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lundi 16 septembre 2019

RECOMPOSITION – LE POPULISME COMME NOUVELLE FORCE POLITIQUE





« Recomposition », le dernier ouvrage d’Alexandre Devecchio publié depuis le 5 Septembre, aborde un sujet constamment scruté et commenté dans les média : l’émergence des populismes dans le monde politique.

Il peut paraître difficile d’écrire et publier un ouvrage sur ce thème, qui occupe déjà fréquemment les colonnes journalistiques et alimente nombre de politologues, philosophes ou sociologues : l’essentiel n’a-t-il pas déjà été dit ?

L’originalité – et le grand intérêt de « Recomposition » - est de montrer que non, justement, la plupart des analystes sont passés à côté de l’essentiel.

Nul sujet n’a été récemment plus analysé que l’émergence des populismes, mais étrangement beaucoup tournent autour plutôt que de le traiter. Nombre d’articles sont des critiques acerbes du populisme, des alertes à la démocratie en péril, des dénonciations d’une loi de la rue menaçant nos institutions, voire d’attaques personnelles sur le style de telle ou telle personnalité. Mais très peu prennent la peine de qualifier au préalable ce qu’est le populisme, ni de tenter de comprendre les raisons de son émergence.

Comme trop souvent, les media mainstream cèdent à l’émotion avant l’analyse, au jugement de valeur avant la description factuelle, à la posture avant la compréhension des causes et des effets. Une attitude d’autant plus cocasse qu’ils s’intronisent trop souvent comme l’élite de la réflexion, reprochant aux populismes de privilégier l’instinct et le ressentiment.

Fidèle à la méthode qu’il employait déjà dans « Les nouveaux enfants du siècle », Alexandre Devecchio décrit longuement - en suspendant son jugement - le phénomène populiste avant d’y voir une menace ou un bienfait. S’il livre quelques verdicts à la fin de son livre, cette humilité devant les faits lui permet de délivrer l’un des rares diagnostics nuancés concernant cette nouvelle vague politique. Le populisme requiert de voir au-delà des apparences, de comprendre que derrière des personnalités au comportement et au style controversés, des questions bien plus authentiques sont posées par leurs électeurs.



De la singularité historique au nouveau courant politique

Le livre ouvre sur l’émergence des gilets jaunes, afin d’illustrer une première caractéristique du populisme : aucun membre de l’élite globalisée ne l’a vu venir. Le populisme est apparu comme une singularité historique, un point de rebroussement aberrant planté au milieu de la marche de l’histoire, qui devait être nécessairement mondialisée, détachée des nations et de la mémoire des peuples au point de les faire disparaître.

Aux états-nations devait se substituer un ordre bâti sur deux piliers : un droit universel prévalant sur les gouvernements nationaux, un consumérisme généralisé qui devait apporter prospérité et entente entre les hommes par l’effet pacificateur du commerce. Dans cette vision, le marché devient la norme se substituant à toute valeur et toute morale : toute philosophie politique ou éthique devient une vieillerie à jeter aux orties, remplacée par les deux idéaux absolus que sont la « Théorie de la Justice » de John Rawls et la main invisible d’Adam Smith.

Alexandre Devecchio rappelle que cette vision messianique a des pères fondateurs : Francis Fukuyama qui voyait dans les démocraties libérales mondialisées la fin de l’histoire, un horizon indépassable cinquante ans après que Sartre eût dit la même chose du marxisme, et plus antérieurement Emmanuel Kant et son rêve de paix perpétuelle et cosmopolite.

Aucun des thuriféraires de la mondialisation heureuse ne remarqua une chose, bien avant l’émergence des populismes. Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, l’un des penseurs contemporains considérés comme le continuateur le plus profond du libéralisme politique, Karl Popper, avait forgé un indicateur certain de détection de tout totalitarisme : quiconque s’arroge le sens de l’histoire et a fortiori sa fin, s’engage de façon certaine sur le chemin de la servitude.

Fukuyama lui-même le reconnaissait, sa vision philosophique s’enracinait dans un déterminisme historique hegelien, tout comme le marxisme. Ce qu’aucun penseur mondialiste n’a aperçu, c’est que leur vision étant totalisante, elle devient de fait totalitaire. Les hérauts des visions grandioses de l’histoire, des lendemains qui chantent et des fins inéluctables sont voués à être tôt ou tard les instruments de l’oppression, quelles que soient les bonnes intentions du paradis qu’ils promettent, celui de la fraternité marxiste comme celui du grand marché globalisé.

Les mondialistes chutent de fait sur leur point de faiblesse : ils sont représentés par des esprits aussi brillants qu’ils sont superficiels. Leur absence de culture historique et philosophique leur fait ignorer que nombre de penseurs du libéralisme dont ils se réclament auraient fermement condamné leur prétention à la vérité absolue et aux « cercles de la raison ».

Ce que le livre d’Alexandre Devecchio décrit très bien, est que le populisme est une réaction à cette chape de plomb et devient de ce fait une manifestation de liberté et d’indépendance. Ceux qui voient dans le populisme une menace pour nos démocraties et s’auto-intronisent hérauts de la liberté n’ont pas conscience de leurs propres violations flagrantes des libertés publiques. Si l’on fait l’effort de regarder au-delà du miroir, les populistes présentés souvent par la presse mainstream comme des dictateurs en puissance sont plutôt la manifestation – certes désordonnée et chaotique – d’une liberté qui ne veut pas passer sous le joug mondialiste.

Devecchio n’est pas manichéen dans sa défense : il n’ignore rien des dérapages possibles du populisme : légiférer en temps réel par la démocratie directe, instaurer un autoritarisme d’état affaiblissant l’indépendance des pouvoirs, essentialiser des minorités ethniques ou religieuses pour les opprimer sans distinction.

Mais force est de constater que les leaders populistes ne peuvent être confondus avec les dirigeants des « démocratures » : les premiers ont pu choquer par leur style mais n’ont remis en cause ni l’alternance électorale ni les fondamentaux des libertés civiques et de la liberté de conscience, que les seconds piétinent allègrement. Salvini n’est pas Xi Jinping, Orban n’est pas Erdogan.

Bien évidemment, les adversaires des populistes entretiennent savamment cette confusion, pratiquant un grossier amalgame qu’ils reprochent si souvent aux discours autres que le leur. Comme le souligne Devecchio, il est extrêmement dangereux de mettre dans le même sac populistes et dictateurs affirmés. En jetant ainsi le bébé avec l’eau du bain, la part de vérité que renferme l’alerte populiste sera forcée au silence, provoquant une contre-réaction beaucoup plus dangereuse et cette fois réellement dictatoriale.

Par ailleurs, il faut constater que les défenseurs auto-proclamés de la société ouverte n’ont en rien échappé à la tentation autoritaire, ni à la collusion des pouvoirs, ni à la violation flagrante de la démocratie. Dans ce domaine, il est même possible de montrer qu’ils ont fait bien pire que les populistes, particulièrement en France. Ainsi, Alexandre Devecchio rappelle quelques faits : La répression d’une violence sans précédent des gilets jaunes – quoi que l’on pense de la légitimité de ce mouvement - l’incroyable soumission du parquet en matière judiciaire vis-à-vis de l’exécutif, les tentatives grossières et maladroites de contrôle du contenu des réseaux sociaux voire de la liberté de la presse, le non-respect d’un vote démocratique tel que celui de 2005 sur la constitution européenne, ont été commis par des gouvernements se voulant les adversaires des dérives populistes.


Le populisme : une notion vague... à définir pour éviter les contresens

Alexandre Devecchio propose une définition du populisme : travail difficile car le mouvement prend de multiples formes, mais indispensable si l’on souhaite discerner ce qui est à prendre d’eux et ce qui nécessite des réserves.

Renouant avec notre héritage civique grec et romain, il rappelle que le peuple peut être considéré comme demos (communauté civique), ethnos (communauté ethnique et culturelle) et plebs, ceux qui par opposition aux patriciens constituent ce que nous appelons de nos jours les classes modestes ou populaires.

Le populisme en appelle à ces trois dimensions de ce qui constitue un peuple, synthétisant la notion républicaine de citoyen, l’héritage identitaire, nullement réduit à une appartenance ethnique mais désignant la transmission d’une histoire et de valeurs communes auxquelles adhérer, sociale enfin, rappelant que le rôle et la dignité d’un gouvernant est de ne pas sacrifier des pans entiers de la population dont il a la charge.

Ironiquement, cette interdiction de sacrifier une minorité pour un soi-disant bien commun fait partie de la définition de la civilisation par John Rawls. Les mondialistes ont appliqué de façon plus ou moins consciente une raison d’état, c’est-à-dire l’acte de détruire partiellement ou totalement des innocents au nom d’intérêts jugés supérieurs, afin de préserver un ordre estimé indispensable. Peu importe qu’il ne s’agisse plus avec le mondialisme d’une raison d’état-nation, mais d’instances supra-nationales : la mécanique du sacrifice des innocents au nom d’intérêts supérieurs est identique.

Alexandre Devecchio montre ainsi comment Steve Bannon, dans une interview très émouvante, a vu son père – de milieu modeste - perdre des économies durement gagnées au long d’une vie de droiture et de respect des règles après la crise de 2008, tandis qu’institutions bancaires et élites mondialisées s’indemnisaient grassement, rayant froidement l’épargne des plus démunis.

John Rawls souligne que tout appel à une raison d’état fait reculer la civilisation de plusieurs millénaires, la ramenant à l’antique culte de Moloch consistant en des sacrifices d’enfants, avant son interdiction formulée dans le Pentateuque [1] (Lévitique 20.1 – 20.5).

Lorsque des populations entières deviennent de simples variables d’ajustement de règles comptables, qui plus est pour réparer des fautes qu’ils n’ont en rien commises mais pour renflouer ceux qui s’en sont rendus coupables, le culte de Moloch renaît au sein du monde moderne, irruption de la barbarie la plus brutale au sein de ceux qui prétendent être les gardiens de la civilisation.

Rawls rejoint ici Popper, qui avait déjà dénoncé les sacrifices humains commis par les soviétiques au nom des intérêts supérieurs du parti. De nos jours, ces intérêts supérieurs sont ceux d’un capitalisme financier qui joue à l’encontre d’une majorité croissante de citoyens de tous pays, également contre l’initiative et la création de richesse des entrepreneurs qu’il est censé financer.

Je ne m’attarderai pas sur l’analyse économique prouvant que l’économie financière fonctionne depuis maintenant deux décennies en circuit totalement fermé, ne remplissant plus son rôle de support d’investissement des entrepreneurs et menaçant l’économie réelle [2].

Alexandre Devecchio note que les populistes sont quant à eux pragmatiques en matière économique, appliquant tantôt des recettes de tonalité libérale par la réduction des déficits publics, tantôt des mesures protectionnistes ou de relance par de grands programmes publics. Quelle que soit leur doctrine économique, ils ont pour point commun de refuser toute intervention de la Troïka, ce bras armé de la mondialisation composé de la Commission Européenne, de la BCE et du FMI.

Force est de constater que tous les pays s’étant pliés aux directives de la Troïka se sont enfermés dans un cercle vicieux d’austérité – récession, tandis que ceux qui sont revenus à un souverainisme économique ont pu retrouver le chemin de la croissance et d’une réduction des déficits évitant de jeter la moitié de sa population dans la précarité.


Le populisme de gauche : entre le Charybde de la trahison et le Scylla de l’indigénisme :

Alexandre Devecchio consacre un chapitre au populisme de gauche : si la plupart des populistes sont placés à droite de l’échiquier politique, la thématique d’un retour aux réalités du peuple contre des élites déconnectées et ignorantes, la redécouverte du patriotisme, la protection contre des influences supra-nationales, se retrouvent dans les discours de Podemos en Espagne, Syriza en Grèce, Jean-Luc Mélenchon en France, ainsi que dans plusieurs pays d’Amérique latine.

Le responsable du Figaro Vox traite de ce sujet sur le ton de l’humour et de l’ironie, saillies qui se révèlent amplement méritées.

Le populisme de gauche a pour l’instant toujours échoué, fracassé sur deux écueils opposés, véritables Charybde et Scylla empêchant son émergence. 

Soit il trahit son objectif d’origine, comme le firent Podemos et surtout Syriza, et se rallient dans ce cas au discours mondialiste d’autant plus violemment qu’ils s’y sont opposés, allant jusqu’à l’excès de zèle caractérisé.

Soit il s’enferre dans une autre impasse, celle du discours indigéniste et communautariste, abusant d’une victimisation de certaines minorités qui dégénère en racisme inversé, tout ce qui est blanc, occidental et traditionnel devenant l’ennemi à abattre. C’est la mésaventure que vit aujourd’hui la France Insoumise, déchirée entre son aile républicaine maintenant minoritaire et des activistes indigénistes qui ont préempté le mouvement.

Une telle récupération fait des populismes de gauche l’allié des islamistes, tenant un discours plaintif en superficie, menant une stratégie d’infiltration et de noyautage de toutes les institutions républicaines avec une très inquiétante efficacité.

Alexandre Devecchio est d’autant plus à l’aise pour dénoncer cette supercherie que son précédent livre démonte très bien les mécanismes pervers des institutions censées représenter les musulmans de France, presque toutes récupérées par la mouvance Frériste.

Ceux qui dénoncent de tels agissements avec le plus de lucidité sont souvent d’ardents républicains issus de l’immigration nord-africaine, ayant vu les dégâts commis par le FIS en Algérie et leur extrême habileté à s’emparer de tous les leviers gouvernementaux. Boulem Sansal ou Fatiha Boudjahlat sont deux personnalités emblématiques de cette réaction républicaine, pointant avec beaucoup de justesse notre naïveté et notre manque de fermeté vis-à-vis d’une évidente stratégie de conquête du pouvoir par les Frères Musulmans en France.

Faute d’écouter ces alertes, beaucoup de populistes de gauche laissent leur mouvement se faire phagocyter par les indigénistes, mélangeant allègrement les défenses antinomiques de toutes les minorités, par exemple l’activisme féministe et gay avec le communautarisme musulman. Impossible de leur faire remarquer que l’espérance de vie d’une féministe ou d’un homosexuel dans un pays dominé par des indigénistes musulmans serait de quelques jours, la gauche communautariste n’en est pas à une contradiction près.

Cette double impasse semble d’autant plus étonnante qu’une aile gauche du populisme pourrait très bien se frayer un large espace politique, si elle se montrait intraitable sur la défense des principes républicains. La tentative de Jean-Pierre Chevènement avec le Mouvement des Citoyens ou sa continuation spirituelle par un Arnaud Montebourg indique un chemin beaucoup plus prometteur, souverainiste et républicain, mais demeure curieusement en déshérence.

Alexandre Devecchio dresse un constat sévère des tentatives de populisme de gauche, volée de bois vert méritée pour ceux qui n’ont rien su produire d’autre qu’un reniement au carré ou une démagogie communautariste faite d’un mélange de lâcheté et de clientélisme.


De la Tea-Party à l’indépendance Américaine : un pied-de-nez aux mondialistes quant au fer de lance de la société ouverte

Dans le chapitre suivant, l’anecdote déjà mentionnée concernant Steve Bannon et l’histoire de son père s’inscrit dans un mouvement politique américain de grande ampleur : le phénomène du « Tea Party », avant-garde d’une droite populaire aux Etats-Unis qui préparait l’avènement de Trump.

Alexandre Devecchio rappelle l’origine historique du mouvement, inscrite dans son nom lui-même. La « Boston Tea Party » était une révolte menée par des négociants en thé Bostoniens en 1773 contre le Parlement Britannique, soit trois ans avant la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique.

La protestation est née des taxations abusives sur le thé décidées par l’Angleterre contre ce qui n’était pour elle qu’un agglomérat de 13 colonies. Tandis que le thé américain était lourdement imposé, celui de la compagnie des Indes ne subissait aucun impôt. Les négociants bostoniens menèrent une révolte consistant à jeter par-dessus bord la cargaison de trois navires anglais de la compagnie des Indes.

Affirmation d’une indépendance naissante, colère populaire allant jusqu’à l’action musclée, protestation contre un pouvoir lointain et ignorant de leur vie locale, déclenchement par un impôt abusif : la Boston Tea Party a plus d’un point commun avec la révolte des gilets jaunes.

Certains crurent d’ailleurs que le mouvement français pouvait être le démarrage d’un mouvement à la fois libéral, populiste et conservateur, car provenant d’un abus fiscal évident. Mais nous sommes en France, et les gilets jaunes furent rapidement récupérés par des mouvances très à gauche, réclamant des subventions plus qu’une baisse généralisée des taxes.

Aux Etats-Unis, cette aile droite du parti Républicain gagna en influence et en résultats électoraux, culminant avec des personnalités telles que Sarah Palin, dont le style simple et gouailleur aurait dû alerter sur la possibilité d’une victoire de Trump quelques années plus tard.

Si l’actuel président des Etats-Unis n’est pas entièrement l’héritier du Tea Party - ce dernier incluant un fort puritanisme religieux cadrant mal avec les frasques extra-conjugales de Trump - la demande d’un retour aux valeurs profondes de l’Amérique et la proximité avec les classes modestes préfiguraient déjà l’impensable victoire.

Tous ceux qui veulent prendre la peine de comprendre le mouvement populiste dans tous les points du globe doivent se rappeler que sa matrice historique est la révolte d’hommes réclamant leur indépendance et l’affranchissement d’un pouvoir perçu comme éloigné et arbitraire.

Il faut se souvenir que ce mouvement est la mèche qui allumera trois ans plus tard la naissance des Etats-Unis d’Amérique, considérés longtemps comme le fer de lance de la société ouverte par les mondialistes : un joli pied-de-nez historique rappelé par Alexandre Devecchio, montrant que la défense des libertés doit se garder de tout manichéisme.


Populisme 2.0 : comment les modernes se sont retrouvés archaïques

Le populisme s’appuie également sur la désintermédiation, note Devecchio. Tous ont pu vaincre électoralement en rompant avec les relais politiques traditionnels et avec les corps intermédiaires : syndicats, pouvoirs politiques locaux, media officiels. Ils sont devenus pour cette raison maîtres de la digitalisation, de l’emploi massif des réseaux sociaux et de leur forme de démocratie directe.

Là encore, l’histoire réelle se venge de ceux qui ont cru forcer sa direction : les outils considérés comme emblématiques de la mondialisation et du progressisme sont devenus le meilleur terrain de ceux qui les contestent. Au point que les réseaux sociaux qui faisaient partie au départ du tableau lénifiant et kitsch de la mondialisation heureuse sont maintenant inclus dans la diabolisation du populisme.

Les réseaux sociaux ont à ce titre joué le rôle de révélateur des véritables intentions des mondialistes : ces derniers sont visiblement beaucoup plus attachés à établir un monopole absolu de droit à penser et à publier qu’à défendre une véritable pluralité d’opinions.

La désintermédiation se révèle être une tendance lourde du monde politique futur, que cela nous plaise ou non. Devecchio fait remarquer qu’Emmanuel Macron comme Barack Obama y ont tout autant fait appel que les populistes, captant la popularité d’un affranchissement des circuits politiques officiels. LREM a beaucoup insisté lors de sa campagne sur sa nature « anti-système », revendiquée tout autant que le font les populistes.

L’émergence des réseaux sociaux dans le débat politique est riche d’enseignement sur la nature du mondialisme. La « modernité » du mondialisme peut être comparée à celle que les hyper-marchés présentaient dans les années 1970 : à cette époque, les immenses surfaces commerciales donnant dans le gigantisme représentaient le parangon de la modernité, les petits commerces étant l’archaïsme voué à disparaître. Les hyper-marchés étaient une sorte de concrétisation du rêve mondialiste : temples du consumérisme, l’on y trouvait de tout, l’accès en était totalement fluide, cumulaient les produits de toutes origines. L’ère de la consommation de masse devait s’imposer invinciblement comme les rêves de Francis Fukuyama.

Mais rapidement, une demande de commerces de proximité, de relations fondées sur la réputation et la connaissance locale, d’échanges incluant un sentiment d’appartenance, revinrent en force. Aujourd’hui, rien de plus ringard que les hyper-surfaces commerciales. L’ancienne culture des commerces cultivant une forte identité locale redevient la tendance future.

La mondialisation ressemble aux hyper-marchés de masse : impeccables dans leur principe de fonctionnement, mais froids, indifférenciés, de taille inhumaine : l’hyper-globalisation mène aussi à la standardisation de masse, à un monde où rien de saillant n’émerge. L’émergence des populismes est comparable à la revanche des commerces locaux de forte identité qui relèguent les hyper-marchés dans l’archaïsme.

La résonance entre populisme et outils du web s’explique très bien de cette façon. Un contresens fait de l’internet un média de masse, comme le furent la radio, la télé ou les journaux à grands tirages. Or le web est précisément l’inverse d’un média de masse : il est plutôt la réalisation de la culture des fanzines, ces publications locales de la contre-culture des années 1970, qui restaient confidentielles, car de tirage artisanal.

Réalisant le rêve des fanzines, les moyens modernes permettent à un simple particulier de disposer de moyens éditoriaux et de diffusion aussi puissants que ceux de la grande presse. Les blogueurs d’influence peuvent bénéficier d’une audience comparable voire supérieure à celle des journaux nationaux. Le web propose une information totalement individualisée et personnalisée, à la carte, que chacun se compose, c’est-à-dire l’inverse exact d’une information de masse diffusée similairement à des millions de personnes en même temps.

Le succès du populisme sur le Web ne réside que marginalement dans les usages pervertis qui en sont faits, mais beaucoup plus dans une affirmation de fierté et d’indépendance permettant la pluralité, a contrario de la standardisation obligatoire de l’information voulue par le mondialisme.


Simplistes ? Démagogues ? Irresponsables ? : de qui parle-t-on ?

Je vais maintenant aborder les cinq derniers chapitres de « Recomposition » non en les examinant un par un, mais en développant un fil directeur qui paraît les relier. Il ne s’agit pas d’expédier rapidement cette partie : elle est au contraire essentielle. Si elle fait l’objet d’un traitement montrant la cohérence des ces chapitres entre eux, c’est parce qu’elle semble marquer une césure dans l’ouvrage, la phase observationnelle cédant le pas au diagnostic et au jugement.

Les thématiques des « premiers de cordée » et du mépris afférent, de la vague migratoire en Europe, des « démocraties illibérales » formulées par Victor Orban, du possible démantèlement de l’UE et enfin de la tentative de renouer le lien brisé entre le peuple et les élites me semblent avoir un point commun : celui d’un retour en boomerang du comportement des élites mondialisées, expliquant le phénomène populiste.

Une symbiose existe entre les deux camps, beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît. L’un n’existe que par l’autre, et les reproches faits aux populismes se retrouvent des années auparavant et bien plus puissamment chez les mondialistes, qui se trouvent sans s’en rendre compte en train de condamner des défauts qu’ils portent en eux-mêmes bien plus fortement.

Alexandre Devecchio a parfaitement vu ces étranges effets de miroir.

Trump est-il l’inverse de Macron ou est-il son portrait de Dorian Gray, l’inconscient refoulé du soft power, qui n’assume pas ses propres démons intérieurs ? Ceci expliquerait la fascination réciproque qui semble établie entre les présidents Français et Américains.

Lors de l’étalage des frasques extra-conjugales de Donald Trump pendant sa campagne contre Hillary Clinton, au plus bas des sondages, le leader républicain finit par avouer : « Je ne suis pas un ange ». Rétrospectivement, cette sincérité le fait passer pour un collégien turbulent et un bad boy amateur, attirant presque la sympathie, face à des adversaires ayant fait dix fois pire mais se drapant dans un impeccable costume de respectabilité.

Le populisme apparaît non pas seulement comme une révolte contre les élites, mais également comme le retour à l’envoyeur mondialiste de ses propres pratiques.

Je formulerai à cette occasion une critique sur « Recomposition », qui n’obère en rien la grande qualité de son analyse.

Dans sa tentative finale de réconciliation, Alexandre Devecchio peut paraître encore trop gentil avec les « élites » ayant mené à l’effondrement de la démocratie qui nous menace, qu’ils dénoncent mais dont ils sont les principaux responsables.

C’est un simple bémol, car ceci Alexandre Devecchio l’a parfaitement vu et ne ménage nullement les mondialistes et européistes dans leur part écrasante de responsabilité.

Ma seule divergence vient du fait que je suis plus pessimiste : nous avons franchi un point de non-retour : les « élites » mondialisées sont irrécupérables dans leur aveuglement, leur arrogance et leur narcissisme. Elles ne pourront jamais admettre leurs torts : il leur faudrait pour cela des qualités dont elles ont montré la totale absence depuis des décennies.

L’intention d’Alexandre Devecchio est évidemment louable de tenter de recoller les morceaux et de sauver ce qui est sauvable : un chaos total ne laisse aucune garantie de récupérer nos libertés civiques à la sortie.

Mais je pense qu’il faut souligner que la montée des populismes a été précédée d’un autre phénomène d’égale ampleur : l’abaissement des « élites » décisionnaires à un niveau de médiocrité, de bassesse intellectuelle et morale rarement atteint dans l’histoire.

Si ce jugement paraît exagéré à certains, l’excellent blog de Maxime Tandonnet en tient une chronique d’une merveilleuse pertinence et impertinence[3].

Alexandre Devecchio est conscient de ce point et ne ménage pas ses attaques. Notamment dans le chapitre consacré aux similarités avec les années 1930 brandies par « l’élite », il leur renvoie le compliment : Si similarité il y a, elle est entre eux-mêmes et les dirigeants de la débandade de Munich 1936, face à une violence des nazislamistes factuellement beaucoup plus inquiétante que celle de quelques débordements populistes. Les européistes devraient prendre garde à ne pas abuser de la comparaison avec l’entre-deux guerres : l’on s’apercevra qu’elle est très pertinente mais pas dans le sens qu’ils souhaitent, le principal point de rapprochement étant leur veulerie munichoise, ainsi que des pratiques d’impunité totale contre une corruption croissante, comme l’actualité immédiate le démontre.

Il faudrait expliquer comment des stratégies vulgaires de jeu sur les apparences, de démagogie, de bassesses tactiques sont devenues le plus sûr chemin et presque le seul pour atteindre les niveaux les plus élevés de la décision politique. Le philosophe Alain Deneault en livre quelques clés dans son excellent ouvrage « La Médiocratie » [4]. Le populisme apparaît comme une réaction de survie contre des « élites » qui ne méritent plus leur titre.

Je pense donc que la sortie de crise proviendra d’un retour à une élite digne de ce nom aux commandes, non d’une main tendue à celle qui en usurpe tous les attributs et qui ne peut plus être réformée.

Cela ne retire rien à la finesse d’analyse de « Recomposition » sur les chapitres qui vont être commentés. Si j’en ai un peu remanié l’ordre de présentation, ces points sont analysés en profondeur par Alexandre Devecchio. Notre seule divergence porte sur le caractère définitif du départ de ceux qui doivent céder la place.

Ennemis mais miroir inverse l’un de l’autre, mondialistes et populistes luttent sur le jeu des apparences et sur leur rapport à l’exercice du pouvoir.

Passons à travers le miroir, et voyons comment Alexandre Devecchio nous révèle d’où proviennent les véritables dangers démagogiques. J’ai pris la liberté de rajouter quelques exemples illustratifs, qui complètent son propos.


Qui a tenu des discours simplistes ?

L’on reproche souvent aux populistes de tenir des discours simplificateurs pour s’adresser directement au peuple, de réduire des situations complexes à quelques mots d’ordre.

Mais dans le domaine de l’économie, territoire considéré comme une chasse gardée par les mondialistes, discipline nécessitant finesse et réflexion complexe, où se trouve le simplisme et où se trouve la profondeur ?

Lors d’opérations d’offshoring, il est tentant de bénéficier de coûts salariaux diminués de moitié voire plus, en délocalisant certaines activités dans des pays faiblement développés. De même, la directive Bolkestein a introduit la possibilité aux travailleurs détachés de travailler dans toute l’Europe, en conservant les coûts salariaux de leur pays d’origine.

La plupart des opérations d’offshoring ou d’usage des travailleurs détachés font l’objet de dossiers de décision complexes présentés par des consultants au costume et à la mine austère. En réalité, quel que soit l’apparat avec lequel on enrobe ces décisions, elles sont prises sur la base d’un raisonnement qui ne nécessite que quelques secondes de réflexion : une règle de trois sur les coûts salariaux. La première chose à savoir lorsque l’on fréquente les sphères décisionnelles de haut niveau, institutionnelles ou entrepreneuriales, est de ne pas se laisser bluffer par un décorum faisant croire qu’une réflexion élevée les guide. Ces milieux sont extrêmement entrainés à jouer la comédie de la complexité et la comédie du sérieux, bien plus que de faire preuve de ces qualités réelles.

Les décisions concernant l’offshoring ne dépassent généralement pas le premier stade d’une analyse véritablement profonde, à savoir connaître les qualifications exactes des personnes à qui l’on sous-traite, ce qu’il est possible de leur demander et ce qu’il faut toujours laisser en compétences internes à la maison-mère. Mais pour ceci, il faut dépasser une simple vue externe et rentrer dans le fonctionnement organique de l’entreprise, connaître les hommes, les métiers et le détail technique des moyens de production. Beaucoup de sphères décisionnelles, européistes, économiques ou gouvernementales, semblent ne surtout pas vouloir rentrer dans ces niveaux, tiennent à les contrôler à distance par des indicateurs chiffrés, comme si la réalité organique leur faisait peur.

Il est vrai que lorsque l’on analyse au-delà des ratios salariaux, l’on s’aperçoit que des professionnels d’élite existent effectivement en Inde, en Roumanie ou ailleurs, … mais qu’il n’y a pas de miracle, la compétence se paie. Particulièrement dans le domaine du numérique, les très bons ingénieurs indiens ou roumains sont parfaitement au courant des grilles salariales pratiquées dans nos pays, et ont tôt fait d’aligner leurs exigences sur celles-ci. D’autant que le coût de la vie dans les enclaves technologiques créées dans ces pays rejoint le nôtre : la Silicon Valley indienne de Bangalore offre tout le confort moderne de pays développés, ce qui a nécessairement un coût.

Les décisions d’offshoring ou de travailleurs détachés ne rentrent presque jamais dans ce niveau élémentaire. Au lecteur sceptique qui ne peut croire que les « élites » puissent faire preuve d’une telle superficialité, nous conseillons de lire ce qui est arrivé à la Royal Bank of Scotland en 2012 [5]

L’article pré-cité de Computer Weekly fait d’ailleurs état d’erreurs similaires dans tout le secteur bancaire, pas uniquement chez RBS. L’erreur est toujours la même : le niveau exécutif tient quelques réunions prestigieuses fort coûteuses, assorties de dossiers donnant l’apparence du sérieux et délayés sur quelques heures de présentation, pour n’expliquer finalement qu’une règle de trois. L’actualité économique récente fourmille d’exemples d’offshoring exécutés de façon superficielle, ayant tourné à la catastrophe. Si « l’élite » semble avoir très peur de rentrer dans une véritable analyse, c’est à la fois parce que celle-ci démentirait ce qu’ils ont envie d’entendre et également parce qu’elle révélerait que la véritable compétence se trouve dans l’encadrement opérationnel situé en dessous d’eux.

Un second exemple de la frivolité des « élites » nous a été donné très récemment avec la crise des gilets jaunes. Un an avant l’éclatement des premières manifestations, une note de conjoncture de l’INSEE [6] avait alerté Bercy sur les conséquences désastreuses des nouvelles taxes, notamment sur le diesel.

Le ministère des finances a choisi délibérément d’ignorer cette alerte, sur la base d’un raisonnement faux : le relèvement des prix du diesel devait inciter les ménages à changer de moyen de transport ou à acheter des véhicules équipés d’autres moyens de propulsion. Bercy contesta ainsi le calcul de l’INSEE selon l’argument que le calcul d’imposition devait être fait sur une assiette beaucoup plus réduite, la partie de la population qui n’aurait pas opérée de substitution de ses moyens de transport.

Nul besoin d’une maîtrise d’économie pour relever les failles évidentes de ce raisonnement : les ménages en question n’ont nullement les moyens de renouveler leur voiture et habitent dans ces déserts français décrits par Christophe Guilluy, qui se voient dépossédés de la plupart des services élémentaires, dont les moyens de transport.

Le « raisonnement » de Bercy n’intègre aucune échelle de temps et « d’élasticité » pour reprendre un vocabulaire économique, calculant rigoureusement en combien de temps la population concernée pouvait raisonnablement renouveler son parc de véhicules.

A ce calcul sérieux, il semble que les décisionnaires du ministère des finances ont préféré de vagues généralités sur l’avenir de la planète, arguant que la disparition des énergies fossiles s’inscrivait dans le sens de l’histoire : posture valorisante, se gorgeant du prestige de la réflexion « stratégique » et parfaitement creuse et simpliste. Il va de soi qu’en économie, ce ne sont jamais les cibles finales qui posent question mais le moyen d’y arriver dans les phases intermédiaires.

Le contraste entre l’INSEE et Bercy est emblématique de la différence entre le vrai et le faux sérieux, entre la rigueur d’analyse et ceux qui s’en donnent toutes les apparences extérieures mais ne cultivent dans le fond que narcissisme et pensées gadget. Le haut fonctionnaire austère et vêtu de gris du ministère des finances ne doit pas faire illusion : il ne cache qu’une sorte d’être frivole n’ayant aucune compétence véritable. L’article pré-cité du Figaro résume parfaitement cette imposture dans une conclusion lapidaire et méritée :

L'exécutif français a fait preuve d'un manque stupéfiant de finesse politique et plus encore d'expertise technique. Mais y a-t-il des économistes dignes de ce nom dans les cabinets ministériels peuplés quasi exclusivement d'énarques calibrés comme des petits pois et n'ayant d'autre culture économique que le vernis acquis à Sciences Po?

Troisième exemple montrant la confrontation entre une pseudo-élite et une élite véritable, la passe d’armes qui a eu lieu récemment entre la commission Européenne et Carlos Tavares, le patron de PSA, sur la promulgation forcée des véhicules électriques [7].

Sans rentrer dans les détails techniques du bilan écologique de la propulsion électrique, l’opposition entre un véritable capitaine d’industrie tel que Tavares et les armées de juristes et écologistes en gants blancs est révélatrice de notre époque. Les arguments écologiques du patron de PSA sont d’une précision et d’une pertinence sans comparaison possible avec ceux des instances européennes [8].

Là encore, c’est la construction du chemin intermédiaire et opérationnel qui pêche chez les tenants de la mondialisation heureuse. Il s’ensuit un véritable dialogue de sourds où commission et parlement européens ne parlent que de cibles à 10 ou 15 ans en se contentant de marteler leur importance sur fond de culpabilisation et où un véritable professionnel bâtit les scénarios pratiques permettant ou non d’atteindre ces objectifs. Le sérieux de l’analyse des professionnels de l’industrie tranche avec les quelques mots d’ordre de la commission, appuyés par des rapports ne contenant que du vent.

Les fréquentes passes d’armes entre instances européennes et capitaines d’industrie nous indiquent ce qui est en jeu : le clivage entre une vraie et une fausse élite, la préemption des leviers des décisions par des imposteurs et usurpateurs, théâtralisant à merveille le sérieux et la responsabilité, n’ayant aucune de ces qualités dès qu’une personne connaissant authentiquement son sujet leur porte la contradiction.

Le simplisme est également de mise concernant le sujet très politique de l’immigration. Résumé à un affrontement entre gentils ouverts et méchants fermés, toute réflexion de fond sur les conditions d’intégration est interdite. De même, la réalité de territoires dans lesquels le droit français ne s’applique plus, la police n’ose pénétrer et les enfants juifs et chrétiens désertent les écoles ou sont brimés s’ils y restent, est purement et simplement niée.

Même la future présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, doit faire face en ce moment à une levée de boucliers en suggérant de renommer la commission en charge de la migration, « protection de notre mode de vie européen ». Pour une fois que la commission de l’UE faisait un effort de réalisme, il est ahurissant de voir avec quelle vitesse une véritable police de la pensée s’est ruée contre sa future présidente, jusqu’à l’ancien président Jean-Claude Juncker, se disant préoccupé du lien fait entre immigration et menace sur le mode de vie occidental.

L’immigration pose la difficile question de la tension entre identité et ouverture. Cette problématique ne se résout pas en coupant brutalement l’un des deux termes pour dire que l’un est le bien l’autre le mal : il est aussi stupide de défendre l’ouverture dans l’absolu que l’identité dans l’absolu. Si ce sujet est aussi sensible, c’est qu’il touche à la réalité des rapports humains : l’ouverture aux autres ne se fait jamais sans conflits et résolutions de ceux-ci, qui passent par le marquage de part et d’autre des limites du respect. L’ouverture aux autres n’est pas une qualité béate consistant à être indéfiniment accommodant.

Beaucoup de politiques, par un mélange de lâcheté et d’opportunisme, tolèrent sans limite des comportements de prédation de la part des communautés islamistes, et ce depuis au moins quarante ans. Nul mystère à ce qu’un engrenage mortel se soit déclenché dans nos sociétés, entraînant dans son sillage les musulmans également : face aux extrémistes, ils doivent se soumettre ou se démettre, ce qui signifie dans le dernier cas une vie de persécutions que très peu de personnes auront le courage d’affronter. L’absence totale de soutien du gouvernement français auprès de musulmans modérés pour les aider à ce que ce ne soient pas les franges Fréristes qui l’emportent sonne comme une trahison, faisant grossir encore un peu plus les mauvais rangs.

Aborder de telles questions vaut une stigmatisation médiatique immédiate à l’extrême droite, voire même par le simple fait de soulever la question. Le simplisme avec lequel les succès électoraux du Rassemblement National sont traités est atterrant. Si ce parti représentait moins de 5% de l’électorat, il pourrait être encore possible de les assimiler à ses franges dures d’origine. Mais à partir de scores au-dessus de 20%, faisant de lui le parti en tête lors de la plupart des élections, il faut admettre que la grande majorité de ses électeurs est maintenant constituée de républicains sincères demandant seulement que leur quartier ne soit pas régi par la charia ou par la loi des caïds. 

Si l’on suit le « raisonnement » de la social-démocratie mondialiste, il faudrait penser que d’honnêtes républicains se sont soudainement transformés en monstres pustuleux à l’instant où ils glissaient un bulletin RN dans l’urne. Cet infantilisme atteint des niveaux insupportables et dangereux à tous points de vue, le déni de parole engendrant l’apparition cette fois de véritables extrémismes beaucoup plus virulents.


Qui s’est livré à la démagogie ?

Une notion nous sera utile pour analyser les démagogies modernes, celle forgée par la philosophe Renée Fregosi sous le nom de « justicialisme ».

Le justicialisme désigne l’attitude d’endosser un habit de justicier et de se croire investi à ce titre de la mission de sauver le monde dont on a la charge, ce qui implique également de châtier des coupables supposés être à l’origine de tous les maux. Grande spécialiste de l’Amérique latine, Renée Fregosi a forgé ce terme en référence au Péronisme Argentin.

Le justicialisme est une attitude démagogique se nourrissant de complots, clamant son admiration pour des régimes autoritaristes censés redresser des régimes corrompus, flattant l’ego de celui qui le pratique en lui donnant l’impression d’être un sauveur.

Ce bref portrait évoque les propos que l’on voit très souvent charriés sur les réseaux sociaux, par des dictateurs d’opérette se donnant le frisson de dénoncer de noires conspirations, de démasquer les méchants et de faire œuvre de justicier.

L’on rencontre assez souvent de tels discours parmi les populistes, et c’est là un risque admis de leurs dérapages. L’entre-soi, l’incivisme et la corruption trop présente parmi les gouvernements mondialistes fait rêver certains de voir un shérif nettoyer la ville, alimente les fantasmes de complots, aboutit à clouer au pilori tous les élus officiels, même ceux qui font discrètement et patiemment leur travail.

La réfutation de tels discours est aisée : historiquement, tous les régimes autoritaires ont atteint des niveaux de corruption et d’arbitraires bien supérieurs aux « décadents » qu’ils étaient censés nettoyer. Si la demande de moralisation de la vie publique est parfaitement légitime et la critique lapidaire d’une classe d’élus se pensant intouchable une nécessité, elles ne doivent pas nous faire oublier ce que les démocraties libérales ont apporté en matière de libertés civiques, que nous perdrions définitivement en réagissant par des coups de sang.

Récemment, Renée Fregosi a employé avec brio le concept de justicialisme pour s’apercevoir que les discours multiculturalistes et communautaristes l’employaient également à haute dose. L’imagerie du vengeur corrigeant les injustices n’est donc pas le seul apanage des populistes, elle peut être celle des fondamentalistes de tout poil, religieux ou défenseurs des « minorités opprimées ».

Le concept de justicialisme devient d’autant plus intéressant, lorsqu’on l’applique aux défenseurs de l’Union Européenne.

Car ce qui apparaît, est que l’imagerie du justicier et du chevalier blanc sauveur du monde est apparue de ce côté-là, bien avant l’émergence des populismes.

Dans son chapitre consacré au portrait en contraste de BHL et Michéa, Alexandre Devecchio rappelle quelques actions du philosophe aux chemises blanches révélant une forte dose de justicialisme.

BHL n’est pas le seul : la quasi-totalité des défenseurs de l’UE ont endossé le costume du justicier, de gardiens et derniers remparts du monde civilisé face à tous ceux tenant un discours autre que le leur
.
La phraséologie du sauveur du monde, ainsi que son simplisme et sa démagogie, a été pratiquée par les classes supérieures défenseurs de l’Union Européenne pendant des années, bien avant qu’elle n’investisse les réseaux sociaux et une partie du discours populiste.

De sorte que sa propagation dans toutes les couches de la population nous fait repenser le phénomène : est-ce un monstre né du populisme, ou n’est-ce qu’une réponse du tac-au-tac faite aux tenants de l’UE qui l’ont employé jusqu’à l’overdose, menaçant le monde d’effondrement à chaque élection au lieu de permettre un débat d’idées, et adoptant la posture du sauveur ultime ?

Avec cet éclairage, le mondialisme apparaît comme une démagogie à destination des classes supérieures, un discours flattant une population dans le sens de ce qu’elle a envie d’entendre, méprisant toute confrontation avec le réel.

Le mondialisme n’est nullement la réunion pacifique de tous les hommes, il est le maintien pour une toute petite minorité d’un monde « idéal » entretenu artificiellement, une zone protégée à l’abri de toute violence, aussi bien économique que sécuritaire. Le discours appelant à être « risquophile » est tenu par des personnes qui se sont elles-mêmes protégées de tous les risques et se garderaient bien d’en affronter un seul.

Ce monde préservé peut être bien décrit par une analogie avec les sciences physiques : il est comme une table à coussins d’air, où les frictions ont été éliminées, où tout est fluide, où les chocs sont élastiques et doux. Le moelleux matelas d’air fait vivre dans un monde où les conflits sont résolus de façon civilisée, où l’on peut penser à long terme et sans peur du lendemain. Ce que cette vision idyllique ne précise pas, est qu’afin de faire vivre 5% de la population dans un tel eden, il faut sacrifier les 95% d’autres et les faire basculer dans un enfer tout inverse.

Les rêves et visions entretenus par les tenants de l’UE sont une sorte d’ode à ce monde préservé et artificiel, le montrant en exemple tout en flattant ceux qui en bénéficient. En niant et effaçant la face cachée de l’iceberg, ces visions rejoignent la démagogie du discours justicialiste. Est présentée comme la sauvegarde du monde civilisé ce qui n’est en fait que la perpétuation de privilèges arbitraires.

Ce discours est d’autant plus blessant qu’il est d’une abyssale hypocrisie : la violence au quotidien que le communautarisme musulman fait vivre à ceux qui en subissent la loi dans des quartiers désertés par la République est stigmatisée comme « manque d’ouverture », « racisme », alors que les habitants de ces enclaves édéniques évitent très soigneusement ces populations pour eux et pour leurs enfants, tout en appelant à avoir une attitude « ouverte » avec elles.

« Démagogie » signifie un discours flattant celui à qui il est destiné, lui disant ce qu’il souhaite entendre, au prix du déni total de la réalité. La pente mortelle de la démagogie n’a pas été creusée par les populistes : elle est initiée depuis longtemps par ceux qui se présentent comme des « élites », particulièrement dans la défense de l’UE qui est devenue une démagogie « haut de gamme ».

Le trait caractéristique du justicialisme en révèle la vraie nature, la posture des justiciers de l’UE ayant interdit toute forme de débat démocratique, tout approfondissement réel de sujets ayant nécessité un traitement complexe, non des parades narcissiques destinées à se valoriser.

Si certains populistes leur ont emboîté le pas et sont tombés dans ce travers – Renée Fregosi a raison d’en relever les dangers – une plus grande majorité encore de populistes sont simplement des personnes demandant à ce que les discours soient soumis à l’épreuve des faits, les thèses à la confrontation avec le réel.

« Populiste » désigne de plus en plus souvent une personne qui ne fait que vérifier ses hypothèses et s’assurer qu’elles résistent à l’épreuve du terrain. Il n’est guère étonnant de voir pour cette raison un engouement croissant des électeurs pour le populisme. Et le terme, péjoratif à sa naissance, devient directement assumé.

Le psychologue de renom Charles Rojzman, auteur de thérapies sociales fines dans des situations très conflictuelles – que l’on ne peut donc soupçonner de démagogie – clame ainsi son appartenance au populisme, dans cette acception de la confrontation au réel [9].

Il n’est pas étonnant que Charles Rojzman propose une philosophie du conflit assumé et maîtrisé : L’entente entre les hommes ne provient pas de discours lénifiants et anesthésiants, ces derniers ne faisant que renvoyer plus tard en boomerang une violence dix fois supérieure, parce qu’elle a été comprimée.

Le bon sens et l’expérience apprennent qu’une bonne « engueulade » est largement préférable à des ressentiments larvés qui finissent en actes meurtriers bien plus graves. C’est également la leçon des arts martiaux : il existe une violence inhérente à l’homme. Il est infiniment préférable de la faire sortir et la laisser s’exprimer dans des confrontations soumises à des règles tant qu’il en est encore temps, avant que la douceur apparente et hypocrite ne dégénère en meurtres de masse.

Plus que jamais, qui veut faire l’ange fait la bête, selon la célèbre formule Pascalienne. Les anges du mondialisme et de l’UE ont produit une démagogie qui flatte leurs plus bas instincts, ceux d’une domination sans partage sur la parole, d’une avidité au pouvoir sans limite. La démagogie plus apparente et moins hypocrite que l’on voit surgir des populismes fait figure d’amateurisme en comparaison. Et bien plus souvent, les alertes populistes sont un simple rappel de faits que l’on ne veut pas voir, bien plus que des harangues de justiciers : les sauveurs du monde auto-déclarés sont issus depuis bien plus longtemps du milieu des « élites ».


Qui a fait preuve d’irresponsabilité ?

Jamais ceux qui en appellent sans cesse à l’éthique de responsabilité ne se sont enferrés eux-mêmes aussi profondément dans l’éthique de conviction.

Les responsables et soutiens de l’UE, Troïka et banques centrales en tête, ne cessent d’appeler à un comportement responsable, mais n’agissent eux-mêmes que selon des dogmes non démontrés, ou plus exactement démontrés faux de jour en jour.

Il en est de même des politiques d’immigration, notamment celle de la porte largement ouverte par Angela Merkel en 2015, sans concertation aucune ni débat, imposée à la totalité de l’Europe par sa seule volonté comme le rappelle Alexandre Devecchio. Difficile dans ces conditions, de ne pas voir l’UE comme un empire dirigé par l’Allemagne gouvernant des nations subalternes. Là encore, la pure conviction idéologique l’a emporté sur l’esprit de responsabilité, qui aurait nécessité un débat complexe, nuancé, sur les conditions d’une intégration réussie, sur les termes pesant de façon contradictoire dans la balance.

La prégnance de l’éthique de conviction se manifeste dans l’appauvrissement considérable du débat d’idées dans les media. A part quelques brillantes exceptions dont Devecchio fait partie, la plupart des articles de presse mainstream commencent par un jugement moral sur ce qu’il convient de penser ou non et sur la séparation des camps du bien et du mal, avant toute analyse. La vie intellectuelle occidentale part maintenant dans la plupart des cas des conclusions qu’elle entend démontrer.

Nous avons perdu la capacité de considérer qu'il existe deux ou trois visions du monde radicalement différentes mais également respectables, sur la façon de conduire la vie de la Cité.

La politique au sens noble du terme provient de l'affrontement sans concession de ces deux ou trois visions du monde, de leur délibération et des compromis qui en résulteront. La grande presse, à l'époque où elle était moins manichéenne, était capable d'accueillir et de vivifier de tels débats.

Au lieu de cela, l'alliance des "cercles de la raison", en France comme en Allemagne, détruit toute possibilité de débat alternatif et remplace cette délibération par une vision manichéenne et grossière de tout débat public en affrontement entre les forces du bien et les forces du mal.

Il est de nos jours aisé de cocher toutes les inversions orwelliennes du discours. L’une des plus révélatrices est que ceux qui se prévalent sans arrêt de l’éthique de responsabilité pratiquent une éthique de conviction à l’état pur.

Ceux qui prétendent incarner la réflexion de fond et l’analyse complexe ne fonctionnent qu’à coups de généralités superficielles et de croyances scandées.

Le charme discret de la bourgeoisie mondialisée n’est en rien celui de la société ouverte. Celle que Karl Popper appelait de ses vœux consistait en des discours admettant à leur naissance la contradiction, l’appelant même. Nous sommes a contrario dans une société d’anathèmes, de simplismes, au service du seul opportunisme. Et ceci n’est pas le fait des populistes, qui essaient dans leur grande majorité de réintroduire comme ils le peuvent des rappels aux faits.

Ce mouvement de débilité de la pensée a été échafaudé et longuement cultivé par ceux qui se dénomment d’eux-mêmes « élite » : les autres démagogies n’ont fait que leur répondre par mimétisme, faibles copies de démagogues professionnels qui n’ont eu cesse de cultiver leur flatterie de caste.

Aujourd’hui, cette fausse élite rencontre deux obstacles, choc salutaire : celui de la common decency du peuple et celui de la véritable élite – celle que l’on n’entend que trop rarement – constituée de penseurs et hommes d’action à la fois profonds et ayant l’humilité de la confrontation au réel. Il n’y a rien de surprenant à ce que les seconds ne manifestent aucun mépris vis-à-vis des premiers : ils leurs sont redevables d’apprendre d’eux chaque jour.


Le retour d’Ulysse

Alexandre Devecchio le rappelle au début de son livre, contre l’injonction typiquement justicialiste du retour aux années 1930 clamée par les mondialistes : les totalitarismes n’ont jamais été le fait de patriotes, mais d’hégémonistes.

Toutes les emprises totalitaires ont été historiquement un « pan-isme » : pan-germanisme, pan-soviétisme, pan-américanisme, pan-européisme, pan-islamisme.

Les totalitarismes se caractérisent par le débordement, par l’absence de limites ou de frontières, par une volonté d’imposition d’une vision unifiée à tous. Ils rappellent l’Hubris grecque, la démesure et l’orgueil, par opposition au culte d’un juste milieu, d’un temple aux dimensions humaines, condition de la civilisation.

La patrie dans le sens de la Grèce antique est le lieu de cette juste mesure. Elle n’est nullement synonyme de haine ou d’affrontement, ni de repli sur soi, mais de retour à l’essentiel de ce qui nous différencie et nous caractérise. La patrie grecque est l’Ithaque d’Ulysse, la douceur et la tempérance du foyer, après les folies guerrières de l’Iliade.

Elle n’est nullement incompatible avec la découverte et l’ouverture aux autres : l’Odyssée est cet équilibre entre le voyage initiatique, la découverte d’autres mondes, et l’attachement au lait qui nous a nourri. Il n’y a aucune opposition entre ces deux termes, mais une complémentarité qui les rend indispensables l’un à l’autre.

En renouant avec cet héritage légué par le berceau de notre démocratie, Alexandre Devecchio rappelle dans « Recomposition » cette réalité que nos dirigeants devraient enfin admettre : le patriotisme est un humanisme.



[1] Lévitique 20.1 – 20.5

1 commentaire:

  1. Le populisme au départ est proche du peuple et est en ce sens positif et profondément démocratique.

    La définition du populisme selon le CNRTL est la suivante :

    1. Mouvement politico-social (qui s'est formé en Russie dans les années 1860) qui voulait entraîner l'ensemble de la paysannerie, du peuple, dans la lutte contre le pouvoir tsariste.
    2. Par extension : Tout mouvement, toute doctrine faisant appel exclusivement ou préférentiellement au peuple en tant qu'entité indifférenciée.

    Le sens à été rapidement dévoyé en synonyme de cynisme politique ou démagogie voir même sur qualifié d'antidémocratique.

    En fait le populisme par sa nature même est opposé à la domination des détenteurs (spoliateurs par suffrage ou non) des Pouvoirs politiques et économiques. De ce fait le populisme est un mouvement anti-système. La déviance de la signification du mot est une production des dominants bénéficiaires du système et donc conservateurs de celui-ci la pensée dominante est toujours produite par les dominants -cf. Durkheim-).

    Dans cette logique le terme "populisme" est devenu un grand sac fourretout dans lequel y sont jeté tout se qui dérange le pouvoir, le système et l'ordre établi.

    De facto le terme "populisme" ne peut plus être une catégorie d'analyse étant donné son caractère complètement flou ne définissant en rien les très divers mouvements qu'il qualifie désormais. "populisme" ne dit plus rien de se que sont ceux qu'ils qualifie.

    Je pense que tout sociologue devrait éviter l'usage de ce terme sauf à le déconstruire.

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