Le nouveau livre d’Alexandre Devecchio élucide deux impressions que nous
ressentons tous confusément : La France joue sa survie dans les années qui
viennent et sa jeunesse - tout en étant fracassée – en appelle au plus profond
de l’histoire et de la symbolique de notre pays, afin d’élever sa force à la
hauteur du péril qu’il encourt.
Ceux que nous pensions les plus écrasés et les plus désorientés, les vingt
printemps de la France de 2016, sont ceux qui trouvent ces ultimes ressources,
puisant leur force dans un passé millénaire que l’on a pourtant tout fait pour
leur arracher.
Saluons le talent de l’auteur en parcourant l’ouvrage : une plume
alerte mais puissante, permettant de ressentir et comprendre sans ambages la
gravité des dangers qui nous entourent, quand d’autres les minimisent par un
langage de gestionnaire.
La grande qualité du livre est de mener les deux en même temps, à un très
bon niveau. Les trajectoires sociales et psychologiques des apprentis
djihadistes, échec, incapacité à prendre les responsabilités sur soi, mélange
de jalousie, de fascination et de haine pour la réussite factice véhiculée par
l’occident, sont d’autant mieux décrites qu’elles prennent la saveur de
tranches de vie plus que de concepts abstraits.
Car Alexandre Devecchio possède visiblement la connaissance précieuse que
confère le vécu et l’expérience du terrain sur ces sujets. Notamment, la
nébuleuse des organisations islamistes, UOIF, CCIF, frères musulmans,
salafistes, jusqu’aux organisations djihadistes, s’assemble sous nos yeux comme
un tout cohérent.
Nous ressentons confusément que les caïds et bandes désoeuvrées de banlieue
alimentent régulièrement le terrorisme en troupes fraîches, qu’un nombre
toujours croissant de jeunes musulmans de France est saisi par un sentiment
d’appartenance à une Oumma bien plus puissante que la nationalité et dont ils
se sentent les soldats.
La description clinique du livre en révèle tous les mécanismes, assemblant
les divers organes de l’islamisme selon un rôle précis assigné à chacun. L’on
voit ainsi sous nos yeux comment les alambics de l’extrémisme musulman
communiquent entre eux et distillent les bataillons du terrorisme à partir d’un
néant culturel fait de complots à sensation et d’aigreurs recuites.
Les ravages de la mondialisation et de la société du spectacle portent une
lourde responsabilité dans cette nouvelle description des territoires perdus de
la république, sans qu’Alexandre Devecchio ne tombe dans le piège d’en faire
des excuses, seulement des causes implacables.
La seconde partie, celle de la « génération Zemmour », nous
plonge tout aussi profondément au sein de la jeunesse en quête d’identité. Un
tel sujet n’est traité habituellement que selon deux modes : soit celui
d’un procès en fascisme par la presse qui agit de la sorte contre tout ce qui
ne pense pas comme elle, soit celui du militantisme sans recul. Alexandre Devecchio
évite ces deux écueils, montrant combien la recherche d’identité est devenue légitime,
tout en relevant sa part de mythologie née du désespoir.
Contrairement aux habituels exposés à charge, le livre montre la complexité
des sentiments des chercheurs d’identité, allant parfois jusqu’à des clivages contrastés
entre leurs groupes. L’un des plus importants est le choix entre l’identité
portée par la nation à travers son récit historique et l’attachement proche de
l’amour charnel à ses spécificités, le terreau qui se trouve en deçà de la
construction nationale, de l’ordre du sentiment et de l’impression de calme et
d’art de vivre, ressenti lorsque l’on se réveille un matin dans un petit
village de la campagne française.
L’on ne peut accuser un tel sentiment de préparer au « repli sur
soi » et à la « haine de l’autre » comme cela s’entend trop
souvent, car le candidat Mitterrand y avait fait fortement appel sur sa fameuse
affiche. Alexandre Devecchio distingue ainsi le discours de défense de la
nation des jeunes attirés par le FN, de celui des jeunesses identitaires qui
s’étend vers des revendications régionalistes, pré-nationales. Il explique
ainsi très clairement le grand attrait dont bénéficie Marion Maréchal Le Pen,
celle-ci réussissant la difficile synthèse de cette controverse renouvelée
entre Jacobins et Girondins.
Alexandre Devecchio brosse un portrait approfondi de la jeune Marion,
évitant les simplismes et les anathèmes. A travers sa biographie fracturée tout
d’abord, puis dans la compréhension de ce qui lui confère un tel souffle. En la
voyant apparaître, l’on sait qu’il ne sera pas question que de politique, mais
de chevalerie, de valeurs, d’une voix qui semble provenir du fonds médiéval de
la France, qui a forgé son socle moral tout autant que son enthousiasme.
Il s’agit, une fois de plus, de réconcilier la fête de la Fédération avec
le sacre de Reims, de comprendre la différence entre des principes abstraits et
des valeurs, de savoir que l’on ne peut défendre un attachement à la France en
la coupant de sa genèse historique. Quel que soit le jugement que l’on porte
sur elle, Marion Maréchal Le Pen a su exprimer et incarner ce que porte la
mémoire d’un peuple, le renfort qu’elle apporte à l’homme et non à l’individu
post-moderne.
Certains pousseront des hauts cris à cette reconnaissance qui n’est
pourtant pas un accord, mais de telles indignations manquent de reconnaître la
complexité humaine. Sans quoi, des itinéraires de vie tels que ceux d’un Daniel
Cordier ou d’un Georges Bernanos n’auraient jamais été compris et appréciés. S’il
ne faut rien céder aux délires antisémites de l’Action française, ce mouvement
fut le creuset de personnalités d’exception lorsqu’elles en ont conservé
l’exigence morale mais délaissé la haine.
Nul ne sait si la jeune Marion suivra un jour un itinéraire semblable à
celui de l’ancien camelot du roi ou de l’auteur de « Mouchette ».
Mais c’est avec la même finesse humaine qu’il faut aujourd’hui comprendre le
cri des jeunes identitaires.
Ceux qui les condamnent unilatéralement sans tenter de discerner ce qu’ils
portent en eux de légitime ignorent que c’est une partie d’eux-mêmes qu’ils
sacrifient, se pensant libres mais inconsciemment dociles aux injonctions du
dieu-marché. C’est à cette finesse humaine que la seconde partie de l’ouvrage
d’Alexandre Devecchio nous invite.
La troisième partie s’attèle à un exercice plus difficile, la jeune
génération qu’il s’agit de décrire présentant des angles moins directement
visibles. Les deux précédentes étaient qualifiées de « génération
Dieudonné » et « génération Zemmour », deux porte-étendards
annonçant clairement vers quoi tendent leurs engagements. Alexandre Devecchio
choisit de désigner son troisième groupe sous l’appellation de
« génération Michéa ». Mais c’est pour brosser alors le portrait
d’une jeunesse catholique assez fortement conservatrice, dont on discerne
difficilement le rapport avec le philosophe socialiste de Montpellier ou ses
ascendants orwelliens, également socialistes à l’origine.
Ce troisième groupe est l’univers du lycée Stanislas, du quartier Notre-Dame-des-Champs
- ce Saint-Germain-des-Prés catholique - et de la bourgeoisie provinciale
chrétienne. Un mouvement en incarne l’esprit et la recherche : celui des
Veilleurs, provocation du silence, de la sobriété et de la prière, subversion
suprême à l’encontre du clinquant contemporain. Difficile d’entrevoir comment
ce groupe centré sur les valeurs familiales et la spiritualité chrétienne
aurait un quelconque rapport avec le fameux critique socialiste du
post-modernisme.
Bien sûr, le trait d’union qui vient à l’esprit est la charge contre le
matérialisme et le consumérisme. Et plus encore au-delà de ces symptômes
immédiats, de la déshumanisation, de l’éviction de toute empathie et de tout sentiment
authentique, ancrages forts de la pensée socialiste d’Orwell comme de celle des
Veilleurs. En arrière-plan, le discours social de l’Eglise né avec le Rerum Novarum de Léon XIII jusqu’au Centesimus annus de Jean-Paul II,
développé sans faillir par ses deux successeurs, fait apparaître une passerelle
évidente entre la critique chrétienne du post-modernisme et celle du philosophe
montpelliérain.
Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir choisi un « génération
Jean-Paul II », décrivant plus pleinement l’univers de ces jeunes
chrétiens conservateurs, plutôt que la référence à Jean-Claude Michéa ?
Alexandre Devecchio est séduit - tout en étant parfaitement lucide sur son
caractère illusoire - par une idée qui aurait été magnifique si elle avait recouvert
quelque réalité. Nombre d’observateurs, politologues ou blogueurs d’influence
ont été tentés par un rapprochement entre les « Nuits debout » et les
« Veilleurs ». Ceux qui penchent vers une spiritualité chrétienne étaient
évidemment attirés par le thème évangélique de l’absence de sommeil commune aux
deux mouvements, de la vigilance constante pour le retour de l’Elu, qui
viendrait au moment où l’on s’y attend le moins.
L’on sait ce qu’il en advint, et Alexandre Devecchio le relate dans les
termes les plus durs, parfaitement justifiés. Venus avec une intention de
dialogue, les « Veilleurs » furent chassés, pourchassés et attaqués
physiquement par des bandes issues de « Nuit debout ». Par ailleurs, Alain
Finkielkraut fit l’objet du même traitement, selon une agression clairement
antisémite de la part des « gardiens du progrès » auto-proclamés de
la place de la République. Une conjonction devenue très fréquente de racisme
anti-blanc, anti-français et antisémite dans les milieux d’extrême-gauche,
qu’Alexandre Devecchio mentionne déjà en détail dans sa première partie.
« Nuit debout » se vautra ainsi dans un mélange d’infantilisme
gauchiste et de violence radicalisée. Le péril n’est plus celui des
« rouge-bruns » que l’on craignait il y a une vingtaine d’années,
mais des « rouge-verts », de l’alliance du gauchisme militant avec
l’Islamisme radical, dont le PIR est la parfaite incarnation. Produisant un
ultra-racisme ethnocentré et communautariste, une dialectique victimisante et
larmoyante tenue en réalité par des prédateurs redoutables dans les techniques
d’infiltration et de noyautage, usant de tous les leviers de liberté de la
République pour mettre celle-ci à bas, les « rouge-verts » sont bel
et bien ceux qui prirent le contrôle de « Nuit debout ».
Ils se ramènent à la « génération Dieudonné », nullement à une
« génération Michéa », ce dont Alexandre Devecchio a parfaitement
conscience. La gauche de la gauche paiera un jour très cher ces engagements
nauséabonds. Il viendra un temps, pas si lointain, où le racisme et
l’antisémitisme de l’extrême gauche du XXIème siècle, du NPA et du PIR, seront
aussi célèbres et évidents que ceux de Brasillach et de Drumont. La gauche de
gouvernement le paiera également, par son extrême complaisance vis-à-vis de ces
derniers.
Le titre de « génération Michéa » semble donc provenir d’un
abandon à regret d’une très belle idée, la confluence de deux jeunesses réunies
malgré leurs différences autour du thème symbolique de la veille et de la
conscience, espoir fracassé sur la réalité de chaque mouvement. Il viendrait
d’une main tendue par un groupe envers l’autre, geste d’ouverture hélas à sens
unique.
Pourtant, ce rapprochement et ce titre peuvent trouver une fondation plus
ancrée dans le réel, à travers un dernier groupe de la génération fracturée
qu’Alexandre Devecchio ne mentionne que brièvement. C’est peut-être l’un des
rares oublis de l’ouvrage, par ailleurs excellent. L’alliance entre ce groupe
issu de la gauche et celui des jeunes chrétiens humanistes est non seulement
moins improbable qu’avec les « Nuit debout », mais justifierait cette
fois pleinement de prendre le philosophe montpelliérain en porte-étendard, sur
une assise commune et cette fois très réelle.
Une gauche républicaine et patriote a en effet émergé, poussée par une
libération de la parole similaire à celle du camp opposé. Alexandre Devecchio
décrit très bien dans sa seconde partie comment les thèmes du patriotisme ont
été revivifiés par une jeune droite decomplexée, faisant fi des tabous imposés
par ses aînés de la gauche libertaire alliée à la droite libérale, qui
assimilaient tout amour de la France à du pré-fascisme, pour des motifs
purement opportunistes. L’irruption des jeunes patriotes au milieu du temple de
la bien-pensance qu’est l’école des sciences politiques est l’un des passages
les plus jubilatoires du livre.
Fort heureusement, une partie encore minoritaire mais active de la gauche a
également jeté sa gourme, et bravant les fatwas BHLiennes et excommunications
Joffriniennes, a osé proclamer être de gauche et aimer la France.
Cette gauche républicaine, héritière du chevènementisme, s’exprimant dans
« Marianne » comme principal organe de presse, partage de nombreuses
valeurs communes avec les jeunes chrétiens humanistes. Son attachement à la
laïcité ne serait nullement une barrière entre eux : tout chrétien éclairé
appelle la laïcité de ses vœux, si elle n’est pas confondue avec
l’anticléricalisme. Le dessaisissement du pouvoir temporel garantit la
sincérité de la foi, et de la parole du Christ sur la monnaie romaine jusqu’à à
la référence gaullienne, l’on peut sans contradiction être attaché farouchement
à la laïcité républicaine comme aux racines chrétiennes de la France.
La gauche républicaine a ses maîtres, dont les références confirment la
possibilité d’une alliance avec la jeunesse chrétienne. Ainsi d’un Jacques
Julliard, en appelant fréquemment aux mânes de Lamartine, d’Hugo, de Péguy, de
Jaurès, Clémenceau ou Marc Bloch. Le patriotisme y est affirmé clairement et
sans complexe. Le socialisme est rendu indissociable d’une certaine idée de
l’homme et de sa conscience. Cet appel aux forces de l’esprit peut être
d’inspiration chrétienne ou laïque, comme en témoignent un Péguy ou un Jaurès,
ce dernier ayant toujours refusé l’assignation entièrement matérialiste de
l’homme par Marx.
Bien entendu, ces deux groupes de la nouvelle génération trouveraient une
forte assise commune dans la critique du néo-libéralisme, pas seulement dans sa
thématique mais dans les angles permettant de l’attaquer. Nos démocraties
libérales ont prétendu magnifier l’individu dans toutes ses potentialités, en
contrepartie de l’abandon des attachements anciens à la nation et à ses
valeurs, définies dorénavant par leur seule valeur sur le marché. Or même sur
ce plan, il n’y a guère d’époque ou l’individu ait été à ce point dissout dans
des jeux de structures, au point d’y perdre la liberté et la conscience,
signant l’échec complet du post-modernisme.
Péguy et Bernanos, ces deux vigies qui nous ont très tôt alertés sur les
menaces mortelles de l’époque moderne contre toute forme d’humanité et de vie
intérieure, sont les pères spirituels de Michéa. La place de la République,
nettoyée et débarrassée de ses faussaires pour revenir à sa symbolique
d’origine, pourrait alors tendre à son tour la main à Notre-Dame-des-Champs.
L’alliance de la jeune gauche républicaine avec les jeunes chrétiens
conservateurs constituerait une force politique redoutable, faite d’esprits
aussi structurés et intelligents que déterminés. Ils ont également tout le
discernement nécessaire pour cultiver leurs valeurs et leur patriotisme sans
tomber dans les pièges des excès identitaires, renvoyant dos-à-dos leurs
versions de gauche comme de droite, le communautarisme ethnique comme le
nationalisme agressif.
Pourquoi Alexandre Devecchio a-t-il davantage insisté sur le rêve qu’il
sait illusoire de la jonction des deux mouvements de veille pour justifier de
l’appellation « Michéa », que sur la convergence de plus en plus
profonde entre gauche républicaine et chrétiens traditionnels ? Peut-être parce
qu’il est déjà l’un des centres de gravité de cette réunion : le triangle
formé par le « Figaro Vox », « Marianne » et
« Causeur » matérialise déjà cette alliance sur le plan
journalistique, par des invitations croisées d’un camp à l’autre, et
fréquemment des signatures que l’on retrouve dans les trois journaux. Si cette
convergence éditoriale débouchait sur une force politique, nul doute qu’elle
serait à la tête de la reconstruction de la France.
La dernière partie des « Nouveaux enfants du siècle » ouvre sur
ces perspectives. Tâche qui semble très ardue, car la France a davantage besoin
d’une renaissance que d’une restauration. Elle ne peut se contenter de rétablir
l’ordre ancien, il faut faire revivre des valeurs historiques dans un contexte
qui ne sous-estime pas la considérable puissance de l’économie de marché.
Aussi, la refondation devra-t-elle peut-être retourner la puissance du
néo-libéralisme contre lui-même.
Paradoxalement, et c’est ce qui fait la force des « Nouveaux enfants
du siècle », la génération fracassée est celle qui trouve les ressources
les plus profondes du changement. Léonard Cohen, qui vient de rejoindre les
forces de l’esprit, ne nous a-t-il pas enseigné que ce sont nos failles qui
laissent rentrer en nous la lumière ? Pour renaître, il faut d’abord se
reconstruire, c’est le message que nous adresse cette génération fracturée, que
trop de leur aînés n’ont pas eu le courage de transmettre :
Respectez-vous
vous-mêmes, respectez la France.
S'il a raison, comment continuer ? ou juste commencer ? Je suis certain d'être aussi un novateur, un premier. Et c'est vrai que la question que je me pose souvent c'est " est-ce que je vais accepter de me faire traiter de tous les noms ?" alors que je suis tranquille, dans mon petit monde, avec mes petits soucis et mes petites joies ? Pourquoi abandonner mon monde de tranquillité afin d'essayer sans aucune garantie de réussite, de changer le monde ?
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