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mercredi 16 décembre 2015

L'écume des jours



Les commentaires fusent, tout comme les explications qui n’en sont pas. Celui qui s’acharne à analyser les autres à ce point est celui qui se fuit, qui a peur d’arriver à l’analyse de lui-même.

« L’électeur du FN » est devenu un animal de laboratoire. Rarement l’on a poussé la dissection d’une partie de la population à ce stade. Ses moindres ressorts sont examinés, ses colères passées au crible, jusqu’à sa psychologie et sa biographie intime, rien ne nous est épargné.

Mais « l’électeur du FN » existe-t-il ? Ou ne vient-il pas rejoindre l’écume des jours, celle qui nous hypnotise pour mieux nous cacher les raisons de fond ? Le verbiage sur les motivations des électeurs du FN est un sens qui se veut fort, en réalité tout aussi fantomatique et insaisissable que les convictions de convenance répétées à l’envi par les partis traditionnels.

Rarement le verbe n’a été à ce point employé pour se cacher les véritables raisons, pour ne faire qu’entretenir l’écume des jours. Encore une minute monsieur le bourreau. Que je puisse encore regarder ce spectacle apaisant de la mer, de la crête de la vague qui ne fait qu’appeler la crête suivante. Laissez-moi ne rien remettre en question, juste une fois de plus.

Car si ce n’était le FN, ce serait autre chose. Un autoclave sous pression peut engendrer tout et n’importe quoi. L’on cherchera en vain la cause particulière de tel ou tel bouillonnement. L’on ne trouvera que des causes de surface. Tandis que la véritable vague, et non l’écume, est que nous sommes enfermés dans un autoclave chauffé à blanc depuis des années. Tout le bruit et le bavardage créé autour n’est qu’une façon de cacher notre enfermement à hurler, seul véritable sujet.

Il n’y a pas de raisons du vote Front National. Il n’y a pas de désenchantement de la politique. Il n’y a pas de pratiques délétères d’élus qui ne sont plus intéressés que par la préservation de leurs privilèges personnels. Il n’y a pas de sursaut républicain et d’appel à en retrouver les valeurs. Ou plutôt si, il y a tout cela, comme il y a des bulles remontant à la surface du bouillon brûlant, qui apparaissent, éclatent et s’en vont. Il y a des monstres spontanés et éphémères qui ne sont qu’autant de  tentatives désespérées et futiles d’échapper à la seule tendance de fond permanente, l’augmentation inexorable de la température et de la pression.

Les hommes sont passés maîtres pour maquiller en convictions et en paroles fortes ce qui n’est qu’une agitation résultant du feu qui monte lentement, à prétendre construire un discours quand il ne s’agit que de cris de douleur en réaction directe à un facteur simple, bête et implacable. Mais nous ne saurions admettre que c’est une chose aussi stupide et aussi triviale qui nous assujettit ; nous faisons donc semblant d’entretenir des débats. Et nous nous inventons des causes, à fort bruit de cymbales et de tambours, aussi spectaculaires que vides.


Lorsque tout débat d’idées est présenté d’une seule façon, la thèse convenable à laquelle il convient d’adhérer et toute thèse adverse comme le mal, lorsque l’on signe la fin de tout esprit critique, de toute tension entre plusieurs choix honorables mais contradictoires, le fond de l’autoclave est posé. Lorsque l’Union Européenne abuse de cette drogue sans limite, qu’elle n’agit plus que pour sa perpétuation et pour le privilège de ses caciques, les lourdes parois de métal sont montées.

Lorsque toute initiative, tout esprit d’entreprise, est comme encerclé par la force diffuse de la finance, que ceux qui produisent de la valeur la voient immédiatement captée par les taux, l’actionnariat ou la dette, le couvercle est en place. La finance n’eut ses lettres de noblesse que du temps des Médicis. Lorsqu’elle se tient à son rôle, celui d’être un professionnel du risque a priori pour les banques et du risque a posteriori pour les assurances, elle fait œuvre utile. Elle a abandonné les missions qui lui sont propres depuis bien longtemps.

Comme auxiliaire, la finance est indispensable. La plus mauvaise idée qui soit en économie, est de lui donner le pouvoir. En premier lieu parce que sa logique étant à la réduction, elle construira la récession contre laquelle elle ne cessera de mettre en garde : la pénurie est auto-réalisatrice lorsque les banquiers sont au pouvoir, transformant l’économie en danse macabre, en spirale du toujours moins s’auto-confirmant. En second lieu parce qu’elle ne résistera jamais à la tentation de servir ses caciques par l’arme de la dette, si celle-ci devient une rente. Comment une infime minorité pourrait-elle résister si ce gain facile et inique est à portée de main, si la rente juteuse peut être maquillée en gestion raisonnable de la dette ? Le conflit d’intérêt existe par construction même, comme un fruit qui ne demande qu’à être cueilli.

Lorsque ceux qui ne produisent aucune valeur ne font que la dérober à ceux qui en sont à la source, que de surcroit ils donnent des leçons d’initiative et de prise en main de son destin, qu’ils n’entretiennent plus que des hommes de paille à la tête des entreprises chargés de les servir en dépeçant toute force vive plutôt qu’en la cultivant, que salaires mirobolants contre dividendes ne sont plus que les termes de l’échange de l’incompétence, que ce circuit fonctionne à plein régime et donne des leçons jusqu’à en hurler, le couvercle est hermétiquement fermé.


Lorsque la société soi-disant ouverte a fini de se travestir pour faire ignorer qu’elle n’est qu’un retour à la brutale économie de rente du XIXème siècle, que la grande majorité des hommes ne se trouve plus en situation modeste mais en situation de précarité critique pour entretenir une minorité de parasites, que chacun ne pense plus qu’à sa survie immédiate et égoïste, le gaz est ouvert. 

A la suite de cet état, lorsque des communautés s’organisent en mafias et font émerger des pouvoirs locaux de caïds, que ceux qui sont au pouvoir n’ayant par construction aucun courage, leur trajectoire propre n’ayant consisté qu’à dérober et piller au lieu d’entreprendre, qu’ils baissent pour cette raison les yeux devant les caïds locaux et ne frappent que leurs victimes parce qu’elles sont des cibles faciles, l’étincelle est allumée et le feu démarre.

A partir de là, il serait insultant pour la littérature de dire que tout le reste n’est que celle-ci. Nous dirons plutôt que les convictions tonitruantes, les engagements battant leur coulpe, ne sont que postures, agitation, qu’il s’agisse d’ailleurs des convictions des caciques de l’autoclave comme de ceux qu’elle fait hurler.


Il en est des convictions véritables comme de l’amour véritable. L'amour est patient, il est plein de bonté; l'amour n'est pas envieux; l'amour ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne soupçonne pas le mal (Corinthiens 13 :4 – 13 :5). L’on pourrait rajouter que l’amour véritable, comme les convictions du même bois, ne paie pas de mine, est discret, modeste, mais accomplit patiemment chaque jour, avec une résolution constante, les petites choses qui finissent par accomplir un beau projet. Sans cris et sans fard, mais en agissant un peu chaque jour, en silence, jusqu’à aboutir, parce qu’il faut que cela soit.

C’est une autre écume des jours. Celle de la patience, du silence, de la beauté. Aussi de la joie colorée, celle qui se met au clavier du pianocktail, pour produire des mélodies dont le jus peut être savouré.

Parfois, en se laissant simplement dériver sur l’écume des jours, l’on produit une boisson ambrée, douce-amère, mélancolique, ne tirant sa joie qu’en étant allé au bout de sa tristesse, à la contemplation de l’immense gâchis du monde.

Parfois la joie des discussions contradictoires et gratuites revient. La fraternité montre qu’une communauté n’est pas l’étouffoir des libertés, mais sa condition pour que chaque membre vienne en défense de la liberté des autres. Les territoires de l’amitié, de l’estime et de l’exploration gratuite peuvent beaucoup, à commencer par signifier aux tristes clowns cupides que nous n’avons pas besoin d’eux, qu’ils sont inutiles, que nous saluons la vie.

En nous mettant au pianocktail, nous produisons un nectar irisé, plein de reflets arc-en-ciel. L’écume des jours n’est plus la monotonie des carrousels obscènes et prévisibles tournant indéfiniment sur eux-mêmes, mais l’appréciation, chaque matin, des mille petits scintillements de vies que nous pouvons construire ensemble, dans des communautés libres.



Paris, le 16 décembre 2015.

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