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vendredi 22 avril 2016

Géant


Le mouvement « nuit debout » avait suscité un espoir initial. Certains - dont des amis et auteurs proches – y voyaient une version politiquement à gauche des « veilleurs ». L’analogie était tentante, à qui cherche un peu de lumière dans ce monde qui en manque tant.

On pouvait voir dans les deux mouvements un rapprochement de ceux qui refusent la marchandisation généralisée de l’humain, la réduction de la conscience à l’intérêt égoïste, la déliquescence et la perte de sens d’un monde qui n’est même plus soumis à la loi du plus fort mais du plus arnaqueur et du plus tordu.

L’appel à toutes les bonnes volontés, par-delà les clivages politiques, est un espoir dans lequel tout le monde veut croire. Les jeunes de « nuit debout » semblaient lancer cet appel à ceux des « veilleurs », à travers le témoignage de la flamme restée allumée dans la nuit.


Nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien. « Nuit debout » est un mouvement qui n’a pas eu le premier courage de la liberté : celui de s’engager sur une thèse qui prend le risque d’affronter la discussion critique, ni de mener des actions constructives ayant la valeur de l’exemple.

Au lieu de cela, il s’est vautré au mieux dans une foire aux états d’âme de post-adolescents, au pire dans des actions violentes de casseurs et de démagogues. Il nous a donné le spectacle supplémentaire de la régression infantile de la gauche radicale, et incarne à merveille l’une des facettes de la déliquescence du monde néo-libéral dont il prétend être l’adversaire.

Sa phase terminale est confirmée, car nous entendons déjà glapir les obscènes récupérateurs - terroristes directs et indirects - qui se repaissent de ce genre de mouvement, accompagnés de leur habituel carnaval de fausses causes et de justiciers de pacotille.

 L’espoir de ceux qui veulent retrouver un chemin et un sens demeure pourtant. Peut-être les formes de protestation nocturne de certains de ces jeunes ont elles renoué inconsciemment avec une très ancienne histoire qui nous ouvre la voie.

Car le thème de la veille, de l’action volontaire de ne pas dormir pour rester vigilant, est central dans le christianisme. 

Sachez-le bien, si le maître de la maison savait à quelle heure de la nuit le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison.
C'est pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l'homme viendra à l'heure où vous n'y penserez pas.
Matthieu 24:43-44


Le sommeil symbolise l’endormissement de la conscience, la passivité, l’indifférence, toutes attitudes qui ne cessent de gagner du terrain dans nos sociétés « modernes » qui ironiquement ne cessent de se prévaloir du sens de l’initiative et de la responsabilité.

La réunion de ceux qui veulent réveiller et préserver la conscience humaine, qui accorde les humanistes à gauche et à droite pourvu qu’ils soient sincères, est encore dans l’ombre portée d’un géant.


Je suis d’une génération qui n’a connu que de petits hommes au pouvoir. J’enviais la génération qui a vu passer un De Gaulle, un Churchill, un Clémenceau, un Mendès-France. Ma génération a cependant connu un homme de cette carrure, mais qu’il fallait chercher en dehors du monde politique. Un seul dont la stature permettait de se hisser sur les épaules des géants. Jean-Paul II.


Il n’y a guère de pontificat qui ait autant laissé croire que le Pape épousait les causes politiques de son temps, mais ait finalement montré qu’il en était totalement indépendant pour donner à tous une leçon d’homme libre.

Au début de son règne, Jean-Paul II était identifié à la lutte contre le communisme, son influence personnelle et spirituelle ayant certainement contribué notablement à la chute de l’URSS et à la fin du soviétisme.

Ceux qui enrôlent et étiquettent trop facilement crurent qu’il était le pape d’un « camp ». Jean-Paul II fut associé à Ronald Reagan, à Margaret Thatcher, à la révolution conservatrice chère à Guy Sorman, qui érigeait le marché en vérité absolue, la bourse en norme du bien et du vrai, l’arrivisme à tout prix en norme du comportement bénéfique pour tous. Le tout derrière un rigorisme moral et un puritanisme de façade, autorisant tous les excès financiers et les abus humanitaires en sous-main.


Le néo-libéralisme fut ainsi créé pendant cette période. Nul ne s’alarmait du fait que 40 ans plus tôt, un héritier de la véritable tradition libérale avait extrait deux critères fondamentaux permettant de savoir si un courant politique se muait en totalitarisme, quel que soit d’ailleurs le contenu de son message.

Karl Popper avait trouvé dans « The open society » les deux clés de tout discours politique totalitaire, une structure générale de toutes les pensées tyranniques, quels que soient leurs engagements.

La première clé est l’absence de réfutation possible, le fait de considérer que l’on détient une vérité si incontestable qu’elle n’a plus à être soumise à la discussion critique, que l’on prétend avoir trouvé l’explication ultime du monde. Ainsi une phrase telle que « le marché a toujours raison » est-elle de nature totalitaire et ironiquement, totalement contraire à la véritable tradition libérale.


Mais à cette époque, la loi du marché, la dérégulation à tous crins et la résolution de tout problème humain par la négociation économique étaient le zéro et l’infini qui avaient succédés à celui d’Alfred Koestler.

La seconde clé est la finalité historique, le fait de considérer que la thèse politique à laquelle l’on croit est l’aboutissement de l’histoire des hommes. L’on investit ainsi sa croyance de toute la force des millénaires d’histoire humaine, en y voyant un grand dessein et un grand schéma inéluctable.

 Le soviétisme – et aujourd’hui l’islamisme – jouent de cette intimidation en faisant comprendre à ses contradicteurs qu’ils gênent la marche triomphale vers un invincible terminus historique. Les néo-libéraux obéissent à un schéma semblable à celui des plus zélés gardes rouges ou djihadistes. Ceux qui voient dans les démocraties libérales la fin de l’histoire se rendent-ils compte qu’ils nient totalement le principe de la tradition libérale qu’ils prétendent défendre ?


Mais qu’importe : à cette époque, l’heure était à l’idéologie absolue. Karl Popper n’était plus là pour protester, et parce qu’il avait combattu le communisme, fut enrôlé comme on le fit de Jean-Paul II, parmi les forces de la nouvelle explication totalisante.

Pour les néo-libéraux, parce que Jean-Paul II avait notablement contribué à mettre à bas les « sales rouges », il ne pouvait être que dans leur camp, et soutenir sans réserve le marché comme l’alpha et l’oméga de la régulation sociale.

Les idéologues en furent pour leurs frais, ceux du soviétisme comme ceux du néo-libéralisme.


Car Jean-Paul II agit toujours selon sa conscience d’homme et de serviteur du seul Christ. En formidable combattant de l’esprit, il avait à peine fini de terrasser son premier dragon qu’il engageait immédiatement la bataille contre le second, comprenant tout de suite que c’est sur ce nouveau terrain qu’elle devait se jouer.

Il n’y a nulle coïncidence à ce que l’encyclique Centesimus Annus parût en 1991, l’année même du démantèlement officiel de l’Union soviétique, et six mois avant celle-ci. Jean-Paul II engageait immédiatement le combat contre le danger le plus immédiat de démolition de la conscience humaine, une fois le précédent danger vaincu.


Centesimus Annus est l’une des plus formidables charges qui existe contre le néo-libéralisme et la marchandisation comme seule règle sociale. Jean-Paul II montrait que tradition et modernité ne sont pas à opposer, car cette féroce critique adaptée au contexte de son temps ne faisait que reprendre la grande tradition de la doctrine sociale de l’Eglise, en droite ligne de Rerum Novarum, publiée exactement un siècle plus tôt (il n’y a jamais de hasard dans le calendrier du Vatican), par Léon XIII.

Afin de bien se faire comprendre, et avec un art consommé de la provocation et du courage légendaire qu’on lui connaissait, il enfonça le clou deux ans plus tard avec Veritatis Splendor, encyclique tournée vers la restauration de la conscience intérieure de chaque homme, force inaliénable devant s’opposer à toutes les négociations et compromissions ambiantes.


La parution successive de ces deux encycliques fit même écrire au Nouvel Observateur (oui, vous avez bien lu !) :

« Après avoir porté les coups les plus terribles au totalitarisme communiste, Jean-Paul II est devenu le seul adversaire sérieux de l'esprit capitalo-individualiste de notre temps ».

Pour que l’hebdomadaire de la grande bourgeoisie hédoniste et socialiste - qui affichait par ailleurs des petites annonces de rencontre du type « PDG de 50 ans cherche jeune femme de 20 ans, vénales s’abstenir » - rende un tel hommage à Jean-Paul II, il fallait que le souverain pontife ait jeté toute son énergie dans ce nouveau combat. On sait que l’homme ne faisait pas les choses à moitié : Dieu vomit les tièdes.


Dès lors, le pape fut détesté par les aficionados de la modernité factice et des fortunes faciles. « Ringard », « archaïque », « réac », furent les étiquettes que tous les hommes « dans le vent » lui accolèrent.

Etre dans le vent : une ambition de feuille morte, pouvait leur répondre Gustave Thibon. Jean-Paul II montrait à tous les petits hommes avides et trop pressés que leur « liberté » individuelle n’avait plus rien de la conscience d’un véritable homme libre. Il dévoilait que leur « modernité » était vieillie et rance face à l’éternelle jeunesse du christianisme, que lui-même n’avait agi depuis le début que pour celle-ci, leur donnant la leçon d’un maître en indépendance.


La jeunesse ne s’y trompa pas. Jamais les JMJ – les frères aînés des actuels veilleurs - n’eurent plus de retentissement que pendant le règne du pape polonais. Jean-Paul II est resté lui-même toujours jeune, jusqu’à son dernier souffle.

Karol Wojtyla combattit ainsi les faux marchands de liberté, comme il mit à bas les précédents imposteurs, les faux marchands d’égalité et de fraternité.


S’il faut fonder un jour un mouvement de toutes les jeunesses qui refusent l’obscénité de ceux qui n’aspirent plus qu’à les vider de leur substance, c’est de ce dernier des géants qu’il faudra s’inspirer.

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