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mardi 19 avril 2016

PIB en parité de pouvoir d’achat : quand l’instrument de mesure trahit les rêves secrets du FMI


Le FMI a publié récemment son classement comparatif des puissances mondiales, selon un nouveau mode de calcul : le PIB en parité de pouvoir d’achat.

La nouvelle a soulevé quelques débats, notamment parce que selon ce nouveau moyen de mesure la France doit être considérée comme la 9ème puissance économique mondiale, au lieu du 6ème rang que lui confère l’ancien calcul en PIB brut.

La discussion est vite retombée, et semble avoir été bien plus provoquée par le résultat final et le soufflet adressé à la France, que par l’analyse économique de fond.

La superficialité médiatique est une fois de plus regrettable, car la publication de ce résultat par le FMI est porteuse d’informations très importantes.

Ce qui n’a pas été observé est que l’adoption du nouveau moyen de mesure par le FMI trahit un point au moins aussi critique que le résultat de la mesure elle-même. Lorsqu’un organisme économique change de méthode statistique, cela signifie qu’il a décidé de chausser de nouvelles lunettes pour appréhender la réalité. Et le changement de point de vue trahit aussi l’évolution d’une mentalité interne.


Une mesure du PIB plus proche des gens, vraiment ?

En première approche, le calcul du PIB en PPA (parité de pouvoir d’achat) apparaît comme une bonne idée. La valeur ajoutée brute produite par un pays ne traduit pas une richesse concrète de sa population si celle-ci doit faire face à un coût de la vie très élevé.

Le calcul selon la PPA corrigeant cet effet, il traduit la paupérisation des classes moyennes dans nos pays industrialisés et montre que la qualité de la vie d’un pays doit tenir compte de l’accès au pouvoir économique par le plus grand nombre, non de sa seule richesse brute. En cela, la PPA semble plus proche des préoccupations concrètes des gens, et de leurs difficultés à constituer le panier mensuel de la ménagère dans la cotation de la richesse d’un pays.

L’élément ironique de ces nouvelles lunettes chaussées par le FMI est que le très mondialiste organisme revient à la considération d’un marché national et de préoccupations économiques propres à la population de chaque pays. La PPA retourne aux conditions nationales concrètes de chacun, non à la considération de grandes zones économiques uniformes et ouvertes au marché, appréhendant les populations comme autant de masses indistinctes.

Double ironie, ce sont des arguments propres à la mondialisation – ceux que le FMI emploie habituellement – qui montrent les limites d’un tel indicateur.


Le judo des rapports de parité entre pays

Une objection à la PPA est que si le coût de la vie est plus élevé dans un pays que dans un autre, les habitants du premier seront dotés de fait d’un pouvoir d’achat bien plus important dans le second pays que dans leur pays d’origine. Cela ne concerne pas seulement le plaisir de pouvoir se payer de nombreux produits pendant un voyage touristique, mais plus sérieusement d’avoir des capacités d’investissement supérieures dans le second pays.

Le différentiel de pouvoir d’achat est ce qui permet des investissements externes, ou encore la pratique de l’offshoring, très néo-libérale s’il en est. La puissance de niveau de vie d’une population est donc plus complexe que son pouvoir d’achat national. Le coût de la vie élevé est une faiblesse qui devient une force du fait des échanges trans-nationaux et se traduit en une force de frappe financière et une capacité d’achat supérieure dans des pays classés comme « plus compétitifs ».


Cette relativité des rapports de force et faiblesse dans les échanges mondialisés est généralement très mal appréhendée par les néo-libéraux, capables uniquement de raisonnements simplistes. Il en est de même des avantages comparatifs de Ricardo : si les néo-libéraux n’en retiennent que l’ouverture des frontières à tout crin, ils ne remarquent pas que leur pendant inévitable est le maintien de compétences différenciées dans chaque pays pour que les mécanismes ricardiens fonctionnent, c’est-à-dire de nécessaires politiques interventionnistes permettant de conserver jalousement un cœur de compétences propres à chaque pays.

Dès lors que l’on fonctionne en économie ouverte, un véritable tao des échanges économiques est nécessaire à la compréhension des situations, où chaque faiblesse est une force potentielle et où chaque force peut devenir un point faible, non par les raisonnements simplistes et univoques des néo-libéraux, ne sachant que prôner toujours plus de dérégulation et toujours plus d’ouverture. La véritable économie ressemble aux sciences du vivant, au maintien d’équilibres fragiles et contradictoires, tandis que les recettes néo-libérales ne savent mettre en œuvre qu’une radicalité court-termiste.


Une préoccupation pour les gens ou un idéal famélique ?

En examinant par ailleurs ce à quoi le FMI exhorte, le sens à donner à ce changement d’indicateur nous apparaît plus clairement. Les bons élèves ont changé : le modèle économique est maintenant celui des BRICS : Inde, Brésil, Chine, … c’est-à-dire de pays dont le faible coût de la vie repose sur une précarité et une légèreté de l’aide sociale.

Le raisonnement du FMI est celui des sports mécaniques : pour faire une moto performante, il faut concilier une grande puissance du moteur avec une légèreté de l’ensemble de l’engin. L’on préfère ainsi aux grosses et lourdes cylindrées des moteurs légèrement moins puissants mais des châssis ultra-légers, le rapport poids / puissance étant la clé de la performance.

Si le raisonnement est incontestable dans les sports mécaniques, il est simpliste en économie. Avant de montrer pourquoi, il faut comprendre ce que donne la transposition à l’économie. L’optique du FMI sous-tend toute la mode du « lean management », l’économie de moyens à tout prix, l’allègement de toute structure support à commencer par celle de l’état.

Dans les modèles connus de l’économie industrielle, le « lean and hungry dog » a remplacé le « top dog » : la puissance de l’animal en forme est remplacée par la rage de survie de l’animal famélique, agressif parce qu’il est maigre.


L’on retrouve cet état d’esprit dans les départements achats de beaucoup de groupes industriels : un bon fournisseur est un fournisseur qui a faim, ce qui le force à aller au-delà de ses limites par survie. Les départements achats les plus cyniques considèrent même qu’un bon contrat avec un fournisseur est celui qui l’étrangle juste assez pour qu’il survive pendant la durée du projet, puis soit tué faute de ressources à la fin de celui-ci. Cette « méthode » est d’ailleurs recommandée de façon explicite dans certains cursus de « management ».

Les nouvelles lunettes du FMI n’ont donc rien à voir avec un raisonnement sur le pouvoir d’achat des personnes. Elles ne sont que le prolongement de la thèse néo-libérale du toujours moins d’état, jusqu’à idéalement faire disparaître celui-ci, et un faible coût de la vie obtenu au prix d’un désengagement de toute structure sociale : le FMI passe sous silence que bon nombre de pays obtiennent un coût de la vie limité en contrepartie d’une forte précarité de leur population.

Le FMI a ainsi remplacé son classique idéal de puissance économique par un « idéal famélique », un modèle consistant à placer sciemment le plus grand nombre de personnes en conditions de précarité et de survie pour en tirer le maximum. Le nouveau modèle économique est celui de populations toujours plus exsangues (sauf pour une petite minorité de privilégiés), dont on extorque l’énergie de la survie.


Nous pouvons être rassurés : si nous avions cru l’espace d’un instant que le FMI avait une quelconque préoccupation pour la vie quotidienne des personnes, nous voyons que comme à l’habitude il n’en est rien. L’on se souvient du fameux slogan de Lénine « le communisme c’est les soviets plus l’électricité ». Sa paraphrase libérale pourrait-être : « le néo-libéralisme c’est la production maximale par la rage du désespoir plus les favelas ». 

La vision du futur selon le Fonds est de généraliser à toute la planète le modèle mexicain ou brésilien : une majorité de crève-la-faim constituant le plus gros de la population, et une petite minorité de privilégiés obligés de vivre barricadés.

Les chiffres globaux montreront quant à eux que nous avons un excellent ratio de PIB en PPA, que ce mode de vie rend tout le monde heureux et a accru la richesse globale de la planète, argument classique - et faux - des néo-libéraux.


Pourquoi « l’idéal famélique » n’est pas seulement éthiquement condamnable mais économiquement défaillant

Au-delà de sa faiblesse éthique, cette nouvelle vision est économiquement fausse et inefficace. Elle souffre – comme tous les raisonnements néo-libéraux – d’une myopie totale et d’une incapacité à anticiper. Les soubresauts et rechutes des BRICS, dont les résultats ne sont pas ceux attendus, en témoignent. L’instabilité qu’ils connaissent et les crises qui s’y succèdent à grande vitesse suggèrent quel est le raisonnement juste.

Tant qu’à raisonner de façon systémique, nos Diafoirus ont oublié que trois facteurs et non deux définissent la performance globale d’un système : la puissance, la légèreté et le troisième qu’ils ont omis : la robustesse.

Si un système est très efficace mais qu’il ne cesse de tomber en panne, ou de sortir de la route, occasionnant au passage des dégâts croissants pour l’appareillage, il ne peut être qualifié de performant. Le bon économiste connaît cet arbitrage classique entre efficacité et robustesse, deux termes contradictoires qu’il convient de concilier de façon équilibrée pour atteindre la performance. 

Le modèle économique du FMI – et d’ailleurs celui de l’ensemble des néo-libéraux – est intrinsèquement instable, avec une fragilité croissante. Cela se vérifie aussi bien dans le domaine financier par la multiplication des bulles spéculatives que dans la mise en œuvre du développement économique des BRICS.


Le « lean management » a ainsi engrangé échec sur échec dans les dernières années. Un exemple saillant est celui des « call-center », de tous les dispositifs d’assistance au client dans les sociétés de service. Le lean management a aminci les dispositifs de relation client jusqu’à en faire le minimum. Il s’en est suivi non seulement un service client déplorable et deshumanisé, mais surtout incapable de faire face au moindre imprévu.

Après passage au « lean management », les équipes faméliques de support au client ne savent traiter que le cas nominal, celui où tout se passe bien, dans les limites prévues. Toute erreur de procédure, qui nécessite de revenir quelques étapes en arrière, est rendue impossible. La mécanisation et l’anonymisation croissantes nécessitent des efforts colossaux pour de tels retours arrière. 

Le pauvre client moyen se retrouve généralement pris entre les mâchoires de tels dispositifs, prisonnier de l’anonymat qui dresse un écran à l’avantage des sociétés. Les individus paient des préjudices parfois très graves, devant finalement supporter les effets du « lean management », enfonçant les particuliers dans la précarité et l’inquiétude, selon une dissymétrie de rapport de force qui devient écrasante. Et le néo-libéralisme parle sans cesse de « CRM », qualité client », mise en valeur de l’individu …

La réduction des coûts comme seul principe, sans qu’il soit mis en équilibre avec une qualité de service préservée, aboutit à ce genre d’absurdité : l’on finit pas laisser des lacunes béantes dans un processus industriel ou de service, pour économiser quelques centimes. Les échecs colossaux de l’offshoring dans la plupart des grands projets informatiques en sont une autre illustration.


L’équilibre à trouver entre compétitivité-prix et compétitivité-qualité, intrinsèquement contradictoires, est pourtant un classique de l’économie. Qu’importe, la plupart des cabinets de conseil grassement payés continueront de ne prôner que des solutions simplistes de réduction des coûts sans aucune connaissance approfondie des processus industriels ou de service sur lesquels il faudrait s’appuyer, sacrifiant cyniquement le simple individu au passage.


Proposition d’un indicateur du PIB non simpliste

Le troisième terme oublié dans l’indicateur de calcul du PIB est celui de la capacité potentielle d’innovation. La richesse immédiate n’est pas tout, il est nécessaire de savoir si un pays va prendre un temps d’avance sur les secteurs innovants de l’économie, s’il a préparé ses capacités pour le faire.

Il n’est pas facile de trouver une mesure quantitative de ce facteur. Mais l’on sait que les efforts d’éducation, de santé, de transport public, de police, de retraite, de soutien au monde associatif multiplient les opportunités de chaque individu à prendre des initiatives.

L’on gagne peut être une seule bataille désespérée avec des faméliques en condition de survie, l’on ne déploie pas une stratégie économique. La plupart des pays de l’Asie de l’Est – Corée et Japon en tête – maintiennent un coût de la vie assez élevé, corrélatif de structures publiques importantes. 

Selon la nouvelle mesure du FMI ils perdent ainsi en compétitivité, pourtant ce sont eux qui parviennent à défier les économies occidentales sur les secteurs de l’innovation. Même la Chine qui possède encore un niveau de vie assez faible du fait de son ancrage encore important dans un modèle social ancestral, s’engage sur un modèle d’infrastructures publiques qui le fera monter.

Voir par exemple l’investissement du gouvernement chinois dans le Maglev, l’une des premières lignes de train à sustentation magnétique au monde. La Russie ne s’engage pas non plus sur les nouveaux standards du FMI et résiste bien mieux que ne le fait l’Europe à l’hégémonie digitale des USA, en ayant développé Yandex, un moteur de recherche au moins aussi performant que Google et VKontakte, réseau social bien plus utilisé que Facebook en Russie.

Ces pays ont compris que des standards élevés d’éducation, de transport et de santé restaient des clés primordiales de la compétitivité d’un pays. Ils élèvent globalement le coût de la vie, mais permettent de garder l’initiative dans la course aux innovations.


Le discours néo-libéral se veut souvent à la pointe de la modernité. Se rend-il compte que son nouvel idéal famélique est le fait de mentalités arriérées et dépassées ? Les thuriféraires de la mondialisation heureuse n’ont généralement en tête qu’une baisse sans limite des coûts de production, masquant une idée aussi univoque et simpliste derrière des modèles prétendument savants. Ils en sont restés à des industries anciennes, dans lesquelles le coût marginal de production était la clef, débouchant vers des délocalisations de plus en plus sauvages, allant jusqu’à des violations de flagrantes de la légalité et de l’éthique, telles que le travail des enfants sur lequel ils ferment les yeux.

La plupart des nouveaux secteurs économiques basculent sur un modèle dans lequel les coûts marginaux de production et de distribution sont faibles, voire nuls. Même des industries lourdes telles que l’automobile changent leurs modes de production à tel point que les coûts se concentrent de plus en plus en amont, dans l’effort de conception. La guerre économique est ainsi de plus en plus une guerre de la connaissance.

Dans ces conditions, ce ne sont pas les pays dont le faible coût de la vie n’est qu’une incidence de la mauvaise qualité de vie qui tirent leur épingle du jeu. Mais ceux qui articulent intelligemment puissance publique et privée pour que la première serve de réserve de capacités à la seconde. Un famélique n’a « plus rien sous le pied ». 

L’art économique moderne consiste à équilibrer finement un triangle de contraintes contradictoires : puissance de la production instantanée, faibles coûts de structure, importantes capacités d’innovation permettant de changer de cap rapidement. Les néo-libéraux, parce qu’ils s’en remettent aux seuls ratios financiers, n’ont qu’une obsession de la baisse des coûts qui tient de la pathologie mortifère.



Un véritable indicateur corrigé du PIB intégrerait non seulement la PPA, mais un facteur important de capacité d’innovation. Les pays de l’Asie de l’Est ainsi que la Russie auraient déjà gagné de nouvelles places au classement avec ce mode de calcul. 

Mais il est dérangeant d’admettre qu’ils maintiennent un haut niveau d’infrastructures publiques : a contrario des charlataneries austéritaires du FMI, ils savent que soigner l’éducation, la bonne santé et la sécurité de leurs citoyens est le premier facteur d’opportunités économiques, en n’hésitant pas à rester dans des standards très élevés.

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