Athènes antique a fini par chuter par excès d’individualisme : la défaite contre Sparte et la tyrannie des trente n’en furent que les conséquences, non la cause première. Sparte elle-même s’enfonça dans le déclin pour des raisons inverses : tout était sacrifié à la communauté et au bien collectif. La société spartiate, fortement totalitaire, ignorait la notion même d’individu.

Un contrat social garantissant à chacun la protection de ses libertés personnelles passe paradoxalement par un sens entretenu du collectif. Il faut savoir doser très finement ces deux facteurs pour qu’une expérience de communauté libre voie le jour. L’histoire n’a cessé de combattre l’un ou l’autre péril. Après le danger soviétique qui écrasait l’expression individuelle, nos sociétés « libérales » (ce mot est maintenant piégé) versent dans l’excès inverse, exaltant l’individualisme pour aboutir à une étrange dictature faite non d’oppression directe mais d’étouffement de toute discussion critique.

Les règles de fonctionnement de la société de l’Orque visent à atteindre la frange au sein de laquelle les deux forces sont équilibrées. Contrairement à nombre d’autres expériences communautaires, elles tiennent compte de l’inévitable existence d’ambitions individuelles, ou à tout le moins de projets personnels.

Elles doivent également répondre à la très délicate question du lien de subordination. Celui-ci est évidemment beaucoup plus faible dans une communauté libre que dans nos sociétés qui se veulent « libérales », mais pas inexistant.

Avec « La logique de l’honneur », Philippe d’Iribarne a montré par une étude comparative dans différents pays que le lien de subordination était un mal profond mais nécessaire, et que le travail de toute société humaine était de trouver un compromis pour l’accommoder et le rendre le moins douloureux possible : le contrat aux Etat-Unis, le consensus aux Pays-Bas, la logique de l’honneur en France. 

Tout contrat social résulte de la réponse d’une société au mal nécessaire qu’est le lien de subordination, les maux endémiques actuels de la nôtre venant du fait que le contrat social est brisé, la légitimité des classes dirigeantes ayant à peu près complètement disparu.

La société de l’Orque propose une autre alternative : la rotation annuelle de la prise de responsabilité. Piloter projets et hommes n’est ainsi pas une position pérenne, mais un simple rôle temporaire.


Voici maintenant l’énoncé concret des règles de fonctionnement de cette société :

Economiquement, la société de l’orque est inspirée des différents modèles de l’auto-gestion. C’est une communauté auto-suffisante donc indépendante économiquement.

Les orques pratiquent des disciplines dans lesquelles il n’est pas possible de tricher. Ces disciplines sont au nombre de cinq. Nous ne prétendons pas que leur liste est exhaustive :

  • L’algorithmie et la logique
  • La musique
  • Les arts martiaux
  • Les artisanats
  • La création d’entreprise.

La cité de l’orque tire sa subsistance des produits de ces cinq disciplines, pratiquées au plus haut niveau possible.

Ces cinq disciplines impliquent :

  • Que celui qui les pilote est directement responsable de son résultat, en bien comme en mal, sans pouvoir se dérober.

  • Que les critères de résultat des produits de ces disciplines sont sans appel, soit par une exactitude scientifique, soit par un résultat économique, soit par un jugement suffisamment nombreux du public.

  • Que celui-qui les pratique allie profondeur de jugement, maîtrise de soi, inspiration, prise de risque, toutes les qualités que l’on est en droit d’attendre d’un homme de mérite. Ces disciplines sont une ascèse pour le corps et l’esprit.

La hiérarchie est légère dans la cité de l’orque. Elle ne doit jamais dépasser 4 niveaux entre l’étage de décision le plus élevé et l’exécution. Dans la société des orques, le seul critère qui donne davantage de responsabilité à l’un d’entre eux, est le pilotage d’un projet. La hiérarchie des orques s’établit uniquement en chef de projet, directeur de projet, etc., c'est-à-dire dans le pilotage opérationnel de projets de plus en plus grandes tailles. On distinguera donc les 4 niveaux suivants :

  • Opérationnel projet
  • Chef de projet
  • Directeur de projet
  • Gardien, pour les orques qui gouvernent la cité.

Cette hiérarchie n’a pas d’importance fondamentale pour les orques. Elle correspond à des rôles accordés à des moments donnés. Les orques se considèrent tous comme égaux, du fait qu’ils pratiquent tous l’une des cinq disciplines et contribuent à la vie de la cité.

La participation à la noblesse et à la beauté des cinq disciplines est un critère d’estime bien plus important que le rang hiérarchique dans la cité. De ce point de vue, les orques se considèrent de la même façon que les anciens spartiates entre eux : des « homoioi », des semblables, quel que soit leur statut. La découverte, la maîtrise et l’accomplissement dans l’une des 5 disciplines sont la principale valeur qui marque l’estime dans la cité

Il n’y a pas de « managers » ou « directeurs » dans la société des orques, c'est-à-dire de personnes occupant uniquement une position hiérarchique mais ne pilotant pas de projet utile et produisant un livrable. En d’autres termes, une absence de parasites dont le principal travail est de s’attribuer celui des autres et passant leur temps en courtisanerie et guerre territoriale.

Pour la même raison, les opérations de maintenance courante des projets précédents sont assurées par les équipes qui ont mené le projet à bien, et qui n’en accorderont la responsabilité à une autre équipe que s’ils le souhaitent.

La société des orques vise l’efficacité pure et concentrée. Les « managers » ou « directeurs » des grandes sociétés classiques sont à ce titre méprisés et déconsidérés, et la société des orques le leur fera savoir s’ils s’aventurent à lui rendre visite. En d’autres termes, seule la compétence et la capacité réelle à entraîner les hommes, c'est-à-dire par la réalisation d’un projet, est un critère de mérite. Le « management » consistant uniquement à dire aux autres ce qu’ils doivent faire, mais à ne pas assumer la partie difficile qu’est le pilotage, n’est en rien une responsabilité : c’est une imposture.

Tous les orques, quelle que soit leur position y compris celle des gardiens, se doivent de pratiquer constamment au moins l’une des 5 disciplines, afin de ne jamais perdre le sens du savoir-faire et des réalités. La décision pure, sans pratique qui vienne la discipliner, dérive tôt ou tard vers les faits du prince que la société corrompue nous inflige.

La société des orques respecte une stricte parité hommes / femmes au sein de ses responsables. Il y a à ce titre 10 gardiens, un homme et une femme pour chacune des 5 disciplines :

  • Un maître de logique et une maîtresse de logique.
  • Un maître de musique et une maîtresse de musique.
  • Un maître martial et une maîtresse martiale.
  • Un maître des artisanats et une maîtresse des artisanats.
  • Un maître de l’entreprenariat et une maîtresse de l’entreprenariat.

En termes d’organisation :

  • Les gardiens sont élus par les citoyens, à raison d’une élection tous les 3 ans. Cette élection a lieu au mois de mai.

  • Les directeurs de projet sont également élus par les citoyens, au moment du démarrage de leur projet. Ceci évite les habituelles nominations arbitraires, parachutages, etc. de la société corrompue. Ces élections ont lieu tous les ans au mois de septembre, selon une procédure décrite plus bas.

  • Les chefs de projet et opérationnels projet sont nommés par chaque directeur de projet, qui doit constituer son équipe en début de projet. Les citoyens sont libres d’accepter ou non cette nomination, faite sous forme de proposition. Le nombre de refus de la proposition par un citoyen est cependant limité par le fait qu’il doit finir par être rattaché à un projet : il n’y a pas de parasite dans la cité de l’orque. Un citoyen qui a accepté de participer à un projet s’engage à ne le quitter qu’à son aboutissement, ou si le directeur projet lui signale que les ressources nécessaires au projet sont moindres et qu’il n’est donc plus tenu par son engagement.

  • Chaque année au début du mois de septembre, un cycle annuel d’élection des nouveaux projets a lieu. La procédure est la suivante :

    • Des candidats proposent de lancer un projet, dont ils prendront la responsabilité en tant que directeurs de projet. Chaque candidat proposant un projet doit évaluer le budget, le nombre de citoyens nécessaire à sa réalisation, la structure du projet, son planning et sa rentabilité prévue chaque année.

    • Une première liste libre de propositions est ainsi constituée, à partir de toutes celles provenant des candidats. Les projets font l’objet d’un vote de toute la cité pour établir la liste des projets éligibles.

    • Parmi les projets éligibles, les gardiens sélectionnent les projets qui pourront être financés et soutenus par la cité, à partir de l’état budgétaire et des effectifs de l’ensemble des citoyens. Les projets sélectionnés se voient allouer le budget annuel qu’ils ont annoncé lors de leur présentation, et l’équipe qu’ils ont également demandée, après accord des citoyens concernés.

    • Certains projets peuvent être lancés par un candidat sans la décision par les gardiens, si le candidat a les moyens de financer par lui-même le projet sans les ressources de la collectivité, et s’il a convaincu les citoyens nécessaires à son équipe d’y participer. Nous verrons ci-dessous comment un citoyen peut acquérir des ressources propres au sein de la cité, et comment sont réparties les ressources propres et les ressources collectives.

    • Le cycle annuel d’élection des nouveaux projets est aussi l’occasion de décider si des projets existants et aboutis doivent continuer leur phase de maintenance, où s’il faut arrêter certains projets. La procédure de décision est la même que pour la création de projets : s’il s’agit de projets employant des ressources collectives, les gardiens décident s’ils continuent une année de plus en maintenance ou s’il faut les arrêter, en fonction de l’état des ressources de la cité, et après un vote préalable des citoyens. Si le projet emploie des ressources propres et des citoyens prêts à le poursuivre, le directeur projet prend seul la décision de le continuer ou de l’arrêter en fonction de ses ressources.

    • Lorsque le projet produit des résultats commercialisables, le montant annuel des bénéfices est réparti de la façon suivante :
      • 70% des bénéfices du projet sont reversés à la cité.
      • 10% des bénéfices du projet sont donnés au seul directeur du projet.
      • 10% des bénéfices du projet sont répartis entre les chefs de projet.
      • 10% des bénéfices du projet sont répartis entre les opérationnels projet.

    • Cette répartition permet à chaque citoyen de percevoir des ressources propres, qu’il pourra utiliser comme il le souhaite, soit en les réinvestissant dans un projet au cycle suivant, soit pour son usage personnel. Il n’y a pas de complète collectivisation des ressources des citoyens, mais une répartition entre biens collectifs et propriété personnelle.

    • Ce système est fortement incitatif à faire preuve d’innovation et à prendre la responsabilité d’un projet, car en cas de grand succès public, les 10% reversés au directeur de projet lui permettent de disposer de biens propres importants. Il serait en effet trop restrictif de laisser à la seule décision des gardiens le lancement de tous les projets. L’équilibre entre régulation collective et innovation personnelle doit être précisément dosé.

    • L’échec d’un projet n’entraîne pas de blâme de la part de la collectivité. Le directeur de projet a pris pleinement la responsabilité du pilotage du projet, son non aboutissement est déjà en soi une sanction suffisante. En cas d’échec, le projet est simplement arrêté par les gardiens lors du cycle annuel, s’il emploie des ressources collectives.

    • Une fois les projets sélectionnés à chaque cycle de Septembre, et leur budget alloué, chaque directeur de projet a pleins pouvoir sur le pilotage de son projet. Les gardiens n’ont aucun pouvoir de décision dessus : ce point est particulièrement important. La décision des gardiens ne réintervient qu’au cycle annuel suivant, dans la décision de poursuivre ou d’arrêter le projet selon son état d’avancement et son état budgétaire.

    • Des projets dont la rentabilité est obtenue dans des délais supérieurs à un an peuvent être proposés. Les gardiens décideront lors du cycle si les ressources de la cité peuvent se le permettre ou non. Le directeur de projet candidat devra dans ce cas fournir un calendrier des pertes et gains prévisionnels année par année. La décision de poursuivre ou d’arrêter le projet lors du cycle annuel sera dans ce cas fonction de sa rentabilité prévue sur cet horizon prévu, non sur sa rentabilité à un an : si des pertes ont été prévues dans la première année pour des raisons d’investissement, et qu’elles atteignent un montant réalisé raisonnable par rapport à la prévision, la décision de le poursuivre sera donnée.

    • Les projets employant des ressources propres, donc lancés sans l’aval des gardiens, n’ont pas à attendre le cycle annuel. Ils peuvent être lancés à tout moment de l’année.

    • Si un directeur de projet veut lancer un projet sur ses ressources propres et qu’il est parvenu à convaincre des citoyens de le suivre sur ce projet, les gardiens ne peuvent s’opposer à l’emploi de ces citoyens sur le projet. L’initiative individuelle a priorité dans l’emploi des hommes sur l’allocation dans les projets collectifs.

    • Lors de la présentation des résultats d’un projet lors du cycle annuel, auprès des gardiens, la totalité de l’équipe projet doit assurer la présentation. Chaque membre de l’équipe, directeur de projet, chefs de projet et opérationnels, présente la partie qui lui incombe, la propriété intellectuelle étant sacrée dans la cité de l'orque. Contrairement à la société corrompue, il n’y a pas une seule personne représentant le travail de toutes les autres. Chacun doit présenter le résultat du travail dont il est directement responsable.

    • Ces sessions de présentation sont publiques au sein de la cité. Elles permettent de détecter ceux qui excellent dans la maîtrise des cinq disciplines quel que soit leur rang dans les 4 niveaux de responsabilité, afin d’en tenir compte lors des prochaines élections. Un opérationnel projet qui se serait particulièrement distingué lors de sa production peut être élu directeur de projet l’année suivante s’il propose un projet convaincant, ou gardien pour la reconnaissance de sa maîtrise : il n’y a aucune barrière dans la hiérarchie à 4 niveaux, celle-ci n’étant que peu d’importance par rapport à la maîtrise des disciplines.

    • Le rôle des gardiens est purement consultatif pendant la réalisation du projet, du fait de leurs capacités et de leur expérience dans l’une des 5 disciplines. Il est très important de conserver une autonomie complète d’action et de décision de l’équipe projet, même vis-à-vis des gardiens, précisément pour éviter les décisions arbitraires de ceux qui n’ont pas participé au projet.

    • Du fait de leur expérience et de leur capacité dans les 5 disciplines, il est tout à fait possible qu’un gardien face partie des candidats proposant un projet. Il devra assumer alors à la fois le rôle de gardien en tant qu’avis consultatif et de directeur de projet. Lors du cycle de décision, il ne peut bien entendu voter pour son propre projet. Il peut également démarrer un projet sur ses ressources propres. Il n’est pas permis qu’un gardien pilote plus d’un projet dans l’année, afin de ne pas sous-estimer sa charge.

  • Les cités d’orques ne doivent pas dépasser 2000 personnes : l’efficacité concentrée de décision et d’action souffrirait d’une taille trop importante.

  • En parallèle de la conduite des projets, certaines activités sont nécessaires à la vie immédiate des citoyens. Elles sont organisées de la façon suivante :
    • Nourriture
    • Logement et bâtiment
    • Entretien et ménage
    • Voirie

  • Pour chacune de ces activités de nécessité immédiates, un schéma général s’applique :
    • Soit la cité a décidé du lancement d’un projet qui les concerne (la cuisine est un artisanat, le bâtiment et les services concrets à la personne une entreprise). Auquel cas, les produits de ces projets sont en partie vendus à l’extérieur, en partie utilisés pour la communauté, de même que les communautés Amish consomment une partie de leur production agricole et en vendent une autre partie.
    • Soit aucun projet de la cité ne répond à ces nécessités immédiates. Elles devront dans ce cas être achetées à l’extérieur de la cité, à partir du produit des autres projets.

  • Toute cité orque devra donc partir avec un investissement initial pour assurer ces infrastructures. Les gardiens privilégieront les projets proposés sur ces nécessités immédiates au début de la création de la cité, afin d’assurer le minimum vital aux citoyens.

  • Un logement est attribué à chaque citoyen, proportionnel à la taille de sa famille. Les logements sont bâtis à partir des ressources communes de la cité et sont la propriété de tous. Là encore, il est possible à un citoyen d’acheter ou de faire bâtir son propre logement sur ses ressources propres, acquises lors de projets précédents. La seule autorisation nécessaire, est que ce logement personnel soit compatible avec le cadastre de la cité.

  • En ce qui concerne les soins médicaux, ils sont assurés par l’extérieur de la cité, une infirmerie est cependant maintenue au sein de la cité. La présence de médecins et infirmiers est encouragée au sein des citoyens.

  • Concernant l’éducation, les citoyens suivent les lois en vigueur dans leur pays concernant le caractère obligatoire de l’école, au sein de l’éducation nationale. Un complément d’enseignement est cependant assuré dans les 5 disciplines, en tant qu’activité extra-scolaire pour les enfants. Il est bien entendu vivement recommandé d’initier les enfants à au moins l’une des 5 disciplines, celles-ci étant le cœur d’activité de la cité.


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